Vous êtes ici

Abo

Vote et éligibilité des femmes

Une pionnière de la politique dans le Jura bernois

Pour Geneviève Aubry, les femmes, à qualités égales, ont davantage de chances d’obtenir un poste en vue.

Geneviève Aubry: l’égalité hommes-femmes est de mise aujourd’hui. Archives

Par Pierre-Alain Brenzikover

En 1979, lors de sa première élection au Conseil national, Geneviève Aubry avait obtenu le meilleur résultat de toute la Suisse, soit 123493 voix! Née en 1928, il lui a donc fallu patienter jusqu’à 43 ans pour obtenir le droit de vote en matière fédérale et quelques mois de plus de la même année pour gagner l’équivalent à l’échelon cantonal. On le sait, les Bernois sont un peu lents. Baignée dans la politique dès son plus jeune âge – son père, Virgile Moine, fut conseiller national et conseiller d’Etat –, elle enrageait de ne pas pouvoir rallier les urnes: «Cela faisait rire mon père. Il n’était pas vraiment opposé au vote féminin, à condition qu’il puisse nous dire, à ma mère, ma sœur et moi comment voter. C’était un vrai libéral-radical. De mon côté, dans le quartier de ma jeunesse, à Porrentruy, nous étions entourés de familles socialistes. Je me disais que je pourrais aussi voter comme eux.»

Par la suite, nul doute qu’elle ne l’a pas trop fait... Son père, lui, avait un avis tranché: «Les socialistes sont certes des gens fort charmants, mais pas jusque dans l’isoloir!»

Avec l’appui de son mari

En tout cas, depuis que ce droit lui a été conféré, Geneviève Aubry n’a jamais raté un scrutin. Députée durant deux ans et conseillère nationale pendant quatre législatures, elle a authentiquement marqué la politique du Jura bernois comme celle du pays, et évidemment l’évolution de la femme dans ce milieu longtemps macho. On y revient tout de suite.

Son mari, dans tout ça? «Eh bien, c’était un libéral-radical convaincu tout comme moi. Mais pour ce qui a trait au droit de vote, il y était plus favorable encore que mon père. Il est vrai que ce dernier avait aussi trois sœurs. Il estimait que cela faisait un peu beaucoup de bulletins...»

Eu égard à ce qui précède, on aurait pu imaginer que notre interlocutrice n’attendait que ce nouveau droit pour s’engager en politique. Que nenni! Forcée dans son jeune âge de se farcir politiciens et séances de représentation quand elle accompagnait son père, elle avoue aujourd’hui avoir alors bâillé plus souvent qu’à son tour.

Une femme pour le PLR

Mais figurez-vous que ce n’est pas la Question jurassienne qui l’a fait changer d’avis en 1978, quand elle s’est présentée au Grand Conseil: «Ce sont les gens de mon parti, mais aussi des industriels du Jura bernois, qui ont estimé que le PLR avait besoin d’une femme. Au début, je ne comprenais pas pourquoi, je ne parlais même pas le dialecte bernois.»

Elle avoue quand même que le Conseil national l’intéressait davantage, notamment après avoir visité tout le canton et aussi rencontré «des gens très tolérants».

En 1978, sept ans après le vote décisif, Geneviève Aubry ne se considérait certes pas comme une pionnière: «Nous n’étions plus vraiment des curiosités, mais nous n’étions pas tellement nombreuses, pour autant. Et à la tribune du Grand Conseil, j’avais l’impression qu’on nous écoutait moins. Moi en particulier, parce que je m’exprimais en français...»

6500 adeptes

Reste que l’ancienne conseillère nationale est persuadée que les femmes ont permis de changer la politique, tout en admettant qu’il leur a longtemps été difficile de se faire entendre: «Tel a été le cas dans le cadre de mon parti. Pour résumer l’état d’esprit de l’époque, ces Messieurs savaient. Nous, nous apprenions... Enfin, c’est ce qu’ils clamaient. En prime, ils avaient une forte propension à nous dire comment voter.»

Ce que l’intéressée, n’a jamais supporté, on s’en doute aisément.

Son fait d’armes féministe? Avoir créé en pleine Question jurassienne le fameux Groupement féminin de Force démocratique, qui compta jusqu’à 6500 sociétaires dans le Jura bernois. Sapristi! ne faisait-elle donc pas confiance aux hommes? «Ce qui est sûr, c’est que j’ai toujours été en contact étroit avec eux, parce que mon père a dirigé l’Ecole normale de Porrentruy, milieu très masculin, alors. Et je ne parle même pas de sa longue carrière politique. Non, je ne les crains pas.»

Pour ce qui est du Jura bernois, elle avoue tout de même qu’elle ne faisait pas trop confiance aux mâles antiséparatistes: «Il y avait tellement de benêts qui s’occupaient de défendre la région. Et ils n’acceptaient pas trop les femmes. Pourtant, je connaissais la Question jurassienne aussi bien que ces Messieurs. Ils ont dû s’habituer!»

Cela dit, Geneviève Aubry ne se définit pas vraiment comme une féministe. Tout simplement parce qu’elle a trop évolué – c’est un paradoxe – dans ce milieu masculin. Les féministes d’aujourd’hui? «Moi, je n’ai pas demandé aux autres de faire la grève. Avec le GFFD, j’ai pris les devants.»

Une égalité de fait, si...

De toute façon, cette forte personnalité affirme qu’aujourd’hui, une femme au bénéfice de la même formation qu’un homme aura la priorité pour décrocher le poste: «Bon, il a fallu parcourir un long chemin, car les hommes avaient justement peur de cela. Reste que l’égalité est désormais bien réelle. Les femmes ont gagné en prenant des responsabilités. Mais pour cela, il faut se montrer aussi ferme, aussi dure et aussi engagée qu’un homme. Par contre, je ne comprends pas que certaines d’entre nous pleurnichent et se prétendent défavorisées quand elles n’ont pas les qualités requises pour décrocher un poste ou une fonction et qu’elles ne l’obtiennent pas.»

On ne la refera pas, Geneviève Aubry!

Articles correspondant: Région »