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Enseignement

Il peut enfin savourer sa victoire

Après une longue bataille juridique de sept ans, Fabrizio Gasperina obtient finalement la reconnaissance de ses diplômes d’enseignant.

Il aura fallu du courage et de la patience à Fabrizio Gasperina pour être reconnu dans ses droits.

Philippe Oudot

Fabrizio Gasperina est aujourd’hui un homme heureux. Après un bras de fer engagé contre la CDIP (Conférence des directeurs de l’Instruction publique) il y a sept ans (voir encadré), cet enseignant neuchâtelois vient d’obtenir gain de cause. Faisant suite à un arrêt du Tribunal fédéral rendu il y a plus de trois ans, et conformément à la loi fédérale sur le marché intérieur LMI, la CDIP vient en effet de lui délivrer une attestation reconnaissant qu’il peut désormais enseigner la géographie dans les degrés secondaires I et II, ainsi que l’anglais au secondaire I. «Mon avocat a tout récemment reçu ce document, rédigé encore sous forme de projet. Il confirme que mes autorisations d’enseigner ont valeur de certificat de capacité. Je devrais recevoir mon attestation proprement dite d’ici peu», se réjouit Fabrizio Gasperina.

Il constate néanmoins que la CDIP aura traîné les pieds avant de devoir se raviser, car la décision de Tribunal fédéral date du 31 août 2010… Il observe en outre que la CDIP a en quelque sorte «monnayé» sa décision, en se disant prête à lui accorder cette attestation à condition d’en rester là. Par crainte que Fabrizio Gasperina ne demande des dommages-intérêts? «Je ne sais pas. Mais en l’occurrence, je suis d’accord d’en rester là, car j’ai obtenu gain de cause, et c’est là l’essentiel.»

Pas un précédent

Quoi qu’il en soit, si la CDIP souligne le caractère unique de sa décision dans ce document, elle précise que «cette attestation ne constitue pas un précédent pour d’autres cas». Un point qu’il juge comme étant plutôt dérangeant, car d’autres enseignants pourraient fort bien se prévaloir de cette décision. «Pour moi, c’est bien sûr une victoire, mais je ne suis pas seul dans mon cas. Car si HarmoS favorise la libre circulation des élèves dans les différents cantons, cette liberté n’est pas encore aussi évidente pour les enseignants.» Il note toutefois que selon son syndicat, «c’est une disposition qui ne tiendrait pas la route si quelqu’un devait la contester devant un tribunal». Cette reconnaissance de la LMI pourrait ainsi faire jurisprudence et profiter à d’autres professions aujourd’hui protégées, par exemple dans le domaine médical.

S’il savoure pleinement sa victoire, Fabrizio Gasperina n’entend toutefois pas lâcher son job actuel – il travaille comme traducteur au service de la Confédération. Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on… En revanche, il se verrait bien réduire quelque peu son taux d’occupation et prendre quelques heures d’enseignement en géographie et en anglais par semaine – pour autant qu’il trouve une place, «ce qui n’est pas évident du tout, même si tout le monde parle de pénurie d’enseignants», conclut-il.


Un véritable parcours du combattant

Formation  Titulaire d’une licence en lettres (géographie et anglais) obtenue en 1997, Fabrizio Gasperina avait ensuite poursuivi sa formation au Séminaire pédagogique de l’enseignement secondaire (SPES, l’ancêtre de la HEP BEJUNE) pour pouvoir enseigner ces deux branches au niveau secondaire I (6e à 9e) et au secondaire II (gymnase, école de commerce, etc.)

Si tout se passe bien en géographie, son maître de didactique d’anglais, avec qui le courant passe mal, rédige un rapport défavorable, malgré ceux, positifs, de ses différents maîtres de stage. Résultat: la commission scolaire du SPES refuse de lui délivrer son CAP (certificat d’aptitude pédagogique). Elle lui remet toutefois une autorisation d’enseigner la géographie et le laisse reprendre sa formation pour l’anglais. Ce qu’il fait. Mais il tombe à nouveau sur le même prof de didactique d’anglais, toujours aussi intraitable. La commission du SPES s’en tient à nouveau à son avis négatif et prononce l’échec définitif de sa formation pour l’anglais.

Recours  S’estimant victime d’une injustice, Fabrizio Gasperina va enchaîner les recours, en vain, et entreprendre toutes les démarches possibles pour faire valoir ses droits. D’abord auprès de la HEP-BEJUNE, puis de la CDIP, en 2006. Sans succès. Il dispose certes d’une autorisation d’enseigner la géographie que lui a délivrée le SPES, mais ce diplôme neuchâtelois n’est pas reconnu ailleurs. Or il entend bien pouvoir exercer son métier – en anglais aussi – dans toute la Suisse, comme c’est le cas avec un diplôme HEP.

Au début 2008, après avoir remué ciel et terre, la Direction de l’instruction publique du canton de Fribourg lui reconnaît le droit d’enseigner la géo aux niveaux secondaires I et II, ainsi que l’anglais au niveau I. Mais il a besoin d’une reconnaissance de la CDIP pour pouvoir enseigner comme prof à part entière – et pas comme auxiliaire, sous-payé et au statut fragile – dans toute la Suisse. Mais la CDIP refuse d’entrer en matière.

Reconnu dans l’UE  Etant double national Suisse et Italien, il va tenter de faire bouger les choses en faisant valoir les accords de la libre circulation et de la reconnaissance des titres entre la Suisse et l’UE par le biais des accords bilatéraux. Il voit ainsi son diplôme neuchâtelois reconnu par l’Italie, ce qui, théoriquement, lui ouvre les portes de l’Europe entière, mais toujours pas celles de tous les cantons. Le problème, c’est que, selon la CDIP, on ne peut faire valoir une reconnaissance d’une reconnaissance.

Comco, puis TF  Sur conseil de son avocat, il demande un avis de droit à la Commission fédérale de la concurrence (Comco) en estimant que la CDIP enfreint les dispositions de la loi sur le marché intérieur, qui visent à faciliter la mobilité professionnelle. Cette instance fédérale lui donne raison et considère que son diplôme neuchâtelois équivaut à un certificat de capacité qui lui accorde le droit d’exercer son métier dans toute la Suisse.

La CDIP reste néanmoins sourde à cet avis de droit. Fabrizio Gasperina fait recours au Tribunal fédéral, qui lui donne partiellement raison, annule la décision négative de la CDIP en la priant de statuer à nouveau sur ce cas à la lumière des considérants de son arrêt. Finalement, il aura fallu presque trois ans pour que la CDIP se ravise et accepte de lui délivrer la précieuse attestation.


 

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