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Bienne

Mani Matter chanté en français

L'artiste Antoine Joly a traduit et mis en musique la légende bernoise Mani Matter. Un travail de bénédictin à savourer dimanche au Théâtre de Poche.

Photo: Pedro Rodrigues

Julien Graf

Mani Matter. L’antihéros par excellence, devenu monstre sacré sur les rives de l’Aar. Juriste propret au service de la Ville de Berne le jour, l’homme se muait en auteur, compositeur et interprète libertaire la nuit. Amoureux des mots, le moustachu à guitare savait mieux que quiconque susurrer de petites histoires douces, amères et souvent corrosives. Brusquement enlevé à la vie en 1972 à l’âge de 36 ans, il est encore aujourd’hui porté aux nues, inscrit au registre des traditions vivantes recensées par la Confédération. «Bim Coiffeur», «Eskimo» ou encore «Hemmige» ne sont que quelques joyaux repris de génération en génération, dans les salons feutrés comme dans les bars enfumés.

Mais voilà, sa gloire Mani Matter l’a écrite en bärndütsch uniquement. Jusque-là, personne n’avait essayé de chanter en français les textes de ce Brassens d’outre-Sarine. L’artiste Antoine Joly, lui, a osé. Avec ses acolytes musiciens John Menoud et Dragos Tara, il présente  dimanche une petite vingtaine de chansons au Théâtre de Poche à l’initiative des Spectacles français. «L’idée n’est surtout pas de se substituer à l’œuvre originelle mais d’ouvrir l’univers de Mani Matter aux Romands. Cet hommage essaie de recontextualiser son héritage dans sa dimension humoristique, philosophique et profondément humaniste», observe Antoine Joly, enfant de Tramelan mais Biennois d’adoption depuis près de 10 ans.

Apprendre le bärndütsch grâce à la musique

Cette idée un peu folle, née de l’imaginaire débordant de cet amoureux des lettres et des notes, s’est cousue de fil en aiguille. En 1998, alors âgé de 23 ans, Antoine Joly, de retour d’un séjour au Caire revient habiter chez ses parents à Tramelan avec la ferme intention d’apprendre le Suisse allemand et «d’approfondir la compréhension de mes origines», comme il aime à le rappeler. Antoine Joly apprend alors les rudiments de ce dialecte en traduisant les paroles des chansons de Mani Matter. «Ma mère l’écoutait déjà quand j’étais petit mais je n’y comprenais rien. Là, j’ai vraiment pu appréhender la profondeur des textes. Apprendre une langue via un chansonnier comme lui, il n’y a rien de plus beau», s’enthousiasme-t-il. L’esprit vif et les mots riches de Mani Matter trouvent alors une nouvelle vie, en français cette fois. «Mais ce n’est que 10 ans plus tard, il y a deux ans environ, que j’ai ressorti le tout de mes tiroirs. Matter & Co Verlag, qui veille sur les droits d’auteurs et de traductions, en a exceptionnellement autorisé l’usage mais pour trois concerts uniquement. On en a déjà joué deux à La Chaux-de-Fonds», souligne celui qui est aussi enseignant de clarinette à l’Ecole de musique du Jura bernois et au Conservatoire de Vevey-Montreux.

Retranscrire la finesse

Antoine Joly a aussi mis un point d’honneur à retranscrire au plus juste le propos et l’esprit de son illustre prédécesseur. Il a fallu un travail de bénédictin pour parvenir à reproduire ce qui fait l’unicité des chansons de Mani Matter. Le respect de la métrique, le jeu de rime, le sens figuré et littéral des expressions employées ont été autant d’obstacles à surmonter. Mais ce troubadour des temps modernes y est parvenu. «Hemmige» est devenu «Complexes», «Bim Coiffeur» s’est transformé en «Chez l’coiffeur», «A löu, e blöde siech, e glünggi un e sürmu» s’est mué en «Un niais, un abruti, un dadais et un beubeu». «Mani Matter avait une rhétorique si puissante, construite pour converger vers une chute humoristique ou philosophique. Avec mes musiciens, on a vraiment tenu à respecter la prédominance du texte. Comme Brassens, Mani Matter utilisait une guitare pour les mettre en valeur. On s’est donné pas mal de liberté à ce niveau. On lorgne vers le rock, parfois noisy, ou vers le jazz.»

S’il concède espérer secrètement pouvoir partir sur les routes de Suisse avec ce tour de chant réarrangé à la sauce française, Antoine Joly est conscient qu’il ne détient pas toutes les cartes en main. C’est aux ayants droit de se prononcer sur l’éventualité de prolonger la durée de vie du spectacle «Nous leur enverrons une copie enregistrée du spectacle et on verra. Comme ce qui imprégnait Mani Matter, notre but est de distraire tout en faisant réfléchir au travers de petites histoires qui traversent les époques.» Et qui, grâce à l’abnégation d’Antoine Joly, brisent désormais les barrières linguistiques. /

 

«Antoine Joly chante Mani Matter»:
Spectacle-chanson au Théâtre de Poche en vieille ville dimanche à 18h. Réservations fortement conseillées sur www.spectaclesfrancais.ch

 

«I han es zündhölzli azündt» / «L’allumette»


I han es Zündhölzli azündt        J’ai allumé une allumette
Und das het e Flamme gäh        une flamme s’est levée
Und i ha für d’Zigarette        et pour griller ma cigarette
Welle Füür vom Hölzli näh        j’ai pris l’ptit bois qui cramait
Aber ds Hölzli isch dervo-        mais l’allumette est du coup
Gspickt und uf e Teppich cho        tombée sur l’tapis en-d’ssous
Und es hätt no fasch es Loch         ça n’aurait-y pas dans le tapis
i Teppich gäh dervo.            fait presqu’un trou.
...                ...

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