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No Billag

«Impossible sans redevance»

Hier soir, Manuelle Pernoud, productrice et présentatrice d’A Bon Entendeur, était l’hôte de la CEP et de la SRT-BE au CIP. En marge de sa conférence, Le JdJ a rencontré Pascal Crittin, directeur de la RTS.

Président de la SRT-BE, Pierre-Yves Moeschler (à g.), avec ses deux orateurs invités, Manuelle Pernoud et Pascal Crittin, hier soir, au CIP où environ 80 personnes ont assisté à la soirée. Photo:Blaise Droz
  • Dossier

par Blaise Droz et Philippe Oudot

Avant le début de la soirée organisée conjointement par la CEP (Chambre d’économie publique du Jura bernois) et la Société des auditeurs téléspectateurs de la RTS, Pascal Crittin, directeur de la RTSdepuis bientôt une année, a répondu aux questions du JdJ, à dix jours de la votation sur l’initiative No Billag.

Les auditeurs et téléspectateurs paient la redevance pour un service public qui doit offrir des services comparables dans toutes les régions. Or, dans le Jura bernois, une partie de votre public estime être un peu le parent pauvre. Comprenez-vous cette impression?

C’est une critique que j’entends, bien sûr, mais qui ne correspond pas à la réalité. D’abord, par rapport à la population du Jura bernois, la RTS est très attentive à proposer une offre suffisante et équilibrée. Statistiquement, la RTS couvre environ 200 sujets par an sur le Jura bernois et la région de Bienne, soit quatre à cinq par semaine. Proportionnellement, c’est autant que pour le canton de Neuchâtel. Nous veillons aussi à assurer une bonne présence dans les régions. Par exemple, l’émission «La puce à l’oreille» vient proportionnellement plus souvent ici que dans les autres cantons.

Il y a ensuite la question du ressenti de la part du public, et là, nous sommes bien sûr ouverts au dialogue et prêts à répondre à toutes les questions et critiques.

Ce ressenti vient sans doute du traitement de la Question jurassienne. Beaucoup de gens d’ici ont l’impression que le point de vue autonomiste est quasi systématiquement mieux mis en valeur que le point de vue bernois. Le reportage «Ici c’est Moutier», diffusé avant le 18 juin, en est l’illustration.

Vous soulevez un point particulier. Ce reportage était une vision d’auteur, un regard personnel porté sur cette question, et il ne doit pas nécessairement être parfaitement équilibré. Ce film s’adressait à tout le public romand, et je peux vous dire que la perception y a été très différente que celle que vous soulignez. Moi-même, qui suis Valaisan, et beaucoup de gens qui m’en ont parlé, nous avons été très touchés par exemple par le témoignage de la famille Tobler, qui a bien fait ressentir son attachement à sa terre, au canton de Berne. Ce reportage a bien fait passer le vécu et l’émotion de cette famille. De ce point de vue, le film de Bertrand Theubet a été correct.

Plus globalement, la RTS a assuré une couverture équilibrée et importante de la Question jurassienne en radio et en TV, et en particulier de la problématique du vote de Moutier, avec un bon équilibre des points de vue dans l’ensemble.

Un des arguments des partisans de No Billag est de dire que le public n’a pas le choix, qu’il doit payer pour quelque chose dont il n’a pas forcément envie, et qu’on devrait pouvoir s’abonner aux prestations audiovisuelles de son choix, comme on le fait pour son journal. N’y a-t-il pas une certaine logique?

Non, car ce sont deux conceptions qui s’opposent. Les partisans ont une vision du monde consumériste, alors que nous défendons le service public. Contrairement à ce que les auteurs de l’initiative prétendent, l’information, la culture, le sport ne sont pas de simples marchandises: nous vivons dans un pays, et pas dans un magasin!

Par ailleurs, le mandat de service public nous impose de produire nos contenus généralistes pour tous les publics, dans toutes les régions, de manière égale dans tous les domaines. Impossible donc d’appliquer les lois du marché au service public, car faire de la télévision et assurer une telle diversité de programmes, ce n’est commercialement pas rentable, sauf peut-être pour des abonnements pour des contenus sportifs, comme le football ou le hockey sur glace, pour les films et... le sexe.

Par ailleurs, la comparaison avec les journaux n’est pas pertinente, car le monde de la presse relève d’une logique entrepreneuriale privée, alors que nous avons un mandat de service public à remplir. Et pour cela, nous recevons la redevance. En comparaison internationale, la RTS est un acteur de taille modeste. Songez qu’en France, le budget d’un mois du service public correspond à notre budget annuel! Or, nous avons des coûts d’infrastructures et de production qui sont quasi les mêmes. Faire de la télévision ici coûte bien plus cher qu’ailleurs, et ce serait impossible sans la redevance.

Mais vous pourriez vous financer davantage par le biais des recettes publicitaires, comme le disent les partisans de No Billag…

C’est méconnaître le marché publicitaire et n’avoir aucune idée des coûts de télévision. Il faut en effet cinq minutes de publicité pour financer une seule minute d’émission…

Prenez la chaîne d’information française BFMTV, dont le budget avoisine les 100 mios. Elle fait 2% de parts du marché en France. Or, en Suisse romande, pour trouver 100 mios de publicité, il faut atteindre 30% de parts de marché. C’est totalement impensable. D’autant que nous devons aussi faire face à des chaînes de télévision étrangères qui bénéficient de décrochages publicitaires sans offrir la moindre prestation qui concerne notre région. De surcroît, même si nous parvenions à augmenter nos revenus publicitaires, cela se ferait inévitablement au détriment de la presse écrite…

En cas de oui à l’initiative, la SSR affirme qu’il n’y a pas de plan B. Mais n’est-ce pas le rôle des dirigeants de prévoir un plan B?

Mais il n’y en a pas! En cas de oui, le Conseil fédéral devra appliquer l’initiative, dont le libellé est très clair: il interdit formellement tout financement ou subventionnement des médias audiovisuels. Un oui signifierait purement et simplement la liquidation de la SSR.

Le dernier sondage pronostique un rejet de l’initiative. Même si c’est le cas, vous devrez de toute façon faire des économies, puisque le montant de la redevance passera de 451 à 365 fr. en 2019. Cette baisse des recettes risque de se traduire par une baisse de l’offre, au détriment des régions périphériques…

Non. Nous devons effectivement économiser 100mios, mais nous allons tout faire préserver l’offre de programmes! Les économies devront se faire au niveau des infrastructures et du fonctionnement de la SSR, et grâce à la transformation digitale. Nous veillerons aussi à préserver les régions, car notre ancrage y est indispensable pour pouvoir refléter toute l’actualité, conformément à notre mandat, et cela en complémentarité avec ce qu’offrent les télévisions locales. C’est le chantier auquel nous allons nous attaquer dès le 5mars.

Avec le départ prévu de Moutier du canton de Berne, pensez-vous installer le bureau de la RTSailleurs dans le Jura bernois?

Aujourd’hui, notre bureau TV de Moutier couvre l’actualité du Jura bernois et du canton du Jura. Le départ de Moutier ne changera rien, et nous continuerons de couvrir tout ce qui se passe dans la région à partir de ce même bureau.

PHO

 

Manuelle Pernoud, animatrice d’A Bon Entendeur, une icône du service public
Pour présenter au public tramelot la manière dont se construit une émission de service public, la RTS a choisi de se faire représenter par Manuelle Pernoud, la célèbre présentatrice de l’émission «A Bon Entendeur». L’émission de défense des consommateurs du mardi soir jouit d’une longévité extraordinaire puisqu’elle a été lancée en janvier 1976 par Catherine Wahli. Depuis 42 ans, elle prend la défense des consommateurs contre certaines pratiques douteuses. Sa durabilité démontre l’attachement d’un public nombreux qui y trouve largement son compte. «Selon le thème abordé, il nous arrive de franchir la barre des 50% d’audience», explique l’animatrice.

«A Bon Entendeur» est en quelque sorte l’icône de ce que peut se permettre un service public lorsqu’il est en mesure de tenir tête à ses annonceurs, parce qu’il ne dépend «que», à hauteur de 25%, de la publicité payante. Manuelle Pernoud est convaincue que malgré les thèmes extrêmement délicats qui sont abordés dans son émission, les chaînes de distribution, les fabricants et les prestataires de services de différentes natures, qui se font parfois reprocher la mauvaise qualité de leurs produits ou services, savent que des pressions financières ne leur permettraient pas d’influencer le travail de l’équipe de production d’ABE.

En revanche, cette émission est, plus que toute autre, tenue de vérifier avec un soin particulier ce qui y est affirmé et montré à l’écran. Fatalement, la moindre erreur serait très vite battue en brèche.

Manuelle Pernoud l’a dit devant les 80personnes environ qui sont venues l’entendre hier soir au CIP, «Notre émission peut se permettre de comparer des marques qu’elle désigne nommément, qu’elle classe en fonction de leurs qualités, de leurs prix, voire de leurs saveurs. Pour les moins bien classés, le choc peut être brutal et les télévisions de tel ou tel pays voisin ne peuvent pas faire preuve de la même transparence parce qu’elles dépendent beaucoup trop des revenus que leur rapportent ces mêmes marques ou distributeurs.»

Longue à produire
Or, bien entendu, la production d’une émission de ce genre nécessite du temps et de l’argent. «Les 45minutes d’émission que produit ABE le mardi soir représentent environ 1000heures de travail réparties entre une trentaine de personnes dont une ou deux seulement apparaissent à l’antenne.» ABE s’appuie sur une équipe de recherchistes qui œuvrent dans le terrain pour collecter des informations et très souvent des échantillons. Dans le petit film qui a été présenté hier soir au CIP, ces recherchistes ont été présentés avec le visage flouté, tant il est vrai que leur fonction les condamne à la discrétion. Qu’il s’agisse de prélever un morceau de steak dans un restaurant ou de l’eau dans une piscine, ils doivent le plus souvent ruser pour parvenir à leurs fins. Des graphistes vont à leur tour préparer les illustrations, diagrammes ou tableaux nécessaires à la bonne compréhension du sujet. Puis, viendront le montage, la sonorisation et le mixage, autant de fonctions qui coûtent le même prix si elles sont produites pour la petite Suisse romande ou pour un grand pays monolingue. Découvrir comment se construit ABE, c’est mieux comprendre la fonction de la redevance que payent les consommateurs. C’est le pari qu’a pris la RTS afin de répondre à l’invitation de la SRT-BE.

Blaise Droz

Manuelle Pernoud a expliqué les rouages de l’émission ABE hier soir au CIP. Photo:Blaise Droz

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