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Courses de Bienne

Le "p'tit" Vieux reprend le flambeau

Florian Vieux plus fort que son mentor David Girardet

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Textes: Laurent Kleisl  Photos: Peter Samuel Jaggi

«Il est en forme, le p’tit Vieux!» David Girardet n’avait pas menti. Le «p’tit Vieux», c’est Florian Vieux, un Chablaisien de 26ans, nouveau roi des 100 Km de Bienne. Du Palais des Congrès au Palais des Congrès en 7h14’00 tout rond, il a devancé, dans la nuit de vendredi à samedi, le Seelandais Rolf Thallinger de 16’23’’ (voir par ailleurs) et le Saint-Gallois Daniel Fürer, pointé à 21’39’’. Quatrième à 36’54’’, un certain Girardet. Le favori. Le vainqueur des éditions 2010 et 2012. L’entraîneur du fameux «p’tit Vieux». «De le voir devant, ça fait plaisir. Il a tellement bossé», souffle le Fribourgeois battu. «C’est un gros talent. Et avec son âge, il peut en aligner quelques-unes. Je suis très heureux pour lui.»
Dans la «Nuit des Nuits», la course s’est jouée quelque part entre Kirchberg et Gerlafingen. Au petit matin. Entre fous de l’effort, aux alentours du km 65. «David avait un petit coup de mou», explique le «p’tit» Vieux. «Au début, je l’ai un peu attendu, mais comme il plafonnait, je me suis dit que je devais essayer.» Le champion sortant corrobore, marqué par l’effort comme jamais en cinq participations: «J’ai vu qu’il m’attendait. Puis il est parti.» L’instant où le père a donné les clés au fils. Avec un conseil: prudence, gamin, il y a de la route. Deuxième en 2012 derrière son mentor (7h05’45), le citoyen de Collombey-Muraz a repris le flambeau. Dignement. La différence? «Ma sale tronche!»
C’est qu’émotionnellement, la fatigue est bien plus intense que celle générée par le chatouillement des courbatures. «Quand tout fonctionne, c’est magnifique», s’envole Florian Vieux. «Ça fait presque une année que je m’entraîne pour ça.» Généreux comme un Valaisan à l’appel de l’apéro, il lance: «C’est le plus beau jour de ma vie. Quand on est dans la course, qu’on est devant, qu’on se met à calculer, qu’il reste trois kilomètres et que le 2e est à plus de 10minutes, tout à coup, il y a une petite larme qui vient.»  
En plus, le gars, même pas mal! «Sur la fin, c’est à la rage. Dans les 10 derniers kilomètres, je me mettais toujours la même chanson, je pressais sur la touche ‹répète›. Je savais qu’elle durait 4’20’’, l’équivalent d’un peu près un kilomètre. Je me suis dit que jusqu’à l’arrivée, ça faisait 10 fois cette chanson.» Un nom? Un style? Un groupe? «Je ne sais pas, je ne sais plus, en fait, je me rappelle de plus rien du tout!» Une petite piste, mais pas celle d’ Ho-Chi-Minh? «Avec la musique, je suis un peu dans mon petit monde. J’ai mis de tout, pas mal de Bob Marley. Sur la fin, il faut quelque chose qui tape! De toute façon, dans le final, il ne reste plus que l’adrénaline. Dans la tête, j’étais chez moi. Je me rappelais un copain qui habite à 5km. Et je me disais: ‹Allez, encore trois aller et retour!›» Et il précise, histoire d’ajouter une touche d’humanité mécanique à son récit: «Mes jambes? Des cailloux!»
Florian le mélomane n’oublie pas son mentor, son coach, l’homme qui, inconsciemment, a scié la branche sur laquelle il était assis. «Je remercie David. Je me suis entraîné avec lui, on est parti ensemble s’entraîner à Saint-Moritz. Courir dans la neige au mois de janvier, c’est de la pure folie, mais ça paie.» Plus de 600km en deux semaines pour durcir les mollets. Et ce n’est que le début. «Mon formulaire d’inscription pour le marathon des Sables dans le désert du Maroc est prêt», annonce Florian Vieux. «Avant de l’envoyer, je voulais voir ce qu’il se passait aux 100Km. Là, c’est sûr, je vais signer les papiers! Avec Saint-Moritz, ça me fera à peu près 70 degrés de différence!»

Girardet dans le dur
Il pensait passer sous les sept heures, Florian Vieux. Il a failli. «Rien à taper!», se poile-t-il. Par osmose, David Girardet a également manqué cet objectif. «J’ai assez rapidement été dans le dur», confie le champion sortant, 34ans. «Cette édition des 100Km, c’est mon chemin de croix, j’ai même pensé abandonner. Mais comme c’est la dernière fois que je participe, je ne voulais pas que cela se termine ainsi. Par respect pour la course et pour ses organisateurs, je n’ai pas mis la flèche. Je suis simplement heureux d’être arrivé au bout. J’ai souffert comme jamais. Dès le départ, j’avais les muscles durs. C’était un jour comme ça. Je n’ai pas d’excuses, Florian était plus fort.»
Florian, désormais, est devant. Il a repris le flambeau. Le nouveau boss, c’est lui. «Je ne me suis jamais retourné, car ce n’est jamais bon signe», souffle-t-il. Et il a très bien fait.

Gabriele s'abandonne

Chez les dames  Seule dans la nuit, avec une douleur sourde comme unique compagnonne. C’est le résumé de la course de Gabriele Werthmüller. Victorieuse chez les dames en 8h30’27 – sa meilleure performance en quatre participations aux 100Km de Bienne –, la coureuse de Zuchwil avoue. Pour peu, elle ne voyait pas le Palais de Congrès samedi au petit matin. «Oui, un instant, j’ai songé m’arrêter...», confie-t-elle, un sourire radieux illuminant un visage bercé par un sentiment noble, celui de l’accomplissement. Troisième en 2012 et deuxième en 2011, Gabriele Werthmüller a puisé de l’énergie dans la fragile étiquette dont elle était affublée au départ vendredi soir. «J’étais la favorite chez les dames, et c’est sensationnel pour moi d’avoir pu assumer ce rôle. Je suis très heureuse de ne pas avoir abandonné.»
Dans l’historique de sa nuit, qui n’a eu de douce que la météo, la Soleuroise de 39 ans a rapidement senti les effets néfastes de l’effort démesuré. «Après 28 km, je me suis retrouvée avec un point sur le côté», raconte-t-elle. «Je me suis alors concentrée sur ma respiration, comme pour un accouchement. Ce passage m’a beaucoup fatiguée. Entre le 30e et le 50e kilomètre, c’était incroyablement pénible... Ensuite, je me suis petit à petit sentie mieux.» Seule en tête depuis le km 8, Gabriele Werthmüller, qui a laissé sa dauphine Lucilia Delperdro (Payerne) à 29’37’’, s’est reprise au mental. «Lorsqu’elle était mal, je n’ai rien dit. En fait, quand je lui parle, ça l’énerve!», se marre son concubin, cycliste accompagnateur le temps du voyage. Et sa Gabriele a déroulé. Jusqu’au Palais de Congrès, tout là-bas au bout du chemin. «C’est certain, l’année prochaine, je serai là», lance-t-elle. Le bonheur, finalement, c’est simple comme 100 kils.

Rolf, l'éternel deuxième

Juste derrière «Je me suis dit que c’était peut-être ton année! Tu mériterais de gagner une fois.» David Girardet a la défaite facile. Il se marre. Le champion déchu enlace Rolf Thallinger. L’accolade est sincère. Le Seelandais de 44 ans, aujourd’hui établi à Berthoud, a dû une nouvelle fois constater que la plus haute marche des 100Km ne sera pas pour lui. Deuxième en 7h30’23, Thallinger répète sa meilleure performance de 2009 (en 7h19’40, son record), améliorant d’un brin ses troisièmes places de 2011 et 2012. Il est comme ça le Rolf, il laisse la gloire aux autres. Presque un vilain défaut. «Aux alentours de Kirchberg, j’ai connu une petite crise (km 55)», admet-il. «J’ai laissé partir un petit groupe de quatre coureurs. Ensuite, je me suis senti mieux. J’ai récupéré la 3e place dans le passage de Ho-Chi-Minh puis j’ai dépassé David Girardet à la hauteur de Biberist (km 70). J’ai tout de suite creusé un petit écart sur lui.» Lessivé, le moral en berne, le Fribourgeois ne reviendra pas, laissant s’évanouir ses espoirs dans la campagne seelandaise.
Pourtant, en plus de la folie de l’effort surdimensionné, un trait commun lie Thallinger à Girardet. En 2014, aucun des deux ne sera au départ des 100 Km de Bienne. «Je dois demander à ma femme, car c’est elle qui me suit en vélo», rigole le Seelandais, dont c’était la dixième participation à la «Nuit des Nuits». Puis, plus sérieusement: «Je pense que je ferai certainement l’impasse sur la prochaine édition. Les 100 Km demandent une grosse préparation, c’est un programme étalé sur toute l’année à raison de quatre à cinq entraînements par semaine.» Le podium des «100 Kils» perd, de façon éphémère tout du moins, un de ses plus fidèles occupants.

Qui d'autre que Willy?

Tavannois Les 100Km de Bienne se nourrissent des traditions qu’ils génèrent. Et dans le monde des fous de la savate, il existe quelques incontournables. Parmi eux, Willy Bartlome. Comme d’habitude, le Tavannois de 56 ans a bouclé son hectokilomètre avec le statut très honorifique de meilleur forçat du Jura bernois, 62e après 9h19’16 d’aventure nocturne. «Je suis très content de ma course, même si j’ai perdu un peu de temps sur la fin. Je suis peut-être parti un peu vite, aussi», glissait-il samedi matin sur la ligne, à peine essoufflé. «La météo était parfaite, propice à des records. D’ailleurs, le premier, il a fait combien?» Le premier, c’est Florian Vieux, et il est resté très loin du record détenu depuis 1996 par le Zurichois Peter Camenzind, en 6h37’59, sur un parcours un brin différent il est vrai. Willy Bartlome, également, n’a pas approché sa meilleure marque, établie en 8h47’40 en 2010 (24e).
Inusable, le Tavannois admet que petit à petit, il «commence à sentir le poids des années». «Les jambes ne me posent aucun problème, c’est plutôt le souffle...», sourit-il. «C’était ma 26e participation aux 100 Km de Bienne et tant que je le pourrai, je continuerai!» C’est que l’éternel jeune homme a les fourmis dans les jambes. Fin août, il projetait de participer à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, épreuve dont on vous fera grâce, par décence, des mensurations. «Il y a déjà trop d’inscriptions», souffle Bartlome. «Et la mienne n’a pas été retenue. Qui sait, l’année prochaine...» Inusable, oui, c’est bien le mot. Au point que même les soins d’après-effort, il les passe godasses aux pieds. «Les massages, cela n’a jamais trop été mon truc», dit-il. «Quelque chose comme 10 km de décrassage samedi soir, cela devrait suffire.» S’il le dit...

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