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Énergie nucléaire (1)

Un travail de titan pour retrouver l’état naturel

En matière de démantèlement de centrales, l’Allemagne est en avance sur la Suisse. Un groupe de journalistes a pu avoir un aperçu du démantèlement déjà avancé d’un réacteur de recherche, à Karlsruhe.

A gauche: comme en témoignent les milliers d’inscriptions sur les parois, tant intérieures qu’extérieures, chaque centimètre carré du bâtiment a été passé au peigne fin pour mesurer d’éventuels restes de radioactivité. LDD

De retour de Karlsruhe

Philippe Oudot

L’Allemagne est le premier grand pays industriel à avoir décidé de sortir du nucléaire, suite à l’accident de Fukushima, en mars 2011. Cette année-là, huit des 17 centrales nucléaires allemandes en activité ont été fermées, et une neuvième l’a été l’an dernier. Il ne reste donc plus que huit réacteurs en fonction, qui seront définitivement mis à l’arrêt en 2022. A noter que plusieurs autres réacteurs de plus petite dimension avaient déjà été mis à l’arrêt au cours des années 80 et 90.

Aujourd’hui, plusieurs cœurs de réacteurs sont déjà entièrement démantelés, et une bonne dizaine d’autres sont en cours de désaffectation. Le pays possède donc déjà une large expérience en la matière. Un des principaux centres de compétences dans ce domaine se trouve à l’Institut technologique de Karlsruhe (KIT), une des universités techniques de pointe en Europe.

C’est sur le campus du KIT qu’ont été construits les premiers réacteurs nucléaires de recherche en Allemagne, au début des années 60, et que les ingénieurs ont acquis le savoir-faire et les compétences pour mener à bien le démantèlement de telles installations en toute sécurité.

Réacteur de recherche
La semaine dernière, à l’invitation du Forum nucléaire suisse, un groupe de journalistes a pu en avoir un aperçu sur place lors d’une visite du réacteur de recherche à eau lourde MZFR (Mehrzweckforschungsreaktor), en cours de démantèlement. C’est la société WAK Rückbau- und Entsorgungs-GmbH qui est en charge de ces travaux, ainsi que de toutes les activités liées au démantèlement des autres installations nucléaires de recherche sur le site du KIT.

Construit au début des années 60, le MZFR a été mis en service en 1965. D’une puissance de 57 MW (à titre de comparaison, celle de Mühleberg est de 373 MW), elle est restée en activité jusqu’en 1984, ce qui a permis aux ingénieurs allemands d’acquérir une vaste expérience en matière de réacteurs à eau lourde.

Depuis 1987, le MZFR est en cours de démantèlement. Comme le souligne Werner Süssdorf, responsable de l’installation MZFR chez WAK GmbH, «la sécurité est la priorité absolue, non seulement pour le personnel, mais aussi pour l’environnement. Voilà pourquoi le démantèlement nucléaire s’est fait de l’intérieur vers l’extérieur, l’enveloppe du bâtiment servant de barrière pour éviter tout rejet radioactif.»

Entre 1987 et 1994, une fois le combustible nucléaire évacué, on a d’abord procédé au démontage des gros composants, notamment des turbines et génératrices dans la salle des machines, de la tour de refroidissement, des bassins de refroidissement pour le combustible usé, etc. Une fois vidée, la salle des machines a été utilisée pour la décontamination des matériaux.

Actifs ou contaminés?
Mis à part les éléments directement en contact le combustible nucléaire, irradiés et devenus radioactifs, une grande partie des matériaux d’une centrale sont totalement inertes ou légèrement contaminés. Le cas échéant, ils peuvent donc être décontaminés au moyen de différentes techniques, pour être ensuite recyclés (voir ci-dessous) via le circuit de valorisation des déchets. «L’objectif est de réduire au maximum le volume des déchets radioactifs, et donc les coûts», explique Werner Süssdorf.

A partir de 1997, les spécialistes de la WAKse sont attaqués au démantèlement des équipements nucléaires proprement dit – générateurs de vapeur, pompes de refroidissement et, bien sûr, du réacteur. Haut de 7,6m pour un diamètre de 4,6m et un poids de 400 tonnes, celui-ci et ses différents composants ont été découpés au moyen de la technologie plasma (arc électrique très puissant) à l’aide d’un robot télécommandé.

Une opération qui s’est faite en grande partie sous l’eau, cette dernière constituant une protection efficace contre les radiations. «A la fin de ces travaux, nous avions éliminé 99% de la radioactivité du site», indique Werner Süssdorf. Et d’ajouter que ce dernier pourcent prend du temps, car la radioactivité est plus diffuse.

Un mètre de béton
A partir de 2008, la WAK a entrepris le démontage du bouclier biologique du réacteur, c’est-à-dire de son enveloppe de protection de béton de deux mètres d’épaisseur. Pour ce faire, les ingénieurs ont construit un châssis métallique suspendu dans la fosse où se trouvait le réacteur.

Grâce à un engin de chantier télécommandé, ils ont ainsi pu attaquer la surface de béton et éliminer les couches contaminées au tritium, et cela sur une épaisseur d’un mètre! Au fur et à mesure des travaux, le béton, les armatures de fer et les poussières ont été récupérés et traités, les déchets irradiés impossible à décontaminer étant confinés dans des conteneurs étanches en vue de leur élimination comme déchets radioactifs.

Aujourd’hui, il ne reste plus que l’enveloppe du bâtiment du réacteur, haut de 30m pour un diamètre de 26m. Ses  parois intérieures et extérieures, soit près de 150000m², sont parsemés de milliers de chiffres et inscriptions: ce sont les différentes références des mesures et prélèvements effectués: «Chaque centimètre carré a en effet été passé au détecteur afin de déterminer s’il contient encore ou non des traces de radioactivité», explique Werner Süssdorf.

Ace jour, il estime que les coûts des travaux de désaffectation du MZFR à 400mios d’euros. Lorsque les derniers travaux de décontamination et ultimes contrôles auront été effectués et validés par les autorités de surveillance, le chantier sera considéré comme n’était plus soumis à la législation sur l’énergie atomique. Ce qu’il reste des bâtiments pourra alors être détruit comme n’importe quelle autre construction conventionnelle. Plus que quelques années et le site retrouvera son état naturel.

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