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Tour de France

Un capharnaüm en transhumance

Une journée en immersion de l’autre côté de la Grand Boucle.

La caravane du Tour, ses 600 habitants et ses 176 véhucules excentriques, c’est un monde en soi. Keystone

De Moirans-en-Montagne à Berne
Laurent Kleisl

Une balade de 209 km et le Slovaque Peter Sagan qui s’impose au sprint d’un quart de demi-boyau devant le Norvégien Alexander Kristoff, c’est le souvenir d’une journée sur les routes du Tour, entre Moirans-en-Montagne, au cœur du département du Jura, et la capitale fédérale. Une étape de plus, perdue dans l’immense histoire de la plus prestigieuse course cycliste de la planète.

Un raccourci réducteur, tant le peuple qui, chaque jour, fabrique la Grande Boucle fourmille de couleurs, tant ce grand cirque itinérant fascine par ses proportions.

Première en piste, la caravane publicitaire est une nation à elle seule. Plus de 170 véhicules représentant 36 marques, employant 600 personnes. Sur l’ensemble des trois semaines, 15millions de gadgets, de la casquette au mini-saucisson, sont balancés par de beaux jeunes gens tout sourire, «en grande partie des étudiants», lâche Aurélien Pajot (34 ans), coordinateur logistique sur le Tour pour le Coq Sportif, équipementier des maillots de leader.

«C’est quand même plus sympa de gagner un peu d’argent sur le Tour qu’en vendant des beignets à la plage!»

Fêtes et rigueur
Les marques se tournent vers des agences fournissant la caravane en hôtesses et hôtes de charme. «C’est ma treizième année sur le Tour», reprend celui qui bossait auparavant pour le PMU, avant que celui-ci ne retire, en 2014, son soutien au maillot vert. «Au début, il n’y avait trois grandes fêtes organisées que pour les gens de la caravane.» Aucun officiel, aucun coureur, aucun média, un peuple bigarré sans l’entrave des autres.

En 2016, une seule fiesta a égayé les soirées de la caravane. C’était le dimanche 10 juillet, à Andorre, à la veille d’une journée de congé.

Comme à Berne aujourd’hui. Roulez jeunesse! «Même s’il y a encore des fêtes privées improvisées dans les hôtels où logent certaines marques, cela s’est bien calmé. Il faut aussi dire que si on est plein d’énergie en début de Tour, la fatigue se fait ensuite sentir. Et chaque jour, on a quand même pas mal de kilomètre à avaler», souligne celui qui véhicule les invités du CoqSportif sur les étapes.

Les chauffeurs en particulier sont tenus à des règles strictes: 10 km/h de moins sur les vitesses légales et, surtout, un taux d’alcoolémie à zéro. Un écart? Les peines peuvent aller jusqu’à l’exclusion. Un léger reliquat de la veille, innocent, et c’est la porte.

«Lundi, je me suis permis un peu de vin rouge et un petit digestif après le souper. Arrivé à l’hôtel, j’ai bien dû boire deux litre d’eau pour éliminer!», avoue un suiveur, ancien cycliste pro, sous couvert d’anonymat. «C’est mon vingtième Tour. Les premiers, c’était la java tous les soirs et on traversait des villages à 110 km/h. Tout ça, c’est terminé! On s’est tous engagés en signant une charte.» Une question de sécurité. Et d’image.

C’est que le grand capharnaüm  du Tour est régi par une organisation quasi militaire, rigueur exigée par la transhumance quotidienne de près de 2000 véhicules  – voitures d’équipes, police, secours, télévision, sponsors, invités, etc. – et de plus 4500 personnes accréditées, dont 2000 journalistes.

MEDEF et syndicats
Section la plus tape à l’œil de l’ensemble, la caravane publicitaire se met en branle deux heures avant le départ officiel. Rigoureusement ouverte par le Crédit Lyonnais, sponsor du maillot jaune, elle est conclue par Tissot, le preneur de temps, suivant ainsi une certaine logique sportive.

De tout son long, elle peut s’étirer jusqu’à 15km, agrémentant l’attente des héros du bitume pendant trois bons quarts d’heure sur des bords de route noirs de monde. «Des fois, à l’arrivée, c’est serré», admet Aurélien Pajot. «Une année, le peloton était à 4 km quand la caravane arrivait sur la ligne!»

Des bouchers aux vendeurs de produits d’entretien, des pompiers aux pêcheurs, des patrons français – le MEDEF – aux syndicats – CGT, FO, etc. –, la caravane du Tour est une vitrine sans équivalent. «Pour les marques, le Tour est le moyen de toucher l’ensemble de sa clientèle potentielle en une seule fois», observe Aurélien Pajot.

Qui précise: «Le véhicule des syndicats a également un rôle de régulateur. Ils sont là pour éviter qu’une section locale décide de bloquer la course, ce qui serait en pratique assez facile à faire.»

Les régions traversées, forcément, se gargarisent du passage de la Grande Boucle, honneur monnayé à coup d’euros. Avant le départ hier à Moirans-en-Montagne, les autorités du département du Jura ont très largement ravitaillé leurs concitoyens en grands fanions «Made in Jura». Les kilomètres séparant le départ de l’entrée en Suisse, par le Val-de-Travers, ont nourri à foison cette initiative.

Il est 17h55 sur la ligne d’arrivée sise à la Papiermühlestrasse. Peter Sagan, maillot vert et vainqueur de jour, Chris Froome et les autres viennent de passer sur le podium officiel. Le sprint final est vieux d’une petite demi-heure. Déjà, les fourmis ouvrières du grand cirque du Tour de France démontent l’éphémère trône de la petite reine.

«On refait toujours la même chose, dans le même ordre, mais dans des endroits totalement différents, c’est ce qui rend notre tâche difficile», conclut Aurélien Pajot.

Un autre jour, une autre étape. Et demain, la grimpette vers Finhault-Emosson. Pour l’histoire, éternelle, du Tour de France.

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