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Vote et éligibilité des femmes

Un grand pas pour les Suissesses

Ces droits ont été instaurés il y a 50 ans, dans notre pays. Sans l’avoir vécue les jeunes sont toutefois sensibles à la question et estiment qu’elle mériterait plus de place à l’école.

Malgré l’obtention du droit de vote en 1970 pour les Zurichoises, ces dernières ont pu se prononcer depuis 1964. Ici sur des questions liées à l’Eglise. Jules Vogt/Bibliothèque de l’EPFZ, publié sur Wikimédia Commons

Par Maeva Pleines et Dan Steiner

«Aujourd’hui, cela paraît si naturel que tout le monde puisse voter. Cela semble incroyable de penser qu’il y a 50 ans, ce n’était pas le cas... et même il y a 31ans pour Appenzell Rhodes-Intérieur», s’exclame Joceline Wind.

L’athlète de 20 ans originaire de Sonceboz admet garder l’histoire du vote des femmes en tête au moment d’exercer son droit civique: «Je me rends d’autant plus compte de l’importance de faire entendre ma voix en tant que jeune adulte femme. C’est un privilège que l’on aurait vite tendance à prendre pour acquis, alors que tout le monde n’a pas cette possibilité.»

La conseillère de ville biennoise Manon Cuixeres estime quant à elle que ses habitudes de vote ne sont pas influencées par cette conscience historique. «Ma mère m’a parlé de ses luttes. Cette reconnaissance si tardive me rend triste et en colère. Toutefois, ce n’est pas pour cette raison que je m’engage en politique. Je ne voudrais pas qu’une culpabilisation des femmes s’installe, liée à la responsabilité spécifiquement féminine. La démocratie se construit sur une conscience collective et sur un sentiment de légitimité, qui ne sont pas liés à la culpabilité», analyse-t-elle.

A 19 ans, Claudia Yu constate que de nombreuses femmes de son âge prennent activement en main leur responsabilité civique: «Nous parlons de politique entre nous et sur les réseaux sociaux. Nous vous réjouissons par exemple de voir les parlements locaux et internationaux se féminiser.» Par contre, la gymnasienne biennoise s’étonne de ne pas avoir abordé l’histoire de ce droit à l’école. «Je m’attendais à étudier le sujet dans mes cours de droit, mais ça n’a pas été le cas», déplore-t-elle.

Enseignement lacunaire
Joceline Wind abonde en son sens: «Mon professeur nous a présenté cette date comme un moment clé, mais sans vraiment le mettre en perspective, par rapport à d’autres pays. Je n’ai pris conscience que des années après que ce droit est arrivé très tard en Suisse.»

Manon Cuixeres renchérit:«L’enseignement a tendance à s’arrêter aux Guerres Mondiales et à moins s’attarder sur l’histoire contemporaine. On nous parle par exemple de la Révolution française, mais beaucoup moins des luttes féministes. Pourtant, les femmes ont joué des rôles importants dans ces soulèvements. Et lorsqu’on aborde ces aspects, cela se limite trop souvent à des notes de bas de page, pour une petite ‹parenthèse femmes›.»

Claudia Yu ajoute que, à son sens, l’école pourrait soutenir davantage l’investissement des jeunes pour des actions politiques: «Par exemple lors de la grève des femmes, les participantes ont reçu des absences plutôt que d’être excusées.»

Lents progrès
A 24ans, l’athlète Caroline Agnou note que la Suisse a encore des progrès à faire en termes de droits des femmes. «Il y a trop de paroles et pas assez d’actes en politique. Tout le monde se réjouit par exemple des deux semaines de congé paternité récemment instaurées, mais on oublie que certains pays font beaucoup mieux, comme l’Espagne, qui offre 12 semaines aux pères.»

L’heptathlonienne d’Evilard souligne, en outre, qu’il manque encore de représentation féminine dans les postes clés. Un constat partagé par Joceline Wind, qui critique le statut des femmes aux Jeux olympiques. «Par exemple, le décathlon est encore considéré comme masculin et l’heptathlon féminin, comme si les femmes n’étaient pas capables de réaliser 10 épreuves combinées. Je conçois que l’échelle de la performance soit adaptée, mais pourquoi sa nature devrait-elle être différente?»

Cette dernière note en outre qu’il manque de la littérature scientifique consacrée aux femmes dans le sport. «La recherche se concentre sur les hommes et ce n’est que récemment que Swiss Olympics s’est penchée sur la manière d’adapter les entraînements aux cycles féminins», conclut-elle. MAP

Remarques sexistes prises avec humour... jusqu’à un certain point
Toute remontée qu’elle puisse être quand il s’agit de débattre des droits des femmes, Jessanna Nemitz n’a jamais vraiment parlé de ce sujet en famille. Plus précisément de comment elle se verrait, 50 ans en arrière. Et comment vivaient sa maman, ses tantes ou d’autres connaissances ces années d’interdiction de voter et d’être éligibles... «Effectivement, nous n’avons jamais abordé la question. Mais c’est une bonne idée!» Incroyable, insoutenable, effrayant ou déplorable sont toutefois des mots qui jalonnent son discours, au moment d’aborder la thématique. «Je me suis par contre souvent posé ces questions-là. Je pense que j’aurais fait partie de ces femmes qui se sont rebellées, à l’époque», sourit-elle.

La musicienne originaire de Pontenet garde justement le souvenir de sa performance sur la place Centrale de Bienne, au moment de la grève des femmes de 2019. «J’ai pu y faire entendre ma voix, dans les deux sens du terme. Ce jour-là, j’ai ressenti cette puissance, cette colère, cette rébellion.Ces liens aussi. C’est dommage que tout cela ait disparu aussi rapidement.» Si de quelconques revendications n’apparaîtront pas forcément dans son prochain album, prévu en novembre, il n’est pas exclu que le suivant en soit exempt. «Ça pourrait évoluer, oui. Il sera alors empreint de davantage de sagesse et de maturité», se marre la trentenaire désormais établie à Cormoret.

Pas contre l’homme, mais pour les femmes
Une voix qui «porte», c’est en effet une façon, une opportunité de se faire entendre. Grâce au quatrième art ou à la politique, par exemple. Agée de 24ans, la Tavannoise Stéphanie Amstutz est entrée au Conseil municipal début 2018 déjà. Elle se souvient: «Il m’est déjà arrivé de me retrouver en séance avec des hommes qui se demandaient quand allait venir ce fameux conseiller de Tavannes. Mais, souvent, ils sont ensuite surpris en bien et m’en font part, au final.»

Pour elle, les années 70 paraissent très lointaines. Elle s’imagine... l’inimaginable. «Suivre un débat de société de manière passive? Impossible, je l’ai toujours ouverte. Mais c’est parce que j’ai besoin de ce débat, de contradiction. Je dois discuter de tout.»

Des remarques sur sa capacité à mener à bien son dicastère de la Culture et des sports, elle en a déjà entendues. Elle les prend généralement avec humour, même si elle sait que cela représente parfois un avis caché. S’il vient d’une personne dont la génération a vécu cette absence de droits, elle peut s’en accommoder.

«Certaines dames voient en effet les revendications actuelles de travers. Mais je ne critique pas les générations précédentes. Et, si je suis là aujourd’hui, c’est parce que certaines se sont battues pour cela», loue Stéphanie Amstutz. Si elle peut toutefois s’amuser de certains comportements sexistes, d’autres méritent des recadrages secs. «Et je peux vous dire qu’ils ne recommencent pas.»

Si les deux jeunes femmes se battent à leur manière pour plus d’égalité, Stéphanie Amstutz a tendance à calmer le jeu en ce qui concerne «les féminismes». La Tavannoise se refuse à attaquer la gent masculine pour cela. Les femmes ont assez d’arguments pour faire bouger les choses démocratiquement. Elle en veut pour preuve la composition équilibrée du Conseil fédéral ou la présence de deux autres représentantes de son parti à l’exécutif local, l’UDC, pour qui tout se passe très bien. En règle générale, elle relève toutefois une propension désagréable chez certaines femmes à se tirer dans les pattes plutôt que de s’entraider.

Jessanna Nemitz estime pour sa part que les gens ont longtemps eu droit à un «lavage de cerveau», aboutissant à la mise en place de normes et d’une forme d’extinction de la puissance féminine. Dans son domaine, on retrouve beaucoup de chanteuses, mais celui-là est «beaucoup régi par les hommes, qui ont les grosses boîtes de booking ou les labels». DSH

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