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Road trip 7/10: électorat

À la pêche aux Latinos

En Floride, la communauté hispanique est abondante et son vote sacré. Trump peut-il rafler ces voix, comme Bush en 2004?

Sur calle Ocho (8e rue), Little Havana, où l’Amérique a un goût de Cuba. Les Etats-Unis comptent 27 millions d’électeurs latinos. Xavier Filliez
  • Dossier

Xavier Filliez

Miami

Plus cubain, tu meurs. Le café Versailles, iconique établissement bordant l’interminable boulevard calle Ocho de Miami, est le carrefour des anti-castristes, des politiciens et des journalistes. L’aorte de Little Havana.

Comme cette adresse, la Floride est un passage obligé pour les candidats à la présidence des Etats-Unis. Un «swing-state», ballottant entre démocrate et républicain au gré du vote de la communauté hispanique croissante, 4,8 millions en 2014, soit 18% de l’électorat, la troisième plus importante concentration de Latinos après la Californie et le Texas.

Avec ses commentaires racistes (surtout envers les Mexicains) et son plan de déportation de 11 millions de sans-papiers, Donald Trump a fâché pas mal d’immigrés. Mais pas forcément les Cubains, qui votent traditionnellement républicain. Et qui sont parfois eux-mêmes des modèles de xénophobie.

«Talk to the journalist! He wants to know about the fucking Muslims in this country» (Parlez au journaliste. Il veut en savoir plus sur ces putains de Musulmans dans notre pays), improvise Armando* (prénom d’emprunt), un chirurgien et notable de Miami qui souhaite taire son nom, en nous présentant à ses copains attablés pour le café.

L’échec de Mitt Romney
L’un d’eux recadre d’emblée le débat. «Ne mélangez pas le vote Cubain et le vote Latino. Ici, vous ne trouverez que des Cubains comme nous, conservateurs, élevés sous le régime Castro», détaille Julio Sixto, 53 ans, arrivé à l’âge de 11 ans, dans une grande vague d’immigration qui a précédé les boatlifts de Mariel. Il pense que «même les jeunes Cubains voteront Trump parce qu’ils réalisent que 3% de croissance économique par an, c’est si mauvais que ça en est historique. C’est Obama le responsable.»

Le vote Latino est depuis longtemps un point stratégique du calendrier politique. A la faveur des républicains en 2004, ayant permis l’élection de Georges W. Bush (44%), il a viré démocrate en 2008 et 2012 pour élire Obama. L’échec de Mitt Romney en 2008, qui n’avait récolté que 27% des voix hispaniques, a traumatisé le «Grand vieux parti» qui a cette année tenté de miser sur Marco Rubio et Ted Cruz, fils d’immigrés cubains, mais dont les candidatures se sont vite essoufflées.

Plus de démocrates que de républicains
Donald Trump remporte-t-il aussi les sondages un peu plus loin sur la grand-rue? Au Maximo Gomez Park, tout rappelle La Havane, qui n’est qu’à 150 miles. La moiteur. La musique. Les effluves de cigares. Et le bruit des dominos qu’on jette sur les tables de jeu, autour desquelles se rassemblent des vieillards et des sans-emploi.

Ryan Rodriguez, ici depuis 50 ans, met deux choses au crédit de Barack Obama: «Le rétablissement des relations avec Cuba. Et le système d’assurance-santé pour tous, Obamacare.» Mais il croit dur comme fer que «Trump va ramener l’économie américaine sur les rails».

Un autre renchérit: «Les gens voient Hillary comme une continuation d’Obama, c’est-à-dire faible en matière de sécurité, face à l’Etat islamique. La force des démocrates, c’est qu’ils font croire aux gens mal informés que les républicains vont leur enlever leurs acquis sociaux, les food stamps (bons repas) et les aides sociales.»

A quelques exceptions près, Little Havana semble donc unanimement pro-Trump. Mais ce pourrait bien être un mirage. Le quartier n’est pas représentatif du vote latino dans le reste de la ville et de la Floride. Si les Cubains composaient encore la moitié de la communauté hispanique en 1990, ils n’en forment désormais plus que le tiers. Les Nicaraguayens, les Costa Ricains, les Mexicains que nous avons croisés soutiennent majoritairement Hillary Clinton.

Le profil de l’électorat latino a aussi changé cette dernière décennie, selon le Pew Research Institute qui a identifié l’année 2008 comme le tournant où davantage d’Hispaniques étaient enregistrés auprès du parti démocrate que du parti républicain. Cette année, le nombre de votants démocrates dans l’Etat de Floride a surpassé le nombre de républicains. Et les Hispaniques y ont pesé pour 88%.

Au Maximo Gomez Park, des retraités refont la politique en jouant au domino. Xavier Filliez

 

27 millions d’électeurs potentiels
L’enjeu est désormais d’amener tous ces gens aux urnes. En 2012, 48% seulement des Latinos avaient voté. Face aux excès de Trump, plusieurs organisations latinos se sont mobilisées pour faire voter un maximum des 27 millions de votants hispaniques contre Trump.

Au printemps, le New York Times relevait que la rhétorique raciste de Trump avait eu pour effet de multiplier les procédures de naturalisations des hispaniques souhaitant barrer la route au milliardaire new-yorkais. D’après une récente enquête publiée par le Washington Post et la chaîne hispanophone Univision, 80 % des électeurs latinos ont une opinion défavorable de Donald Trump.

C’était le cas de Jessica Fernandez, présidente des jeunes républicains de Miami, qui déclarait il y a à peine trois mois vouloir reconsidérer son engagement politique si Trump devait être le candidat de son parti. Face au fait accompli, au lendemain du Congrès d’investiture de Cleveland auquel elle a assisté, la jeune politicienne montante fait volte-face lorsque nous l’interrogeons.

«Trump a tenu un discours de Président, prônant non seulement un retour à l’ordre et à la sécurité mais s’engageant pour une égalité de traitement entre hommes et femmes et un soutien à la communauté LGBT. Je le soutiens pleinement. C’est d’un homme comme cela dont l’Amérique a besoin, qui ne plie pas devant la première menace. Je suis une femme, jeune, hispanique, conservatrice. Je suis le prochain chapitre de ce parti.» Combien de Latinos cette nouvelle posture convaincra-t-elle?

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