Vous êtes ici

Mobilité

Le Conseil fédéral veut faire payer davantage les pendulaires: plusieurs modèles de taxation

Doris Leuthard présente des propositions de nouveaux principes tarifaires pour les personnes qui se déplacent aux heures de pointe

Doris Leuthard, cheffe du Département des transports, a présenté hier le projet du gouvernement visant à mettre sur pied des taxes pour les usagers de la route et des transports publics aux heures de pointe.

Berne

Philippe Boeglin

Les pendulaires deviendront-ils les «vaches à lait» des transports publics et de la route? Cette crainte, diffuse, découle des réflexions du Conseil fédéral sur la tarification de la mobilité, présentées hier par Doris Leuthard. En effet, la grande majorité des modèles évoqués proposent de taxer davantage les passagers et automobilistes circulant aux heures de pointe, dans des zones très fréquentées.

Soucieuse d’éteindre l’incendie avant qu’il ne se propage, la ministre des Transports PDC a tenté de rassurer. «Le Conseil fédéral ne veut pas sanctionner les pendulaires!» L’Argovienne a toutefois enchaîné: «Ceux qui circuleraient aux moments de forte densité du trafic paieraient davantage. Mais, vu que certains n’ont pas le choix, il s’agira de procéder de façon différenciée.»

Présent à ses côtés, le directeur de l’Office fédéral des transports Peter Füglistaler choisit la voie de l’humour. «Les journalistes en profiteraient, vu qu’ils ont des horaires moins contraignants.» Les journalistes, peut-être. Mais qu’en est-il par exemple des ouvriers de la construction et des employés du commerce de détail, aux revenus modestes?

Pas de raisons de s’inquiéter, estime le haut fonctionnaire. «L’abonnement général pour les transports publics est très bon marché. Il favorise ses clients au détriment des autres passagers.»

 

«Arnaque» dénoncée

Ni une, ni deux, les boucliers se sont levés. «L’UDC n’accepte pas que la bureaucratie bernoise dicte leurs déplacements aux citoyens et punisse ceux qui vont travailler», tonne Silvia Bär, secrétaire générale adjointe.

Dans la même veine, l’Union suisse des arts et métiers: «Le Conseil fédéral veut arnaquer les citoyens. Les petites et moyennes entreprises doivent répondre aux exigences de leur clientèle et ne choisissent, en règle générale, ni l’heure ni le lieu des trajets.»

Au centre droit de l’échiquier politique, le discours varie peu. Pour Thierry Burkart, conseiller national (PLR/AG), la hausse des prix «posera le problème de la cohésion sociale». Les régions périphériques pourraient en pâtir. «En péjorant la situation des pendulaires, de moins en moins de personnes auront envie de venir s’établir à l’écart des grands centres. Ce serait une catastrophe!», s’émeut le Grison Martin Candinas, conseiller national PDC.

A gauche, des critiques similaires se font entendre. «La tarification de la mobilité ne doit pas prétériter les pendulaires financièrement. Il serait injuste de les pénaliser en raison du manque de flexibilité de leur employeur», prévient Michael Sorg, porte-parole du PS.

 

Quinze ans d’attente

Doris Leuthard temporise. «Nous allons tout d’abord chercher à modifier la loi pour lancer des projets pilotes dans certaines régions. Rien ne changera avant quinze ans.» Et la ministre des Transports de souligner que «l’idée n’est pas d’augmenter les recettes tirées des abonnements et des redevances sur le trafic routier. Le Conseil fédéral veut juste revoir la perception de ces revenus et mieux gérer le trafic, qui devrait croître d’un quart d’ici 2030.» L’introduction de nouvelles taxes serait compensée par la suppression de prélèvements existants, comme la vignette autoroutière ou la surtaxe sur les huiles minérales.

Une stratégie qui présente des contradictions, aux yeux de Thierry Burkart, également vice-président du TCS. «D’un côté, on veut déplacer les flux en taxant moins les usagers qui décaleront leurs déplacements, mais de l’autre on veut quand même maintenir les recettes pour financer les infrastructures.» L’Argovien salue toutefois «la volonté de clarifier le sujet».

Désengorger les nœuds ferroviaires et routiers aux heures de pointe: ce défi d’envergure mérite une approche plurielle, estime Martin Candinas. «L’économie doit se poser la question: est-il vraiment nécessaire que les collaborateurs aillent au bureau tous les jours? La solution passera notamment par le télétravail, depuis le domicile ou depuis des «work spaces» (locaux partagés par des employés de diverses entreprises) Cela permettra peut-être de décharger les axes de transit au profit des salariés ne disposant pas d’horaires flexibles.

L’idée de péage routier seul ne suffira pas. La taxation devra inclure tout le réseau de transports ou toute une région pour éviter que les usagers jouent la route contre le rail ou délaissent les autoroutes pour le réseau secondaire.

Pour la route, cinq variantes ont été conçues en fonction du nombre de tronçons concernés et de la taxe prélevée, mais deux mises en avant. La première frapperait les routes nationales d’une redevance au kilomètre et d’une surtaxe, alors que les routes d’agglomération ne subiraient que la surtaxe. La deuxième généraliserait redevance et surtaxe sur toutes les voies de circulation, elle a les faveurs de la majorité des consultés.

Les taxes pourraient être compensées par la baisse ou la suppression d’autres redevances comme la vignette ou la taxe sur les huiles minérales. La perception se ferait via une vignette électronique ou des appareils intelligents.

Rayon train, bus et tram, trois variantes avaient été proposées. Avec la première, les clients des lignes surchargées paieraient des tarifs différenciés selon le lieu et l’heure. La deuxième vise tous les transports des zones à très forte densité de trafic. Favorite selon la consultation, la troisième prévoit une modulation selon le lieu, l’heure et la qualité sur tout le territoire suisse.

Une tarification électronique et un système de facturation restent à mettre sur pied. En Corée du Sud, tout passe par une carte de crédit et les habitants règlent leur consommation une fois par mois; on en est encore loin, a relevé la ministre.

«L’abonnement général ne disparaîtra pas», a précisé le directeur de l’Office des transports Peter Füglistaler. Mais il sera adapté. Il pourrait par exemple donner droit à une utilisation illimitée d’un socle de prestations avec facturation des trajets parcourus au-delà de la limite fixée, comme cela existe dans les télécommunications. ats

 

 

Des régions intéréssées par un projet pilote

En consultation, Genève, le Tessin et Zoug, l’agglomération de Berne et la ville de Rapperswil-Jona (SG) se sont dits prêts à lancer des projets pilotes. Le Conseil fédéral a chargé le Département des transports d’étudier la question avec eux et d’examiner le cadre légal requis. Il faudra au moins une loi fédérale limitée dans le temps et donc l’aval du Parlement. ats

Articles correspondant: Economie »