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Initiative vache à lait

«Elle ne ferait que des perdants»

Pour la conseillère fédérale Doris Leuthard, en charge du Département des transports, il est faux de prétendre que les taxes routières sont détournées de leur destination première. Elle rejette fermement l’initiative du lobby routier, en votation le 5 juin prochain.

La conseillère fédérale Doris Leuthard estime que personne ne serait gagnant avec l’initiative du lobby routier, dite vache à lait. Keystone
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Propos recueillis par Christiane Imsand

Le financement des routes nationales est assuré par les taxes routières, mais une part des 1,5milliard de francs est affectée aux tâches générales de la Confédération. L’initiative pour un financement équitable des transports, dite vache à lait, exige que la totalité des taxes revienne à la route. Pour la cheffe du Département des transports Doris Leuthard, cette exigence est injustifiée. Interview.

N’y a-t-il pas une logique à attribuer à la route l’argent de la route?
Je ne vois là aucune logique. Si tel était le cas, il faudrait rétrocéder aux buveurs les taxes sur l’alcool ou reverser aux fumeurs les taxes sur le tabac. La Migros ne peut exiger le remboursement de la TVA prélevée sur ses produits.

Quand on paie des impôts, on sait qu’ils sont destinés aux tâches générales de la Confédération et des cantons. Les citoyens obtiennent un retour en matière de formation ou de sécurité par exemple, mais ils ne peuvent pas exiger une affectation reposant uniquement sur leurs intérêts personnels. Celui qui n’a pas d’enfant contribue aussi au financement de l’école.

Mais si les taxes routières étaient attribuées entièrement à la route, est-ce qu’on n’éliminerait pas plus rapidement les bouchons?
Il est vrai qu’on a pris conscience un peu tardivement de ce problème, mais nous disposons maintenant de deux programmes contre les goulets d’étranglement qui ont été approuvés par le Parlement. Le volume financier représente environ 2,6 milliards de francs. Les difficultés que nous rencontrons ne sont pas dues à un manque de financement, mais aux nombreuses oppositions qui bloquent les projets. La Suisse est un Etat de droit, et nous devons respecter les procédures.

La caisse fédérale perdrait 1,5 milliard de francs avec l’initiative vache à lait. Quelles seraient les conséquences? Le fonds ferroviaire (Faif) serait-il touché?
Ce point devrait être éclairci par le Parlement. Avec le Faif, il a été décidé que pendant une période de transition, une partie des montants issus de l’impôt sur les huiles minérales irait dans le fonds ferroviaire. Ce qui est clair: les trains régionaux ne seraient pas épargnés, car ils ne relèvent pas de ce fonds. Il y aurait aussi des répercussions négatives pour la recherche, l’armée, la formation ou encore l’agriculture. En définitive, personne ne serait gagnant.

La création d’un fonds routier doit assurer le financement à long terme des autoroutes. Le financement voté par le Conseil des Etats priverait aussi la Confédération de 700 millions de recettes non affectées. Est-ce le prix à payer pour le rejet de l’initiative vache à lait?
C’est un compromis acceptable. Il ne faut pas oublier que c’est aussi le fruit d’un accord avec les cantons. Le fonds va prendre en charge les 400 kilomètres de routes cantonales qui vont passer dans le giron de la Confédération.

La commission des transports du Conseil national n’est pas parvenue à se mettre d’accord sur un financement. Un mauvais signal?
Je pense que c’est plus une question tactique que politique. L’UDC ne voulait pas s’engager, car elle est favorable à l’initiative vache à lait. De son côté, la gauche s’est rebellée contre les décisions frappant le trafic d’agglomération. La discussion reprendra après la votation.

Le prix de l’essence augmentera de quatre centimes avec le compromis des Etats. Les automobilistes sont-ils les vaches à lait de la nation?
C’est normal que personne ne saute de joie, mais cela fait plus de 40 ans que le montant de la surtaxe sur les carburants n’a pas été adapté. Pendant ce laps de temps, la consommation des véhicules a été réduite de moitié. Alors non, les automobilistes ne sont pas des vaches à lait.

Financement des transports – Votations du 5 juin 2016

 

Une initiative qui conduirait à l’affaiblissement du service public

Pour Doris Leuthard, l’initiative Pro service public qui a été lancée par des magazines de consommateurs risque d’affaiblir le service public. Explications.

Selon les sondages, l’initiative séduit. N’avez-vous pas sous-estimé la grogne des usagers face aux prestations de la Poste, des CFF et de Swisscom?
On ne peut pas dire ça si l’on sait que le Conseil fédéral, les cantons et les parlementaires fédéraux sont unanimes à juger cette initiative nocive. Mais évidemment, son intitulé suscite l’adhésion. Tout le monde est pour le service public. Je rappelle que dans le cas présent, on ne parle que du service universel, c’est-à-dire des prestations de base qui doivent être offertes à toute la population aux mêmes conditions et aux mêmes prix.

Qu’est-ce que cela recouvre?
C’est une question politique. Aujourd’hui, la loi sur la poste impose à l’entreprise d’acheminer du courrier, des colis, des journaux et de fournir des services de paiement dans toutes les régions du pays. De son côté, Swisscom doit proposer un raccordement téléphonique fixe et à internet à tous les ménages.

Pour les CFF, la délimitation du service universel est plus délicate, mais les CFF et les autres entreprises de transport font en sorte que toutes les régions de Suisse, y compris les régions périphériques, disposent de relations attractives. L’introduction de l’horaire cadencé a représenté un pas important et l’offre ne cesse de s’étoffer. Nous disposons donc d’un service public de très grande qualité. Mais ces services ont un coût.

Lequel?
Si vous voulez par exemple que Swisscom offre une couverture en 4G à toute la population, il faudra procéder à des investissements qui dépendent de la rentabilité de l’entreprise. Or, l’initiative veut lui interdire de poursuivre un but lucratif et exige que les prestations du service de base soient séparées des autres. La conséquence pourrait être une scission de Swisscom. Et le contribuable pourrait devoir mettre la main à la poche pour payer des services de base que Swisscom finance actuellement elle-même.

L’initiative n’interdit pas de faire des bénéfices. Elle demande qu’ils soient investis dans l’entreprise…
C’est ce que les initiants disent maintenant, mais il faut lire le texte de l’initiative. Celui-ci précise que la Confédération ne doit pas viser de but lucratif dans les prestations de base. C’est clair. Elle interdit aussi les subventionnements croisés au profit d’autres secteurs de l’administration. Là encore, le texte est sujet à interprétation.

Mais il faut savoir que les gains issus du secteur immobilier des CFF subventionnent l’infrastructure ferroviaire. Cela ne serait plus possible avec l’initiative. Et les trains ne seraient pas plus ponctuels, pas plus propres et pas meilleur marché.

Selon les initiants, les subventionnements croisés resteraient possibles à l’intérieur d’une même entreprise comme la Poste…
L’initiative interdit les subventionnements croisés au profit d’autres secteurs de l’administration, mais elle ne précise pas s’il s’agit de ceux effectués au sein de la Confédération, au sein des entreprises qui lui sont liées ou entre ces entreprises et la Confédération. Or les subventionnements croisés sont importants. C’est ce qui permet à une lettre en courrier A d’être envoyée n’importe où en Suisse au même prix.

Actuellement, la Confédération encaisse une partie des bénéfices. Ne pensez-vous pas que les usagers préféreraient par exemple payer leurs billets CFF moins cher?
Les CFF ne font pas de bénéfices. Ils sont au contraire largement subventionnés. Les prestations sont constamment améliorées, les temps de parcours réduits. C’est vrai que la situation se présente différemment pour la Poste mais son secteur lucratif, PostFinance, offre des conditions plus avantageuses que les banques commerciales. Swisscom a aussi considérablement baissé ses tarifs. On parle toujours du coût du roaming, mais il ne fait pas partie du service universel.

Avec l’initiative, les salaires des managers de la Poste, de Swisscom et des CFF ne pourraient plus dépasser le vôtre. Est-ce que cela ne vous agace pas d’être payée deux à trois fois moins qu’eux?
Ces revenus ne sont pas directement comparables car un conseiller fédéral bénéficie d’une rente à vie après son départ du gouvernement. Et il ne faut pas oublier que les salaires des managers ne sont que la pointe de l’iceberg. Voyez à nouveau le texte de l’initiative. Ce sont les salaires de tous les employés qui sont touchés. Leurs montants ne devraient pas dépasser ceux versés aux collaborateurs de l’administration fédérale.

Faudra-t-il expliquer à des spécialistes de haut vol qu’on doit baisser leur salaire? Cela se retournera contre la Poste et Swisscom, qui doivent faire face à la concurrence. Cette initiative ne remplit pas ses promesses. Au contraire. Elle handicaperait les entreprises, désavantagées par rapport à leurs concurrentes. Elle freinerait ainsi les investissements dans le service public et pourrait déboucher sur une hausse des impôts ou une baisse des prestations. Elle ne peut conduire qu’à l’affaiblissement du service public.

Service public – Votations du 5 juin 2016

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