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Petit-Val

La fermière et son AOP

Installés depuis peu dans le hameau de Moron, les époux Kalt, et surtout leur fille, Vera, sont sur les rangs pour faire perdurer la production de la tête-de-moine AOP fermière de la ferme Lafleur, à Montfaucon. Un projet qu’il ne reste «que» à affiner.

Vera Kalt produit son fromage dans une fromagerie mobile. Mais les hivers sont trop rudes pour une production adéquate et la rénovation d’un bâtiment de la ferme s’impose. Photo: Stéphane Gerber

Par Dan Steiner

Si la tête-de-moine est un fromage à pâte mi-dure, on ne fera pas dans la demi-mesure pour qualifier la peau de la famille Kalt. Elle qui, après huit ans de tracasseries administratives dans le canton de Vaud en vue de la construction d’une grange, s’est tournée vers le hameau de Moron, sur la commune de Petit-Val, pour chercher l’apaisement. «Le contournement de l’autoroute passe à un kilomètre de notre ancienne ferme (ndlr: à Gollion (VD), dans le district de Morges), mais une simple étable en bois aurait eu un ‹trop grand impact environnemental›...» soupire Vera, la fille de Regula et de Thomas. Dont les origines suisses alémaniques ont apparemment joué sur les négociations. Et sur les rapports de voisinage.

Bref, les trois travailleurs de la terre ont donc trouvé la perle rare dans le Jura bernois, où Vera, la fromagère de la famille, espère bientôt pouvoir ajouter à ses créations maison quelques centaines de meules de tête-de-moine fermière AOP chaque année. A cet égard, les Kalt, mais aussi les Marchand et les Maître, des Franches-Montagnes, se sont lancés dans un projet de financement participatif pour rénover leurs installations, afin de faire perdurer la recette de Bernard Froidevaux, de la ferme Lafleur, à Montfaucon. Leur but: atteindre 30' 000 fr. de dons d’ici au 14 août. «Cela fait plaisir que des jeunes soient prêts à se lancer, de voir leur intérêt pour ce produit», se réjouit ce dernier.

Production «à la roulotte»
A la retraite depuis deux ans, il a bataillé durant de longues années pour obtenir son AOP «à la ferme», en 2006, d’après une recette redécouverte dans les années 90. La différence avec les huit producteurs de tête-de-moine «classique» (lire aussi ci-dessous)? «Les règles de la recette imposent une température (ndlr: du caillé) de 46 à 53 °C. Pour une production ‹à la ferme›, une température de 44 °C est admise», détaille Bernard Froidevaux, qui produisait un millier de meules par an. Transmettre son savoir-faire aux trois futurs producteurs sera un challenge. Qu’il se réjouit de relever.

Tout comme Vera Kalt, qui est prête à se lancer, quoi qu’il advienne de la campagne de financement. Car son local de production, c’est la roulotte acquise par son papa du temps de leur séjour vaudois. Mais les hivers rudes ne sont pas adéquats pour cette fromagerie roulante, pas plus que la cave actuelle – qu’elle utilise pour stocker ses fromages de vache et de chèvre, à pâte mi-dure ou dure –, trop petite pour sa production future.

Par contre, le bâtiment tricentenaire du domaine, duquel des têtes-de-moine sortaient déjà à l’époque, est tout indiqué. «Notre projet inclut également une petite boulangerie et un abattoir. Ce sera encore plus cher pour nous et ces 30'000 fr. seraient un coup de pouce pour démarrer, mais nous n’avons pas le choix de tout rénover en même temps.»

Un rêve: la restauration
Devenue productrice de fromage sur le tas, la jeune fermière de 24 ans déborde d’enthousiasme. «Les miens n’ont pas tous la même couleur ou la même taille, mais c’est ce que je veux. Je n’arrêterai d’ailleurs pas de produire les autres fromages.» Ce qui ne l’empêche pas d’être consciente des contraintes d’une production AOP. «Faire un produit de la région, c’est ce qui m’a plu dans ce projet, à la base. Et on m’a dit qu’il ne fallait pas avoir peur des charges administratives», sourit-elle.

Si elle convient que leur ferme «pourrait donner du travail à au moins dix personnes», Vera Kalt n’a pas de rêve de grandeur. Son enthousiasme débordant ne suffira pas à rajouter une 25e heure dans ses journées. Elle entend continuer d’utiliser leurs huit vaches – dont les trois premières ont été achetées à... Bernard Froidevaux, homme également à l’origine de leur venue dans le Jura bernois – pour produire le lait utile à leurs fromages.

Son grand souhait, lui, est ailleurs: la restauration. Le week-end, pas plus. Histoire de mettre en vitrine ses fromages, les biscuits, pains ou confitures de sa maman, la viande des bêtes cajolées par son papa. Un peu comme les samedis matin au marché, en vieille ville de Bienne. Mais à la ferme. Comme pour le brunch du 1er Août prochain...

Site de l'exploitation familiale: www.marche-bio-kalt.ch
Site pour le financement participatif (jusqu’au 14 août): www.lokalhelden.ch/fr/tete-de-moine-aop-fermiere

Interprofession en pleine santé
En 2017, l’Interprofession tête-de-moine (plus de 250 exploitations laitières, huit fromageries et deux affineurs impliqués) a affiché des chiffres records, tant au niveau des ventes qu’à l’exportation. Une tendance qui s’est confirmée durant les premiers mois de 2018, indique son gérant, Olivier Isler. En compagnie des futurs producteurs et de Bernard Froidevaux, il a discuté hier d’un règlement pour l’AOP «à la ferme». «Car il n’existe pas encore dans la loi suisse.» Olivier Isler ajoute toutefois que «le principe qui prévaut dans les AOP est l’ouverture du système. L’interprofession accepte les nouveaux producteurs s’ils répondent au cahier des charges.» Le règlement de cette AOP devrait être, si tout va bien, accepté cet automne par l’interprofession. Le fromage sera bio et produit au feu de bois. «Reste à obtenir les normes d’agrément et l’accréditation, une démarche assez lourde.» Mais pour une savoureuse perspective.

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