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Centrale nucléaire de Mühleberg (1)

Une épopée de 47 ans

Elle sera définitivement mise à l’arrêt le 20 décembre prochain. Une première en Suisse. Le JdJ consacre une série à cet événement avec, pour commencer, un rappel historique.

Depuis sa mise en service, le 6 novembre 1972, la centrale nucléaire de Mühleberg a produit plus de 120 milliards de kilowattheures. Archives-keystone

Par Philippe Oudot


Avec sa puissance de 373MW, la centrale nucléaire de Mühleberg (CNM) est certes de taille modeste, mais elle est la plus grosse installation de BKWet représente une part importante de sa production, soit environ un quart. Mais après 47 ans de fonctionnement, elle sera définitivement déconnectée du réseau, le 20décembre prochain, sur le coup de 12h30. Depuis sa mise en service, le 6novembre 1972, elle aura produit plus de 120 milliards de kwh, pratiquement sans émission de CO², ce qui correspond à la consommation annuelle actuelle d’une ville de la taille de Berne pendant un siècle. Retour sur les grandes étapes de son histoire.

1965
L’aventure de la centrale a commencé bien avant 1972. C’est en effet en 1965 que BKW décide de construire une centrale nucléaire dans la commune de Mühleberg, au bord de l’Aar. Elle obtient cette année-là l’autorisation de principe du DETEC (Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication).

1966
Le 1er septembre 1966, BKW signe un contrat avec le consortium General Electric/BBC pour une centrale clé en main. Le lendemain, l’entreprise transmet la demande de permis de construire à la Confédération. Lors de l’assemblée générale du 11 mars 1967, les actionnaires de BKW donnent leur feu vert à ce projet. Les travaux démarrent un mois plus tard. Le chantier avance rapidement et le 7 mars 1971, le réacteur subit un premier essai de fonctionnement.

1972
Un premier incident survient le 28 juillet 1971. En raison de vibrations dans la salle des machines, une vis se desserre dans le système hydraulique des turbines. De l’huile s’écoule et s’enflamme. Cet incendie va retarder la mise en service de près d’une année.
Elle a finalement lieu le 6 novembre 1972, avec le fonctionnement à pleine puissance du réacteur. Ce dernier compte alors 228éléments combustibles d’uranium. Un nombre qui sera légèrement augmenté en 1974, passant de 228 à 240. Deux années plus tard, de nouveaux travaux permettent d’augmenter la puissance de la CNM, qui passe de 302 à 320MW.

1984
Le 28 mars 1979, aux Etats-Unis, une série d’incidents en chaîne vont provoquer la fonte partielle du cœur du réacteur dans la centrale nucléaire de Three Mile Island, en Pennsylvanie. BKWtire les leçons de cet accident et installe une unité de recombinaison d’hydrogène. Un dispositif destiné à empêcher l’accumulation d’hydrogène dans l’enceinte de confinement où se trouve le réacteur, et d’éviter les risques d’explosion, comme ce fut le cas lors de la catastrophe de Fukushima, en 2011. 

1988
Face à l’opposition grandissante des milieux antinucléaires, BKWrenonce finalement à son projet de nouvelle centrale nucléaire qu’elle envisageait de construire dans la commune de Graben, en Haute-Argovie.

1989
Dans le cadre des mesures de rééquipement qui ont jalonné l’histoire de la centrale, BKWconstruit le dispositif appelé Susan, qui permet de renforcer la sécurité. Il s’agit d’un système de secours autonome d’évacuation de la chaleur résiduelle générée par les éléments combustibles. En cas de nécessité (de surchauffe), le système Susan arrête automatiquement l’installation et continue d’en assurer le refroidissement. 

1990
Lors de la révision annuelle de la centrale, en 1990, de petites fissures sont détectées dans le manteau du cœur du réacteur. Dans les centrales nucléaires équipées de réacteurs à eau bouillante, comme à Mühleberg, ce manteau d’acier n’a pas de fonction de barrière pour le confinement de la radioactivité. En revanche, il canalise l’eau du réacteur à l’intérieur de la cuve sous pression et joue un rôle important pour l’arrêt sûr du réacteur.

1993
Des travaux de rééquipement permettent encore d’augmenter la puissance de la centrale, qui passe à 355MW en 1993. Le rendement de cette dernière sera encore amélioré une douzaine d’années plus tard, grâce à des travaux destinés à optimiser le fonctionnement des turbines. Résultat: en 2008, la puissance électrique atteint 373MW.

1996
Face à la progression des fissures au cours des années suivantes, BKWinstalle cette année-là quatre tirants d’ancrage sur le manteau du cœur du réacteur. Il s’agit de gros crochets qui permettent de stabiliser les fissures au niveau des cordons de soudure horizontaux des cylindres métalliques qui forment ledit manteau.

2011
Le 13 février, à une courte majorité (51,2%), les Bernois acceptent en votation populaire le principe du remplacement de la CNMpar une nouvelle centrale nucléaire et l’augmentation de sa puissance (entre 1160 et 1740MW, selon le type de réacteur). Mais la catastrophe de Fukushima qui survient moins d’un mois plus tard, le 11mars 2011, pousse le Conseil fédéral à annoncer la sortie programmée du nucléaire. Quelques mois plus tard, la décision est confirmée par les Chambres fédérales.
Cette même année, conformément aux exigences de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), BKWprofite de l’arrêt programmé de la centrale pour la révision annuelle, afin d’améliorer la protection contre les crues. Les mesures de rééquipement pour le prélèvement d’eau de refroidissement dans l’Aar comportent l’installation de trois bouches d’aspiration supplémentaires au dispositif Susan. De quoi faire face à des crues extrêmes.

2013
Pour la première fois depuis la mise en service de sa centrale, BKW reçoit, le 28mars, une autorisation d’exploitation illimitée, comme celle dont disposent les quatre autres centrales nucléaires de Suisse. Mais sept mois plus tard, coup de théâtre:le conseil d’administration de BKWannonce qu’il renonce à rééquiper la CNMpour une exploitation à long terme et que celle-ci sera déconnectée du réseau à fin 2019, avant de la désaffecter.

2015
Malgré sa décision, BKWcontinue d’effectuer les rééquipements nécessaires, afin de garantir une exploitation sûre jusqu’au dernier jour d’exploitation. A commencer par un approvisionnement en eau de refroidissement indépendant de l’Aar, mais aussi par la construction d’un bassin de refroidissement supplémentaire pour les éléments combustibles usés. Cette même année, le 18 décembre, BKWtransmet au DETEC la demande de désaffectation de la CNM.

2018
Le 20 juin, le DETEC donne son feu vert à la désaffectation de la centrale. La dernière révision annuelle se déroule durant les mois d’août et de septembre. C’est aussi la dernière fois qu’on remplace 46 des 240 éléments combustibles pour assurer la production d’électricité jusqu’au 20 décembre 2019. La décision du DETECn’ayant fait l’objet d’aucun recours, elle entre en force. En clair, BKWpeut – et doit – désaffecter sa centrale après sa mise hors réseau à fin 2019.

 

La Suisse rêvait de la bombe

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, marquée par l’explosion des deux bombes atomiques lancées sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki par les Etats-Unis, de nombreux pays s’intéressent à l’énergie nucléaire. D’une part à la fabrication d’une bombe atomique, et d’autre part, au potentiel civil de cette énergie.

C’est également le cas en Suisse. En effet, un an après Hiroshima, le Conseil fédéral décide de promouvoir la recherche sur l’énergie nucléaire et envisage le développement de moyens militaires basés sur le principe de l’arme atomique. Pour y parvenir, la Suisse lance la construction d’un réacteur Swiss made expérimental à Lucens, afin de produire le plutonium nécessaire pour une bombe nucléaire. Mais en 1969 survient un accident dans la centrale – un des 20 plus graves de l’histoire du nucléaire – qui met fin aux ambitions suisses en la matière, ainsi qu’aux rêves de centrale nucléaire de conception purement helvétique.

Mais si la Suisse abandonne son projet d’arme atomique, elle se tourne résolument vers le nucléaire civil au milieu des années 60, avec les projets privés lancés par NOK (Nordostschweizerische Kraftwerke), à Beznau, et par BKW, à Mühleberg.

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