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Impertinences

Plus que quatre espèces sur Terre?

La poussée démographique de l'espèce humaine provoque la sixième grande vague d'extinction depuis 500 millions d'années

Quel est le point commun entre le Cambrien (-500 millions d'années), l'Ordovicien (-440), le Dévonien (-367), le Permien (-245) et le Crétacé (-65)- Toutes ces époques géologiques se sont achevées par une grande vague d'extinction d'espèces végétales et/ou animales. Ce sont les cinq grandes disparitions connues des paléontologistes.

Pour le grand public en revanche, seule la dernière, celle du Crétacé est bien connue, puisqu'elle a entraîné la fin des dinosaures. Mais depuis le Congrès mondial de la nature qui s'est tenu à Bangkok en 2004, les spécialistes de la biodiversité se sont mis d'accord sur une triste évidence. Il existe une sixième vague d'extinction, et elle se déroule maintenant.

Entre les cinq premières et celle qui se produit sous nos yeux, il faut tenir compte d'une distinction majeure. Les premières ont été provoquées par des bouleversements géologiques et climatiques intenses tels qu'hyper-volcanisme, périodes glaciaires, baisse du niveau des océans ou chute de météorites. La sixième est la seule à se produire depuis l'apparition de l'espèce humaine et la seule à avoir été provoquée par un élément du vivant, l'homme précisément. Sa croissance démographique est foudroyante depuis deux siècles et elle entraîne une utilisation toujours plus intensive des ressources disponibles en s'accompagnant de pollutions ingérables.

La vague d'extinction actuelle est à coup sûr la plus rapide de toutes - utile rappel pour ceux qui ont du mal à faire la distinction entre les temps géologiques et la durée de leur courte vie.

L'humanité moderne (cro-magnon) existe depuis 125 000 ans environ. Sa croissance a subi des hauts et des bas, mais sa première «toute petite» poussée de fièvre est due à la révolution du néolithique, avec l'apparition de l'agriculture et de la sédentarisation. Après une longue courbe presque plate, elle n'a atteint le premier milliard d'individus qu'avec l'ère industrielle, vers 1800, c'était hier! Depuis là, tout s'est emballé, les centenaires d'aujourd'hui sont nés entourés de moins que 2 milliards de congénères. Les cinquantenaires avaient déjà 3 milliards d'amis le jour de leur naissance et ceux qui fêtent aujourd'hui leur vingtième printemps avaient 5,5 milliards de fées penchées sur leur berceau. Ils se sont vite mis au boulot, puisque le cap des 7 milliards de bipèdes a été pulvérisé en 2011.

Tous consommateurs!

Evidemment, la notion de surpopulation humaine est mal acceptée chez les bien-pensants et on entend parfois des discours lénifiants tels que «l'Afrique comptera bientôt 2 milliards de consommateurs à elle seule, c'est une chance inouïe pour l'économie mondiale.»

Les démographes tablent sur une stabilisation de la population vers les années 2050. Ont-ils raison ou sont-ils d'incorrigibles optimistes- Admettons qu'ils aient théoriquement raison. Leur vision selon laquelle l'élévation du niveau de vie des populations entraîne immanquablement la baisse de la natalité semble tenir la route. Elle souffre pourtant d'une grosse épine dans un talon qui pourrait bien être celui d'Achille. Parce que leur postulat repose sur l'idée que les populations cessent de croître démographiquement à partir du moment où elles bénéficient d'une croissance marquée de leur niveau de vie, donc de leur impact sur l'environnement.

Très cyniquement, on peut se demander ce qui est préférable (ou simplement possible) entre aller vers une population mondiale de 15 milliards d'individus dont deux tiers de crève-la-faim ou une population qui se limiterait à 9 milliards de gens suffisamment aisés pour prétendre manger de la viande tous les jours, rouler en bagnole et aller en vacances sous les trois derniers cocotiers de la plus lointaine île du Pacifique.

En gros, et selon des données fournies par le WWF, il faudrait 4,5 planètes comme la nôtre pour faire vivre l'ensemble de la population mondiale actuelle au niveau de vie d'un Américain moyen. En revanche, elle suffirait à faire vivre 14 milliards d'humains au niveau de vie moyen de l'Inde. Et la biodiversité dans tout ça- Le choix est simple, on remplace toutes les espèces sauvages par des vaches, des cochons et des poules, indispensables pour gaver tout le monde, ou on anéantit tout pour faire de la place aux humains qui se marchent dessus.

Les optimistes de la croissance l'ont bien compris, eux qui parlent désormais sans rougir - et même sans rire - d'aller bientôt coloniser la planète Mars pour se prémunir de l'inévitable dégradation des conditions de vie sur notre pauvre Terre. Bon, il paraît que les titres de transport pour Mars la rouge ne seront pas en vente à la gare de Calcutta. On se demande bien pourquoi.

Il existe une sixième vague d'extinction, celle que nous vivons maintenant.

Et si on remplaçait toutes les espèces sauvages par des vaches, des poules et des cochons-

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