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«Je veux être roi, comme les autres»

Sénégalais et musulman pratiquant, Dieylani Pouye participera à la Fête fédérale

Après avoir laissé son empreinte dans la lutte sénégalaise, Dieylani Pouye veut en faire de même en Suisse. Keystone

Patricia Morand

Dieylani Pouye a proposé le lieu de rendez-vous: la salle d’entraînement du club de lutte de Carouge, à dix minutes de son domicile. A l’heure pile, le Sénégalais pointe son nez au coin du bâtiment et nous guide vers l’entrée des artistes. Son épouse, enceinte de trois mois, a déjà sagement pris place au bord de la sciure.

En attendant son partenaire d’entraînement du soir, Samuel Haldi, le seul sélectionné genevois du Team Romandie pour la Fête fédérale d’Estavayer 2016, raconte sa vie et ses ambitions dans la lutte suisse.

Dieylani Pouye, êtes-vous fier de votre sélection?
J’ai obtenu deux couronnes, mes premières, cette saison: la première à la fête genevoise, la 
deuxième à la fribourgeoise. J’ai donc rempli les critères. L’année dernière, j’avais déjà bien lutté, mais j’avais déjà manqué deux fois le laurier. Je m’entraîne quotidiennement: deux heures le matin et une heure trente le soir. A l’approche de la Fête fédérale, j’ai réduit la dose.

Quels sont vos objectifs dans l’arène de la Broye?
J’espère bien gagner la Fête fédérale! Je veux être roi, comme les autres. Etre sélectionné, cela fait plaisir. Mais je ne me contente pas de participer. Donc, au pire, si j’obtiens une couronne, cela me va.

Comment avez-vous été accepté?
Au début, ce n’était pas facile. Un autre Black m’avait précédé. Il voulait juste s’amuser sur les ronds de sciure. Il était plus grand et plus musculeux que moi, mais il perdait tout le temps. Du coup, tout le monde s’est dit que l’histoire se répétait. C’était mal me connaître. J’ai laissé mon empreinte dans la lutte sénégalaise. Je veux faire la même chose ici. J’ai été très vite accepté dans le club de Carouge, mais cela n’a pas été aussi facile à d’autres niveaux. Ma famille m’a permis de surmonter chaque découragement.

Avez-vous parfois eu le sentiment d’être rejeté?
J’ai vu des choses incorrectes. Les jurys m’ont toujours «chargé» (réd: en donnant des adversaires très forts). Je ne suis pas seulement Noir, mais aussi Genevois! C’est un double handicap. J’ai tellement galéré... Il m’est arrivé de gagner et d’être privé de victoire par l’arbitre ou d’être désigné perdant alors que je n’étais pas vaincu.

Vous êtes ouvertement musulman et pratiquant, un statut qui détonne dans le milieu…
Je n’ai jamais eu le moindre problème avec les autres lutteurs ou le public. On m’a toujours respecté et applaudi. Et à Genève, une ville cosmopolite, je me suis toujours senti bien.

Le respect du ramadan est-il compatible avec la pratique de la lutte?
Cette année, le ramadan s’étendait du 6 juin au 7 juillet. Il y a eu chaque dimanche une fête de lutte durant cette période! J’ai tout de même réussi à décrocher une couronne. C’était dur. Ma femme m’a accompagné. Elle m’a énormément motivé pendant le jeûne. Je savais que j’étais capable d’obtenir ma sélection pour Estavayer 2016. Je ne voulais pas tout arrêter après avoir réussi mon début de saison. Et puis, le ramadan ne dure qu’un mois. Je m’en accommode et je peux faire ce que je veux les onze autres. Il n’y a pas de quoi se plaindre. Mon seul problème, c’est que le ramadan a eu lieu en été. Ce sera encore le cas en 2017, mais il commencera au printemps en 2018. Il y a toujours un décalage.

Poursuivrez-vous votre carrière après la fête fédérale d’Estavayer?
J’ai 29 ans et je vois loin. Cela ne fait que commencer. C’est déjà pas mal, mais j’aimerais faire encore mieux.

Quelle est la différence entre la lutte suisse et sénégalaise?
Au Sénégal, une victoire s’obtient lorsque les quatre appuis (mains, pieds) de l’adversaire touchent le sol. Ici, il faut mettre son opposant au dos. Pour lancer le combat, on balance les bras dans mon pays. Ici, on prend les prises. Les règles changent, mais les techniques sont similaires. 

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