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Bienne: Théâtre de poche

Fricassée platonicienne au menu

Un cuisinier, un magicien et un philosophe se mettent à table

Avec ce trio en cuisine, la philosophie se déguste à toutes les sauces de l’humour. DR

Catherine Favre

Quand un cuisinier, un philosophe et un magicien conjuguent leur art, les nourritures sont forcément spirituelles. Et matérielles. Mais avec ces trois-là, «même quand c’est vrai c’est faux» (Henri Michaux).

Joyeusement, sans une once de pédanterie, Laurent Maire, cuisinier; Marc Feld, acteur magicien et Pierre Cleitman, philosophe musicien, convient le public à leur «table d’hôte», ce soir au Théâtre de Poche, en vieille ville.

Un voyage aux confins du visible et de l’invisible dans une célébration très personnelle du «Banquet» de Platon. Pendant que le chef s’active aux fourneaux, le penseur discourt avec une carotte dans l’oreille et le prestidigitateur se lance dans son numéro phare, la femme coupée en morceaux et raccommodée... en humble poireau!

Gastronomie, magie et philosophie se marient bien. Ce sont trois arts anciens, un peu secrets, qui traitent des mystères de la transformation. Le magicien agit sur la perception du réel, le philosophe sur la pensée et le cuisinier donne une apparence succulente à des produits peu appétissants.

Alors, même s’il y a de «petites choses à goûter» au cours du spectacle, le clou de la dégustation est au menu d’un bistrot imaginaire. Et quelle différence cela fait-il puisque «rien n’est plus vrai que la fiction»?

Laurent Maire, le chef cuistot

En cuisine: Installé dans le sud de la France, ce «chef alternatif» a longtemps pratiqué le métier «à l’ancienne avec casseroles volantes» avant de s’engager sur le front d’une alimentation saine et responsable: enseignant à l’Université de Montpellier (biologie et santé), intervenant dans des lycées, actif au sein d’associations comme Slow Food, il propose un regard différent sur «le fait alimentaire, source de plaisir, de convivialité, mais aussi de nombreux paradoxes.»

A table: Choucroute, hareng, petites surprises du chef et une version marxiste du BigMac sont à la carte de ce spectacle. Toutefois, dans ce ping-pong à trois, très rythmé, Laurent Maire ne fait pas l’acteur: «Je reste dans mon rôle de cuisinier, le plus naturel possible. Bien qu’habitué à donner des conférences, c’est une mise en danger nouvelle pour moi.»

Son plat le plus philosophique? «Le dernier, celui que j’aimerais faire avant de mourir.»

Et le plus magique? «Une friandise que j’avais créée pour un concours de cuisine moléculaire, c’était un bonbon à la gelée de bergamote fourré d’un sucre pétillant.»

Marc Feld, le magicien

En coulisses: Rompu à l’art de la magie depuis l’âge de 11 ans, metteur en scène, comédien, auteur, peintre, réalisateur et fondateur du théâtre du Maraudeur, à Paris, Marc Feld pratique tous les arts en illusionniste émerveillé. Dans ses spectacles, auxquels il associe artistes transdisciplinaires et scientifiques (dont un astrophysicien et un neurobiologiste), tout est prétexte à questionner le réel.

En scène: prestidigitateur virtuose, son principal truc réside toutefois dans la magie des mots, «dans l’émotion, la part de comédie, comique ou dramatique. Le magicien est un acteur. Même sans aucun tour de magie, il peut faire basculer le spectateur dans sa part d’imaginaire, c’est cela qui est fascinant.»

Son tour le plus nourrissant? «L’œuf transformé en poule, qui a le triple avantage d’être à la fois spectaculaire, nourrissant (on en a plus à la fin qu’au début) et questionnant, puisqu’il pose l’éternelle question: est-ce la poule la mère de l’œuf, ou bien l’œuf la mère de la poule?»

Et le plus platonicien? «Le même mais dans l’autre sens.»

Pierre Cleitman, le philosophe

En cogitation: Philosophe, comédien, musicien, Pierre Cleitman a créé un genre nouveau: «La conférence extravagante», savant mélange d’humour et de réflexion philosophique. Vit entre Paris et Bâle

En démonstration: Avec Pierre Cleitman, la philo n’a rien d’indigeste, il conçoit son rôle comme un empêcheur de touiller en rond: «Pendant que le chef cuisine en direct, le magicien cherche la faille dans l’attention du spectateur. Je me glisse dans ces interstices de perplexité pour démêler les apparences, le rapport au visible et à l’invisible. Platon n’est que le prétexte à réfléchir un peu et rire beaucoup.»

La question philosophique la plus savoureuse? «Pourquoi un seul organe, la langue, rassemble deux fonctions aussi différentes que le sens du goût et l’usage de la parole alors que nous avons deux yeux rien que pour voir (ajoutons pleurer pour faire bonne mesure) et deux oreilles pour seulement entendre?»

Et la question la plus magique: «Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?»

«Table d’hôte»: Ce soir, à 20h15, au Théâtre de Poche. Informations et réservations sur le site www.spectaclesfrancais.ch

 

 

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