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Courses de Bienne

Et à la fin, les larmes!

Après des mois de préparation et une nuit faite de hauts et de bas, l’équipe des médias biennois a mené à bien son projet de courir les 100 Km. Récit en immersion au cœur de la Nuit des Nuits.

Il était 9h19 samedi matin lorsque l’équipe des médias biennois a franchi la ligne d’arrivée des 100 Km devant le Palais des Congrès, après très exactement 10h19’14 d’un intense effort collectif (Copyright Peter Samuel Jaggi / Le Journal du Jura)

Christian Kobi

Vendredi soir, 22h59 et des poussières sur la place de l’Esplanade:  «Cinq, Vier, trois, Zwei, un, Los!» La déflagration qui marque le départ des 100 Km en estafette vient mettre un terme à une interminable journée d’attente, passée à jongler entre angoisse, appréhension et excitation. Premier relayeur de l’équipe des médias biennois, Francisco Rodríguez négocie parfaitement son premier virage et file à toute allure à travers la rue Centrale. A l’œil, le journaliste du Bieler Tagblatt tient une pêche d’enfer. De bon augure.

23h05 Pendant que Murielle Phillot (Canal 3), qui s’attellera à parcourir la dernière étape au petit matin, s’en va grappiller quelques heures de sommeil à la maison, l’aventure commence aussi pour Virginie Ducrot (TeleBielingue), Lyndon Viglino (Canal 3) et moi-même (JdJ). Première difficulté logistique: réussir à quitter Bienne et ses nombreuses routes fermées à la circulation au moyen de notre véhicule privé pour rejoindre Aarberg, lieu du premier passage de témoin. Pas une mince affaire, en réalité.

23h55 Arrivée, enfin, à Aarberg. Sur le pont en bois et la place du village de la cité sucrière, la foule est compacte, l’ambiance à la fête. La bière coule à flots. Mais on passe notre tour, pour l’instant...   

00h33 Francisco Rodríguez pointe déjà le bout de son nez dans la zone de transition d’Aarberg. Sous une fine pluie, le visage marqué par l’effort, il transmet le dossard muni d’une puce électronique au deuxième relayeur, Lyndon Viglino. Alors, cette course? «Dur, très dur», grimace-t-il. Si la traversée de Bienne a été «un véritable plaisir», les premières difficultés sont apparues dès la montée vers Port. «Heureusement, chez moi à Bellmund, j’ai pu embrasser ma femme, taper dans les mains de mes enfants. Cela m’a donné une énergie folle pour la suite.» Et il en a bien eu besoin, «Paco». «Le plus dur a été la descente après Jens, au kilomètre8. Cela m’a complètement scié les jambes. A partir de là, chaque pas était une souffrance. J’avais mal au pied droit, j’ai senti que j’atteignais mes limites, mais j’ai serré les dents pour arriver au bout.» Et dans un temps canon, qui plus est. Chapeau!

01h20 Oberramsern, bourgade soleuroise d’une centaine d’habitants à peine située au kilomètre 38. Quelques fermes illuminées, dont l’une sert de zone de ravitaillement et de transition. En attendant Lyndon Viglino, qui déverse ses litres de sueur sur les routes du Seeland, on observe le ballet incessant des coureurs, tous munis de leur lampe frontale, l’un des 100 Km, l’autre des 56 km, le suivant des estafettes. Ici, les effluves de houblon ont laissé la place aux traînées de pommade, signe que les douleurs n’épargnent déjà plus grand monde.

02h00 Premiers bâillements. Heureusement, la voiture permet de nous maintenir au chaud et à l’abri de la pluie, qui s’abat de plus belle. On ferme les yeux quelques secondes, guère plus, histoire de mettre quelques forces de côté.

02h38 Un homme déboule dans la nuit, la démarche titubante. On croit reconnaître Lyndon Viglino. «Ça fait 500 mètres que je vais mourir», assène-t-il, la cuisse gauche malmenée par une crampe. Dans sa souffrance, le journaliste de Canal 3 prend la peine de transmettre le témoin à Virginie Ducrot, dont la mission sera de rejoindre Kirchberg, 18,1 km plus loin, avant d’aller se remettre de ses émotions derrière une ferme, à l’abri des regards. Ouch!

02h50 Ses esprits retrouvés, Lyndon Viglino ne fuit pas ses obligations médiatiques. «J’avais décidé de ne pas regarder ma montre en courant, mais juste d’écouter mon corps», dévoile-t-il. Une tactique qui a longtemps porté ses fruits. «Je me sentais vraiment bien. Tellement bien que quand j’ai eu l’impression que je courais depuis deux heures et que je pensais être arrivé au bout, j’ai quand même jeté un coup d’œil à ma montre. En fait, j’en étais à 1h20 de course et je n’avais parcouru que 14 kilomètres...» Un coup dur. «Il me restait alors plus de 7 kilomètres à effectuer. Mais j’ai réussi à rester positif. Et le fait d’être toujours entouré de coureurs m’a beaucoup aidé.» Jusqu’au bout, alors, Lyndon a tout donné. Jusqu’à 500 m de la fin, jusqu’à cette crampe. «Là, c’était vraiment dur!»

03h35 Nous voilà à Kirchberg, dans l’Emmental, prochaine zone de transition et lieu d’arrivée de l’ultra-marathon de 56 km. Fini le calme de la campagne soleuroise, ici la sono balance du «Barbie Girl» et du «99Luftballons». Une chaude ambiance qui peine à masquer la fraîcheur de la nuit: il doit faire 8, maximum 10 degrés.

04h42 C’est dans ce froid que j’attends, fébrile, l’arrivée de Virginie Ducrot. La présentatrice de TeleBielingue me passe le dossard électronique après2h04 d’un effort tout en maîtrise. «Je n’aurais pas pu aller plus vite», admet-elle. «En raison de l’humidité, j’ai rapidement ressenti des douleurs dans mes articulations, aux genoux, à une hanche, sous les pieds.» Malgré cela, elle parvient tout de même à accélérer sur la fin. «Quand j’ai vu qu’il ne me restait plus que deux kilomètres, j’ai poussé la machine à fond!» Avec succès.

05h18 J’atteins le premier point de ravitaillement de mon parcours, après environ 6,5 km de course (kilomètre 62,5). En raison de la fraîcheur ambiante et de la fatigue inhérente à une nuit blanche, j’ai opté pour un départ tout en douceur. Inutile de me griller trop rapidement, me dis-je en avalant un verre d’eau aussitôt suivi d’un thé chaud.

05h31 Je dépasse le panneau indiquant le kilomètre 65. Désormais «chaud comme la braise», je décide de passer à la vitesse supérieure. Le mouvement est fluide, la foulée cadencée. Au milieu des champs, accompagné par les chants des oiseaux et les premières lueurs du jour, je me sens pousser mes ailes. La sensation est unique, presque indescriptible. Oui, ça y est, je vole!  

06h10 Evidemment, tout cela était trop beau pour durer. Le contrecoup est brutal. Lorsque j’entame le (très) long faux plat montant vers Bibern, je n’ai plus aucune énergie dans le réservoir et ma jambe droite n’est plus qu’un douloureux boulet à traîner. Ai-je négligé la nutrition aux différents points de ravitaillement? Peut-être. Mais je n’ai pas le choix: accepter est la seule option qui s’offre à moi. Je pense alors à la portion de frites qui m’attendra sûrement à l’arrivée, et à la bière fraîche qui l’accompagnera. Ça va déjà mieux.

06h36 Fin du calvaire. J’arrive à Bibern dans un état second, l’esprit brouillé, au point de transmettre la banane que je porte autour de la taille, et non le dossard, à notre dernière relayeuse, Murielle Phillot. Heureusement qu’attentive, elle remarque vite la supercherie...

09h18 Après plus de 2h40 d’effort, l'animatrice de Canal 3 arrive au bout de la plus longue étape de la nuit (23,3 km). Son parcours, qu’elle avait reconnu au préalable, elle l’a fragmenté au rythme des ponts qui le jalonnent. «Cela m’a aidé à y aller étape par étape», dira-t-elle. Et quand le dernier pont, celui d’Aegerten, s’est fait désirer, Murielle Phillot est allée puiser au fond d’elle-même. «Les encouragements de mon copain et de mes amis à Büren m’avaient donné une énergie incroyable. A partir d’Aergerten, j’ai commencé à me parler à moi-même pour me motiver Je me suis dit qu’il ne me restait plus que cinq kilomètres, que je pouvais le faire.» Et elle l’a fait!

09h19 Les derniers mètres, c’est en équipe et main dans la main que nous les effectuons. L’émotion de chacun est palpable. Le sentiment du devoir accompli, après 10h19’14 d’un intense effort collectif, immense.  A bout de forces, épuisée par une nuit éreintante, Murielle Phillot tombe en larmes dans les bras de son copain et de ses parents. Des larmes de joie, sincères et communicatives.

09h45 C’est l’heure de la première tournée de bières. D’autres suivront. Huit mois après avoir lancé notre projet, huit mois après avoir réuni une équipe de coureurs débutants, l’objectif est atteint: la Nuit des Nuits a été vécue de l’intérieur. C’était beau, c’était riche. C’était une première, mais peut-être pas la dernière.

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