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Autres temps, autres chronos

Le record de Peter Camenzind sur les 100 Km de Bienne tient depuis 1999. Tentative d’explication

Le tracé des différentes distances des courses de Bienne.

Laurent Kleisl

«Peter peut dormir sur ses deux oreilles!» Marc-Henri Jaunin est catégorique: le record de Peter Camenzind n’est pas près de tomber. En 1996, le Zurichois avait bouclé les 100 Km de Bienne en 6h37. Depuis, seul le Seelandais Walter Jenni a chatouillé la marque de référence. C’était en 2008. Le temps du Seelandais: 6h49. «Comme Camenzind, Jenni est prédestiné à la course à pied», note le Neuchâtelois de 46 ans, 3e des «100 Kils» 1999 en 7h09.

Vendredi dès 22h, les deux derniers vainqueurs en date tenteront de dompter la 57e Nuit des Nuits. Le Valaisan Florian Vieux (7h14 en 2013) et l’Alsacien Michaël Boch (7h20 en 2014), annoncés partants, ne penseront qu’à la victoire. Camenzind et son record? Une chimère.

Autres temps, autres chronos. «C’est une question de philosophie. La mentalité des coureurs a pas mal évolué ces 10 à 15 dernières années», observe Yves Jeannotat, journaliste et écrivain, jeune homme de 86ans, référence ultime dans le monde de la sueur.

La pression du boulot

La douleur de l’excellence, dans un sens, rebute la relève. Une question de génération, «et de tempérament», coupe Jaunin, entraîneur au CEP Cortaillod. «Les jeunes avec lesquels je travaille ont un tout bon niveau, ils s’entraînent volontiers quatre ou cinq fois par semaine, mais ils sont moins enclins à opérer les sacrifices que j’avais consentis à l’époque.»

Avant de terminer son tour du Seeland en 7h09, Jaunin s’était imposé entre 20 et 25 heures hebdomadaires de préparation. A cette charge s’ajoutait le temps de récupération (massages, sommeil, alimentation).

«Je ne suis pas un doué. Ainsi, je devais beaucoup m’entraîner, ce qui demande un énorme investissement», explique Jaunin. «De nombreux paramètres doivent être assemblés pour être au top le jour J. Et de nos jours, c’est bien plus compliqué, car la pression professionnelle est bien plus grande. De moins en moins d’employeurs acceptent des aménagements d’horaires. Quand Camenzind a signé son record, il était presque pro.»

Les chronos des derniers vainqueurs des 100 Km l’attestent, la marque de Camenzind a de beaux jours devant elle. Depuis 2009 et les 6h59 de Jenni, toujours lui, personne n’est descendu sous la barre des sept heures. «Aujourd’hui, les coureurs cherchent le plaisir, les bonnes sensations dans l’effort», glisse Jeannotat.

«Finalement, à quoi bon souffrir pendant 90 km pour ensuite se demander comment boucler les 10 derniers ‹kils›? Un compétiteur va bien sûr chercher la victoire ou un bon classement, mais plus nécessairement un chrono. En athlétisme, c’est différent, car la performance en elle-même est aussi importante que le classement.»

Une concurrence toujours plus étouffante

Autre fait avéré, les 100 Km de Bienne ont perdu de leur mythe. Toujours aussi appréciés des classes populaires, ils n’attirent plus la crème des épreuves d’ultra-endurance. «Longtemps, les 100 Km étaient une référence absolue», souligne Jeannotat. «Les meilleurs coureurs se préparaient pendant une année afin de réaliser un chrono à Bienne. De nos jours, il y a tellement de courses, de trails de 50, 70, 80 km. Il y en a tous les dimanches!»

Cette offre étouffante péjore la qualité de la participation. Samedi matin au départ de Couvet, le Trail de l’Absinthe désignera d’ailleurs le champion de Suisse de la spécialité après 75km à la force du mollet et, notamment, un sympathique passage au Chasseron (1606 m). «Il faut relativiser», rétorque Jaunin. «Les trails attirent plutôt des coureurs qui se lancent un défi en communion avec la nature. On peut compter les cracks sur les doigts d’une main.»

Autre facteur non négligeable, l’absence de colonie africaine sur les courses d’ultra-endurance inscrit encore un peu plus le record de Camenzind dans la durée. «Ces courses-là sont surtout une affaire d’Européens», poursuit le Neuchâtelois, qui vivra les «100 Kils» en estafettes. «Les Africains sont très forts dans la vitesse, ils sont faits pour des épreuves jusqu’à trois heures, pas pour les très longues distances.»

Heureux Peter Camenzind. Son nom scintillera en tête de liste encore un bon moment. «On n’est pas près de redescendre sous les sept heures. Les 6h37 de Camenzind soulignent surtout une énorme performance», conclut Jaunin. Respectueux d’un homme et d’une course, les légendaires 100 Km de Bienne.

Des records établis durant les années dopage

Peter Camenzind en 1999 lors du SwissAlpine Marathon. Archives Keystone

Ignorance Entre 1978 et 1997, seuls deux vainqueurs des 100 Km de Bienne, version masculine, ne sont pas descendus sous les sept heures. Deux décennies supersoniques. Deux décennies marquées par l’avènement du dopage institutionnel. Jusqu’à l’explosion du Tour de France 1998, quand l’équipe Festina s’est transformée en affaire Festina.

«Absolument, le dopage peut expliquer les temps alors réalisés aux 100 Km», lance Yves Jeannotat. Qui nuance son propos: «Aujourd’hui, tout est codifié et clairement établi, ce que n’était pas encore le cas à l’époque; les coureurs prenaient des produits sans savoir qu’ils étaient interdits. De nos jours, tous les sportifs sont tous très bien informés.»

A l’évocation du dopage, même à l’insu de son plein gré – pour reprendre la formule du cycliste français Richard Virenque –, Marc-Henri Jaunin fronce les sourcils. «En 1999, j’ai couru les 100 Km en 7h09 à l’eau claire!», assène-t-il.

Le Neuchâtelois défend Peter Camenzind, coureur qu’il a longtemps côtoyé. «Je le connais très bien, j’ai souvent couru avec lui et son compère Peter Gschwend, un autre athlète fantastique. Ces gars sont propres, ils ne sont pas du genre à prendre des trucs, je ne peux pas les imaginer se shooter à l’EPO. Pour moi, le record de Camenzind est totalement valable!»

Ignorance Plutôt qu’aux tricheurs, les records des 100 Km de Bienne s’offrent aux sportifs d’exception. Chez les dames, Birgit Lennartz détient toujours le temps de référence depuis 1998 et ses 7h37. Longtemps, le record mondial a appartenu à l’Allemande en 7h18, une marque aujourd’hui en possession de la Japonaise Tomoe Abe (6h33).

«C’est une question de prédispositions», reprend Jaunin. «Peter a d’énormes capacités. Il passe sa vie à courir. Il est grand et léger. Avec une telle morphologie, il est fait pour de telles distances.»

Le record planétaire masculin est depuis 1998 la propriété du Japonais Takahiro Sunada. Son temps: 6h13. Soit moins de quatre minutes au kilomètre.

Un autre monde.

57e édition des Courses de Bienne

Aujourd’hui

Kids Run (2000 et plus jeunes). Premiers départs à 17h45 (filles de 2010 et plus jeunes, 150 m). Inscriptions tardives au Palais des Congrès jusqu’à une heure avant le départ (programme complet et renseignements sur www.100km.ch).

Demain

16h-22h: distribution des documents de départ et inscriptions tardives. 21h: départ de la course loisir (13,6 km). 22h: départ des 100 Km. 22h30: départ du marathon et de semi-marathon de nuit. 23h: départ des 100 Km en estafettes. Tous les départs sont donnés devant le Palais des Congrès.

Samedi

0h15 remise des prix du semi-marathon à Aarberg. Vers 5h: arrivée des premiers concurrents des 100 Km. 7h45: remise des prix du marathon et des 100 Km dans la tente installée aux abords du Palais des Congrès. 19h: fermeture de la ligne d’arrivée des 100 Km.

Palmarès masculin

Les derniers vainqueurs des 100 Km. 2014: Michaël Boch (7h20, Saverne, France). 2013: Florian Vieux (7h14, Collombey-Muraz). 2012: David Girardet (7h04, Belfaux). 2011: Walter Jenni (7h11, Oberwil). 2010: Girardet (7h31). 2009: Jenni (6h59). 2008: Jenni (6h49). Record: Peter Camenzind (Zurich), 6h37 en 1999.

Palmarès féminin

Les dernières vainqueures des 100 Km. 2014: Denise Zimmermann (8h30, Mels). 2013: Gabriele Werthmüller (8h30, Zuchwil). 2012: Zimmermann (8h26). 2011: Daniela Sommer (8h10, Sempach). 2010: Branka Hajek (8h46, Ludwigsburg, Allemagne). 2009: Deborah Balz (8h34, Grub). 2008: Sonja Knöpfli (7h54, Winterthour). Record: Birgit Lennartz (Siegburg, Allemagne), 7h37 en 1997.

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