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VTT

Un chemin différent qui vaut de l’or

Nicolas Siegenthaler est nominé dans la catégorie «Entraîneur suisse de l’année»

Coach du champion olympique Nino Schurter, le Biennois Nicolas Siegenthaler entretient des relations compliquées avec la fédération. PSJ

Sélim Biedermann

Ses méthodes de travail pourraient bien être plébiscitées dimanche soir lors de la remise des Sports Awards dans les studios de la_SRF à Zurich. Et pourtant, Nicolas Siegenthaler, fort du titre olympique_2016 acquis à Rio par son protégé Nino Schurter dans l’épreuve du cross-country en VTT et de ce fait en lice dans la catégorie «Entraîneur suisse de l’année», n’a pas toujours été pris au sérieux.

S’il n’est pas un homme de conflit, le Biennois de 58_ans, qui travaille seul dans sa société privée, prendrait-il toutefois cette récompense sous forme de revanche personnelle? «Une revanche?», se demande-t-il. «Eh bien en tout cas j’ai prouvé que le chemin que j’ai choisi, celui on l’on parle beaucoup du concept de force et coordination (réd: lire ci-dessous), nous a menés jusqu’à la médaille d’or olympique. J’ai toujours dit que je préfère un artiste de cirque à un routier pour faire un vététiste. Et quand j’étais à la fédération, tout le monde se foutait de moi.»

Pas revanchard, Nicolas Siegenthaler, mais fier de constater une fois de plus que sa recette est gagnante. Fier aussi de faire partie des trois finalistes des Sports Awards après avoir figuré dans les 10_derniers en_2012, lorsque Nino Schurter, avec qui il travaille étroitement depuis 15_ans, avait décroché l’argent olympique à Londres – en plus du bronze aux JO de Pékin en_2008. «Pour moi, cette nomination est importante. Mais avec les prix, il faut faire attention», souligne l’enseignant, qui ne veut pas se voir trop beau.

Il illustre son propos: «C’est un peu comme l’histoire du corbeau et du renard. Tu ouvres ta grande gueule et tu laisses tomber ton fromage, en gros... Et ça, je ne veux pas. Si je reçois cette récompense, je la prendrai comme un encouragement, comme l’envie de continuer, de travailler mieux un peu dans tous les domaines, par exemple avec mes élèves à l’école.»

Un coach à part entière

Nicolas Siegenthaler ne se reposera jamais sur ses lauriers. Mais il songe cependant déjà à ce prix, si beau à ses yeux. «Je pense que le but maintenant, c’est d’essayer d’être quelqu’un de bien, d’être considéré comme tel. Ce n’est vraiment pas évident quand on est exigeant par rapport à soi-même», lâche-t-il. «Je déteste avoir des ennemis, que des gens ne m’aiment pas. Et je sens, par exemple, qu’avec les personnes de la fédération, c’est compliqué. Si je suis élu, je vais leur dire que c’est aussi ceux qui ne m’aiment pas qui m’ont poussé à faire mieux, et je les remercie pour cela. Car c’est peut-être grâce à eux qu’on a atteint le plus haut niveau.»

Les relations ne sont toujours pas au beau fixe. Et Siegenthaler le regrette. «Les gens de la fédération ont de la peine avec le fait que je ne sois pas seulement un préparateur physique mais un entraîneur à part entière, qui développe aussi les aspects tactique et technique. On a du succès alors qu’on n’est pas de chez eux. Ils aimeraient donc que je sois de leur crémerie, mais c’est eux qui ne m’ont pas voulu.»

Et le Biennois sait par ailleurs qu’il reçoit la pleine confiance du Grison. Une confiance qui vaut tout l’or du monde. Faut-il rappeler que Schurter n’est sorti qu’une seule fois du podium de tous les Mondiaux et JO en 13 saisons!

«Je pense que je le mérite»

«Après sa victoire à Rio, la première chose que Nino a faite à la télévision, c’est de me remercier», relève fièrement le papa de la vététiste championne de descente Emilie Siegenthaler. «C’était la course d’une vie. On a effectué tout ce boulot pour ce jour-là.» Qu’obtenir de plus, dès lors? «Au niveau purement sportif, on peut encore espérer que Nino devienne le plus titré des ‹bikers› s’il remporte l’or olympique à Tokyo en_2020, car le Français Julien Absalon possède deux titres aux JO mais moins de sacres mondiaux.»

L’ambition de Nicolas Siegenthaler ne s’estompe pas. Mais est-il facile de rester exigeant avec un tel champion? «C’est le VTT qui est exigeant», coupe-t-il. «La motivation, elle vient de l’athlète. Pas besoin de le pousser, il se donne à fond.» Un investissement qui pourrait bien couronner ce dimanche le travail de l’ombre du coach, déjà prêt à lire son bref discours.

«Honnêtement, je serais un petit peu déçu de ne pas l’emporter», confie celui qui a grandi en partie à Malleray puis Evilard. Ses rivaux Zoltan Jordanov (gymnastique artistique) et Ian Wright (aviron) doivent se dire la même chose... «Du point de vue des résultats_2016, avec en plus un titre de champion du monde, je pense que je le mérite. Et sur l’ensemble du travail accompli avec Nino depuis 15_ans sans interruption et sans aucun nuage, je le mérite aussi.»

C’est dit. N’en déplaise à certains.

 

 

Force et coordination, le noyau des entraînements du Biennois

«Le concept de force et coordination que j’ai développé spécifiquement pour le VTT est le noyau des entraînements que je donne», explique Nicolas Siegenthaler. «C’est-à-dire qu’il faut aller chercher beaucoup de choses en dehors du vélo pour les ramener sur le vélo. C’est comme pour les confitures: vous pouvez aller cueillir tous les fruits du Jura, mais cela finit dans un petit pot. Et ce petit pot s’appelle ‹moutain bike›. Par exemple, certaines personnes ne voient pas le lien entre le VTT et le hula hoop sur une planche instable, et pour moi, c’est évident que quand on a les pieds pris dans les pédales et les mains sur le guidon, il ne reste plus que le tronc et les hanches pour trouver l’équilibre sur le vélo et la bonne glisse.»

Le coach biennois transmet sa recette à ses 15 athlètes – dont 13 vététistes –, et pas seulement à son No 1 Nino Schurter. Mardi à Macolin, six jeunes sportifs souffraient sous ses ordres. Et c’est peu de le dire... «Avec lui, les entraînements, c’est dur», note Katja Montani dans un large sourire. Oui, oui, la citoyenne de Péry âgé de 23 ans souriait. Eclat de rires: «Une fois terminé ça va, c’est avant que c’est difficile! Cela fait trois ans que je travaille à ses côtés, je n’ai jamais eu d’autre entraîneur. Disons que j’ai été jetée à l’eau froide avec lui! Mais c’est bien. C’est un bon gars, Nico. Il est toujours derrière nous, il nous corrige. Et s’il n’était pas exigeant, les résultats ne suivraient pas», souligne celle qui prend part à des Coupes de Suisse. Et d’ajouter, toujours hilare: «Après chacun des trois exercices de force, on passe à la coordination pour les muscles en fonction, là où ça brûle».

Après avoir récupéré quelques instants, le Fribourgeois Rémy Dénervaud relève lui aussi les bienfaits de cette souffrance physique à laquelle il s’astreint deux fois par semaine. «Le ‹circuit-training› est très spécifique au VTT, on reflète en salle ce qu’il se passe sur un vélo. Il ne suffit pas de pédaler!», lance l’athlète de 20 ans, engagé en Coupe du monde et dans des Coupes de Suisses, qui côtoie depuis six ans Nicolas Siegenthaler. «Les entraînements sont variés, aucune monotonie ne s’installe.» Et de relever également les qualités de son entraîneur: «‹Sigou›, c’est quand même quelqu’un d’exceptionnel. D’abord par son savoir-faire, son expérience. Et il a ce suivi pour chacun, l’amour de ses athlètes. Il ne met personne de côté, c’est ce que j’admire chez lui. On peut connaître une année ‹sans› et il sera toujours là pour nous restructurer, nous recadrer. Il ne nous lâche pas.» Comme Nino Schurter, que le Biennois a pris sous son aile alors qu’il n’avait que 15 ans.

 

 

Un titre olympique vécu de loin

Etre coach privé pose certaines limites. Ainsi, la fédération Swiss Cycling n’a pas accepté la requête de Nicolas Siegenthaler. Pour la troisième fois de suite, le Biennois a donc dû suivre les exploits de Nino Schurter aux JO devant son poste de télévision. Ou plutôt cette fois-ci sur le plateau de la RTS en tant que consultant de luxe. «C’est une frustration parce que vous ne pouvez pas accompagner votre athlète jusqu’au bout», explique l’entraîneur.

Nicolas Siegenthaler entrait toutefois très fréquemment en contact avec celui qui allait être sacré champion olympique le 21 août dernier, par exemple via Skype. «On a mis en place un système de coaching, où je lui ai dit de n’écouter personne d’autre que lui-même, sauf le mécanicien et le physiothérapeute», signale-t-il. «C’est lui qui devait prendre les décisions tactiques et techniques pendant la course.» Avec notamment une attaque dont le Grison a le secret qui a laissé ses rivaux sur place. S’ensuivit l’or olympique.

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