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Road trip 1/10: Immigration

Dernier stop avant la terre promise

Au pied de cette barrière de fer, transperçant un désert gouverné par les cartels, s’échouent les clandestins rêvant d’Amérique.

Sur les hauts de Nogales, Arizona, une patrouille de douaniers fait sa ronde. À gauche, le Mexique, à droite, les Etats-Unis délimités par une barrière de 5 mètres de haut et plusieurs centaines de kilomètres. Xavier Filliez
  • Dossier

Xavier Filliez

Nogales

Troisième tentative, troisième fiasco. Dans la fourgonnette de la Border Patrol, Jazmin et Armando (prénoms d’emprunt) chiquent anxieusement un Pulparindo en répondant aux questions des douaniers après leur arrestation. Le thermomètre avoisine les 100 degrés Fahrenheit (38°C). Et ce petit bonbon mexicain, arôme Tamarin, sera décidément la seule douceur de leur journée. De leur vie?

Les deux adolescents, 16 ans, prétendûment mariés, ont tourné le dos à leur ville natale de Santiago Juxtlahuaca, dans la province d’Oaxaca. Puis voyagé en bus et à pied durant trois jours et deux nuits avant d’atteindre Nogales, ville frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, surpeuplée de candidats à l’immigration illégale, sorte de Babylone du Sud-Ouest américain.

Nogales est la ville de tous les espoirs et de tous les chagrins. A peine a-t-on laissé derrière la précarité, le crime et le chômage qu’un nouvel obstacle se dresse: cette barrière d’acier, entre 5 et 8mètres de haut, reliant l’Arizona à la Californie sur plus de ci nq cents kilomètres en passant par le Texas et le Nouveau-Mexique.

400 000 arrestations par an
Quel rêve entrevoit-on à travers les grilles rouillées, depuis cette zone désertique contrôlée par les cartels de la drogue? Jazmin et Armando voulaient aller dans le Wisconsin où ils ont des amis. «Ils disent qu’ils n’ont pas payé de passeur, qu’ils étaient censés le payer une fois arrivés. Mais ils sont entraînés à mentir…», estime Paco Vicente, un des deux agents de la Customs and Border Protection (CBP) que nous accompagnons en mission.

Dans les années 2000, 1,6 million d’immigrants illégaux étaient interceptés à la frontière mexicaine. Ce nombre a chuté à environ 400 000 par année depuis 2012 à la suite de la répression antiterroriste post-11 septembre et au Secure Fence Act signé par George W. Bush en 2006. Le budget du CBP a augmenté de 75% en dix ans (10 milliards de dollars). Et le nombre d’agents a doublé durant la même période (18000).

«La technologie a aussi évolué de manière spectaculaire», reprend l’agent John Lawson. «Auparavant, nous avions quelques infrarouges sur trépieds. Maintenant, avec les tours fixes intégrées (IFT) équipées de radars de sol et de systèmes de vision nocturne, nous pouvons surveiller les mouvements sur le terrain en temps réel depuis un centre de contrôle.»

Thématique on ne peut plus controversée aux Etats-Unis, l’immigration illégale connaît une résonance d’autant plus dramatique cette année que Donald Trump promet, en mesure d’urgence en cas d’élection, de remplacer la palissade par un mur. Et de le faire payer au gouvernement mexicain. Que sa proposition (devisée à 12 milliards de dollars) soit techniquement réaliste n’est finalement pas la question. Elle en soulève d’autres sur la relation incestueuse qu’entretiennent les Etats-Unis avec leurs immigrés.

4 millions d’échecs pour Obama
A l’extrême opposé de cet élan trumpien de repli sur soi, Barack Obama voudrait faire usage du décret présidentiel pour régulariser 4 des 11,3 millions de clandestins que compte le pays. La Deferred Action for Parents of Americans and Lawful Permanent Residents (DAPA) annulerait temporairement la déportation d’immigrés parents d’enfants nés aux Etats-Unis. Ils bénéficieraient aussi d’un permis de travail.

Or, fin juin, la Cour suprême a accepté le recours déposé par le Texas et vingt-cinq autres Etats contestant ce droit à Barack Obama sans pourtant parvenir à une décision sur le fond. Un statu quo qui est un revers majeur pour le président en fin de règne.

Parmi les supporters de cette loi, on trouve des patrons de firmes technologiques, comme Mark Zuckerberg (Facebook), qui reconnaissent les compétences professionnelles liées à l’immigration «permettant aux Etats-Unis de rester compétitifs sur le marché global». Les clandestins représentent 5,1% de la force de travail du pays, selon l’institut Pew Research Center. Et 7% des enfants entre 4 et 15 ans ont au moins un parent immigrant illégal (2012). 79% d’entre eux sont nés sur le territoire américain.

L’ironie de la journée, et peut-être bien de ce pays tout entier, c’est que Paco Vicente, l’agent de la Border Patrol, est lui-même le fruit de l’immigration. Son grand-père a immigré à Los Angeles durant la Deuxième Guerre mondiale parce qu’il y avait des besoins en main-d’œuvre, puis a fait la guerre de Corée. Son père a fait des allers-retours entre le Mexique et les USA avant de combattre au Vietnam dans la Navy.

Après quatre ans en Irak, Paco chasse les clandestins avec un seul credo en tête: «Il y a une façon légitime de faire partie du rêve américain. Donner 10 000 dollars à un passeur ou faire une demande de visa.»

L’agent Paco Vicente procède à l’interrogatoire de deux clandestins mineurs interceptés un peu plus tôt. Xavier Filliez

 

Abus sur les migrants
Quel sort sera réservé à Jazmin et Armando? Ils devraient être renvoyés chez eux par le poste frontière de Nogales dans les quarante-huit heures, aidés peut-être par le consulat du Mexique qui leur offrira un ticket de bus après avoir passé une ou deux nuits à la Kino Border Initiative, une organisation caritative qui défend les droits des migrants. Sa responsable éducation et promotion, Joanna Williams, sait bien que le sort de ses protégés ne dépend pas d’une barrière ou d’un mur.

«Ce qui pose problème, c’est que l’augmentation du nombre d’agents de douanes n’a pas été accompagné de mesures de contrôle. Une personne sur trois interpellée est victime d’abus, sous une forme ou une autre, souvent verbale. Parfois, à la suite d’une infraction comme l’alcool au volant, on renvoie des parents dans leur pays alors que les enfants sont placés en foyer ici.»

D’autres connaissent un destin autrement plus tragique. Depuis l’an 2000, 6000 personnes sont mortes en tentant la traversée de la frontière désertique entre les Etats-Unis et le Mexique. Le vrai prix du fiasco.

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