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Récompense

Fabian Cancellara prophète en son pays

Le légendaire champion cycliste d’Ittigen s’est vu décerner le mérite sportif de l’année du canton de Berne.

Moment d’émotion mardi soir dans la salle du Grand Conseil bernois: Fabian Cancellara vient de recevoir sa statuette de meilleur sportif de l’année du canton des mains du conseiller d’Etat Hans-Jürg Käser. Keystone

Etienne Chapuis

Berne, mardi peu avant 20h. Très élégant dans un costume griffé qui met en valeur sa silhouette élancée et lui sied par conséquent à ravir, Fabian Cancellara se lève et s’avance tranquillement vers la scène de la salle du Grand Conseil, où vont lui être adressés, quelques instants plus tard, un concert de louanges et une longue salve d’applaudissements.

En ce 1er novembre 2016, quelques jours après être entré en retraite sportive, il est la vedette incontestée de la cérémonie organisée – de main de maître – par le Conseil-exécutif dans le cadre de la remise des mérites sportifs du canton de Berne (voir notre édition d’hier en rubrique sportive).

A vrai dire, le jury, composé de cinq personnes, n’avait pas le choix. Il ne pouvait pas ne pas préférer le champion olympique du contre-la-montre aux autres concurrents en lice.

«Aux JO de Rio, Fabian Cancellara a réussi un exploit historique qui constitue le couronnement d’une carrière tout bonnement extraordinaire», s’enflammera le conseiller d’Etat et «ministre des sports» Hans-Jürg Käser, un ancien président du club de hockey de Langenthal. «Il est un ‹top› athlète parmi les nombreux autres que le canton est fier de recenser. Je le félicite pour son magnifique engagement.»

Attaché à sa région
Affublé par ses pairs du surnom de Spartacus (le gladiateur), le pédaleur charismatique réceptionne la jolie statuette confectionnée à son intention et demeure imperturbable. Ou fait mine, en tout cas, de l’être. A 35 ans, après 16 saisons de compétition truffées de moments de gloire, il en a vu d’autres.

«Oui, mais un honneur reste un honneur, il ne s’obtient après tout que si l’on a réussi à prouver quelque chose», rétorque-t-il. «Et celui-ci a une saveur toute particulière. Je suis flatté parce qu’il m’a été décerné par le Canton de Berne, où je vis depuis ma plus tendre enfance. En outre, cette cérémonie m’a donné l’occasion de découvrir d’autres sportifs et d’autres disciplines que je ne connaissais pas.»

Né à Wohlen, dans les faubourgs de la capitale, d’une mère suissesse et d’un père italien, Cancellara est domicilié aujourd’hui à Ittigen, à quelques km de là, entouré de sa femme Stefanie et de ses deux fillettes Giuliana et Elina.

«J’attache une importance viscérale à la famille», souligne-t-il. «Elle a été le fondement même de mes performances, c’est elle qui m’a permis de trouver un juste équilibre. Le vélo a occupé une grande part de ma vie, j’ai toujours adoré ça, mais il ne représente pas tout non plus. Entre mes absences longues et répétées, ma famille me l’a bien fait comprendre. Elle veut exister elle aussi...» Sous-entendu: pas seulement par le prisme de ses exploits et de sa réputation à lui.

Le 12 novembre, la Belgique lui fait la fête
Cancellara aurait pu être tenté par exemple de s’exiler en Belgique, une nation éprise de cyclisme qui, à n’en pas douter, l’aurait accueilli à bras ouverts. En raison de ses succès répétés dans le Plat Pays, il y jouit d’une énorme cote de popularité. Il s’apprête d’ailleurs à s’y rendre le 12 novembre, pour assister à une manifestation spécialement mise sur pied en son honneur et intitulée «Ciao Fabian». Les 6000 places du Vélodrome de Gand ont trouvé preneurs depuis longtemps. Un signe qui ne trompe pas.

Mais celui qui, dans l’ombre peut-être de Roger Federer et Stan Wawrinka, est l’un des rares sportifs suisses célèbres dans le monde entier, a choisi de conserver son port d’attache en terre bernoise. Au fait, comment va-t-il meubler ses journées de retraité forcément à l’abri du besoin?

«Dans un premier temps, je vais récupérer et profiter de la vie et des fêtes de fin d’année, loin des contraintes imposées par le sport de haute compétition. Par la suite, j’aviserai. Je ne me pose pas trop de questions pour l’instant», répond-il de façon évasive, soucieux sans doute de ne pas dévoiler sa vie privée sur la place publique.

«Mais je ne vais pas rester affalé dans un canapé à longueur de journées. Je ne tomberai pas dans l’ennui, car j’ai de nombreux centres d’intérêt.» Peu probable en tout cas qu’il en soit réduit à renouer avec sa profession initiale de monteur-électricien...

Pas la grosse tête
A l’avenir, le sport continuera de prendre une large place dans la vie de Cancellara. «Je vais notamment m’adonner au ski et au ski nautique, des pratiques qui m’étaient à peu près interdites jusque-là», annonce-t-il. «Partir aussi en randonnée, faire des tours à vélo, du tennis, des activités dont j’ai besoin pour trouver la sérénité et la force intérieure.»

Bref, il entend conserver une certaine hygiène de vie et garder la ligne, quand bien même il s’enrobera, il en est conscient, de quelques kilos supplémentaires, lui qui avoue n’avoir jamais observé un régime alimentaire des plus stricts, même avant les courses.

Riche d’un palmarès long comme le bras et d’un statut de star, Cancellara n’a pas attrapé la grosse tête pour autant. Il continue ainsi de fréquenter le cercle de ses copains d’enfance, en toute simplicité, loin des mondanités. «A l’heure du bilan, je suis fier de ma carrière, des résultats qui l’ont jalonnée bien sûr, mais aussi de sa longévité, pas si évidente que ça», résume-t-il sobrement.

«Et heureux aussi d’avoir pu choisir le moment d’y mettre un terme sans être contraint et forcé, encore en bonne santé (réd: malgré ses nombreuses chutes) et en m’étant maintenu jusqu’au bout au sommet de ma forme. Cette médaille d’or olympique autour du cou, je l’ai perçue comme un cadeau.»

Ces prochaines années, Cancellara et son rayonnement vont manquer au sport suisse, c’est une évidence. Il en est devenu une légende, au même titre qu’un Ferdi Kübler ou qu’un Hugo Koblet, les héros cyclistes d’une autre époque.

 

Il a préparé son exploit sur les routes de la région

«PRÊT À ME DÉFONCER» «Avant de partir pour les Jeux olympiques, j’avais prévenu ma femme: ‹Si je décroche l’or dans le contre-la-montre à Rio, je cesse la compétition›. Mais personne, dans mon entourage familial, ne croyait un tel résultat possible. Pour ma part, je visais une médaille, peu importe sa couleur.

Et, pour cela, j’étais vraiment prêt à me défoncer. Car je m’étais toujours dit, en mon for intérieur, que l’idéal serait de terminer en apothéose, de rendre mon tablier au lendemain d’un ultime coup d’éclat. Cela n’avait pas fonctionné lors de Paris - Roubaix, ni au Tour des Flandres, ni lors de l’étape bernoise du Tour de France. Heureusement, il restait Rio.»

Ainsi s’exprimait en substance Fabian Cancellara dans une longue interview publiée le 23 octobre par la «SonntagsZeitung», la première, nota bene, qu’il ait accordée en Suisse après son triomphe olympique.

Cancellara s’est préparé comme un forcené non loin de Bienne, dans le Limpachtal soleurois, sur un parcours aux spécificités assez ressemblantes à celles qu’il allait retrouver au Brésil.

«Une torture. Lors de la première séance d’entraînement, après 90 minutes d’effort, j’ai eu mal aux jambes comme jamais dans ma carrière. Mais j’avais de bonnes valeurs. Sincèrement, la course à Rio fut moins pénible à supporter. Pour la répétition générale, nous avons opté pour une étape Berne - Montagne de Granges et retour, via Macolin, au terme de laquelle mon entraîneur, Luca Guercilena, a jugé que j’avais atteint mon pic de forme.»

Le jour J, le 10 août, on sait ce qu’il advint. Dans le style qui lui est propre, tout en puissance et en endurance, et du haut de son immense routine, Cancellara – qui affirme avoir mené une bonne partie de ses courses à l’instinct – a écrasé la concurrence, loin devant le Néerlandais Tom Dumoulin et le Britannique Chris Froome, ses poursuivants immédiats.

A peine quelques heures plus tard, il sautera dans le premier avion, histoire de rentrer à temps pour... fêter ses 10 ans de mariage. Ce qu’il n’a pu faire qu’à retardement, après avoir reçu un accueil triomphal à l’aéroport de Kloten.

De retour dans sa commune d’Ittigen, Fabian Cancellara arbore fièrement la deuxième médaille d’or olympique de sa formidable carrière. Keystone

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