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Vote et éligibilité des femmes (3)

Un long combat passé sous la loupe

Dans le cadre d’un travail de maturité gymnasiale, Hélène Oeuvray a cherché à comprendre les causes du renversement des résultats entre les votations fédérales de 1959 et 1971.

  • 1/4 La campagne d'opposition de 1959 véhiculait l'idée qu’une femme ne pouvait pas concilier vie de famille et politique.
  • 2/4 Celle de 1971 présentait les femmes comme fragiles et facilement manipulables.
  • 3/4 En 1928, les suffragistes manifestent avec un escargot symbolisant la lenteur du traitement de leur revendication.
  • 4/4 Hélène Oeuvray a mené cette recherche dans le cadre de son travail de maturité gymnasiale.
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Propos recueillis par Marisol Hofmann

 

Le combat pour obtenir le droit de vote et d’éligibilité sur le plan fédéral en Suisse a été long. Les premières revendications féminines remontent à la première moitié du 19e siècle, découvre-t-on dans le travail réalisé par Hélène Oeuvray, étudiante originaire de Cormoret. En 1868, par exemple, une première tentative pour accéder au droit de vote sur le plan cantonal a été menée dans le canton de Zurich, en vain. Les partisans du changement ont essuyé plusieurs échecs. Il y a eu plus de 50 votations communales, cantonales et fédérales pour tenter d’introduire le suffrage féminin.
A quoi est dû le retard de la Suisse dans ce processus, sachant qu’en 1950, les femmes avaient acquis le droit de vote dans quasiment toute l’Europe? Et surtout, comment expliquer le renversement d’opinion entre la votation fédérale de 1959, qui a obtenu un net refus à plus de deux tiers des voix, et la seconde, en 1971, qui a connu le résultat inverse? Ce sont les questions sur lesquelles s’est penchée Hélène Oeuvray, il y a quelques années, dans le cadre d’un travail de maturité gymnasiale. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur diverses archives, des livres documentaires, des interviews, ainsi que sur l’analyse d’affiches de propagande.


- Quelle a été votre conclusion quant à la lenteur de la Suisse pour l’introduction du suffrage féminin?
- Hélène Oeuvray: Tout d’abord, il faut prendre en compte les spécificités du système juridique et de démocratie directe qui ne permettent pas la mise en place rapide de changements. Notons au passage que la Suisse a accordé le droit de vote aux femmes par le biais d’une votation et non pas par une décision du gouvernement, comme l’ont fait d’autres pays. A cela s’ajoutent des différences entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, qui s’est révélée plus conservatrice sur cette question, et la lente évolution des mœurs s’opérant sur plusieurs générations. Par exemple, lors de la première votation de 1959, seuls trois cantons romands – Vaud, Neuchâtel et Genève – ont obtenu une majorité de oui. Suite à quoi ils ont introduit le suffrage féminin au niveau cantonal et communal.
 

- Ce dernier événement a-t-il contribué au renversement de situation observé 12 ans plus tard?
- Il a effectivement ouvert une brèche pour l’instauration du suffrage féminin. Les femmes ayant obtenu le droit de vote n’ont pas délaissé leur foyer comme on s’en inquiétait lors de la première votation. Les craintes qui avaient motivé le non et qui constituaient le principal argument des campagnes d’affichage de l’opposition (réd: voir les images ci-dessus), n’avaient ainsi plus lieu d’être.
 

- Quels sont les autres éléments ayant joué en faveur de l’introduction du suffrage féminin?
- La conjoncture lors de la deuxième votation était de manière générale plus favorable. D’une part, la question de l’adhésion de la Suisse au Conseil de l’Europe, en 1962, puis la proposition du Conseil fédéral de ratifier la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en 1968, ont relancé la proposition d’instaurer le suffrage féminin. D’autre part, l’essor économique de la Suisse à cette période, marqué par une demande grandissante de la main-d’œuvre féminine sur le marché du travail, les forts mouvements de protestations internationaux des années 1960, Mai 68, l’arrivée de la pilule contraceptive et la question de l’émancipation de la femme, ainsi qu’une nouvelle vague féministe ont engendré un changement social. Tenant compte de ces éléments, le résultat de la votation de 1971 semble être davantage une évolution naturelle dans l’ère du temps plutôt qu’une véritable révolution.
 

- Quelle est la différence entre les néo-féministes que vous mentionnez et leurs prédécesseures?
- Contrairement aux féministes de la première vague, les suffragettes, qui menaient une «politique des petits pas», la nouvelle génération prônait une politique davantage offensive. Cette différence peut s’illustrer, par exemple, par l’action politique de «la Marche sur Berne» du 1er mars 1969, lorsque des milliers de femmes se sont rassemblées devant le Palais fédéral, criant et sifflant leur mécontentement. Les militantes modérées n’y ont pas pris part et sont restées au Kursaal, à Berne, pour assister à une conférence.
 

- Quel regard portez-vous sur la condition de la femme dans le contexte actuel?
- Le droit de vote des femmes obtenu, le combat peut sembler gagné. Mais malgré les avancées qui ont eu lieu depuis, il existe encore des lacunes pour arriver à une véritable égalité, notamment dans le milieu professionnel au niveau des salaires et du nombre de postes à responsabilités occupés par des femmes. Les stéréotypes ont en outre la peau dure. J’ai pu en faire l’expérience durant mes années gymnasiales. Ayant choisi l’option maths et physique, je me suis retrouvée dans une classe majoritairement masculine et certains professeurs peinaient à cacher leur étonnement lorsque les filles obtenaient des bonnes notes.
 

- Vous considérez-vous comme féministe?
- J’ai été sensibilisée très jeune à cette cause, ma mère ayant collaboré durant près de 20 ans à la revue suisse l’émiliE, l’un des plus anciens magazines féministes au monde, créé par Emilie Gourd, en 1912. Petites déjà, nous revêtions, avec mes sœurs, des habits rouges lors de la journée de la femme du 8 mars. Je me considère donc comme féministe sans pour autant être activiste. Par féminisme, j’entends quête d’égalité et non pas supériorité de la femme. C’est un combat qui peut et devrait être porté par les deux sexes.

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