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Road trip 2/10: droits civils

Le guerrier de l’amour arc-en-ciel

L’Amérique a légalisé le mariage gay mais de nombreux Indiens en sont exclus. Alray Nelson en a fait sa bataille.

Alray Nelson (à droite) et son partenaire Brennen Yonnie se battent pour faire reconnaître le mariage homosexuel au sein de la tribu navajo. Xavier Filliez
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Xavier Filliez

Gallup

Carré comme un catcheur, tendre comme la rosée. Sur la terrasse de leur coquette maison surplombant Gallup (NM), où passe au loin un train de marchandises plus lent que le soleil couchant, Alray met son partenaire K.-O.: «Brennen reflète le meilleur de ce que j’ai en moi.»

Indiens et homosexuels: c’est le destin de ces deux trentenaires, Alray Nelson et Brennen Yonnie. Et ce n’est pas le plus mince des défis au cœur de la nation navajo, la plus importante réserve de natifs américains (300 000 membres), un territoire grand comme deux fois la Suisse s’étalant entre les roches rouge ocre du Nouveau-Mexique, de l’Arizona et de l’Utah.

Depuis le 26 juin 2015, les Etats-Unis reconnaissent le mariage entre personnes de même sexe comme un droit constitutionnel. Dans une décision qui a fait trembler le continent (Obergefell vs Hodges), la Cour suprême a résumé l’union homosexuelle à laquelle de nombreux Etats s’opposaient, à une question de droits civils: «égalité de traitement» et «égale protection» sont deux principes protégés par le 14eamendement, que l’on soit «straight» ou gay.

L’héritage bigot de George W. Bush
Mais l’Amérique arc-en-ciel compte encore quelques ombres: onze tribus indiennes (sur 566), dont les Cherokees et les Navajos qui ont banni le mariage gay en 2005. Pourquoi 2005? «Rappelez-vous la croisade de George W. Bush en faveur du mariage traditionnel, juste après son élection», rappelle Alray. «Il a fait campagne dans de nombreux Etats pour honorer les promesses faites à ses électeurs néoconservateurs, chrétiens évangéliques, fondamentalistes.»

La parole présidentielle a déteint sur le Conseil de la tribu navajo qui a fini par ratifier le Diné Marriage Act, une loi tribale limitant le mariage aux binômes homme-femme. S’il paraît anecdotique à l’échelle des Etat-Unis, ce veto en dit beaucoup sur les transformations de la société américaine où la diversité, qui fait sa richesse, se heurte à un lourd héritage colonialiste.

Au début du XXe siècle, le gouvernement américain tentait d’effacer la langue, les principes fondateurs, l’identité des Navajos en somme, comme il l’avait fait plus tôt avec d’autres tribus, par assimilation, en envoyant des enfants de force dans des internats catholiques ou mormons. «Aujourd’hui, l’influence de la pensée conservatrice américaine est telle qu’elle a remis en question nos croyances et notre tolérance vis-à-vis des homosexuels», analyse Alray.

Car en matière de genre, au contraire de stigmatiser les différences, la nation navajo a tendance à les célébrer. Ce sont les mythes fondateurs qui le disent, qui comprennent une variété de genres. Les femmes. Les hommes. Ceux ou celles que l’on nomme les «Nadleeh» (ndlr: littéralement, en transformation perpétuelle), que l’on pourrait considérer comme des hermaphrodites.

Les «Dilba», l’équivalent d’un homme dans un corps de femme. Et leur contraire: une femme dans un corps d’homme. Dans l’Univers navajo, tout ce qui nous entoure a un sexe. La pluie, le vent, les montagnes.

Taux de suicide élevé
Alray n’est de loin pas le seul à voir dans l’histoire navajo une acceptation précoce des orientations sexuelles que la société moderne a renommées LGBTQ (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres, Queers).

Des anthropologues ou des historiens comme Jennifer Nez Denedtal, professeure associée à l’Université du Nouveau-Mexique et membre de la Commission des droits humains navajo le répète: «Il est fondamental de reconnaître la diversité des genres dans la société navajo. Et en ce sens, le Diné Marriage Act est une violation des droits humains et des droits civils.»

Pour Alray, le rejet de ces différences entraîne, en cascade, d’autres drames. «C’est une des raisons pour lesquelles le taux de suicide chez les jeunes Navajos est si élevé (le plus élevé de tous les groupes sociaux aux Etats-Unis) et, indirectement, une des nombreuses causes des violences domestiques, des viols, de tout ce qui arrive aux femmes.»

La femme: le grand pilier de la vie sentimentale, spirituelle et politique d’Alray Nelson. Elevé par sa grand-mère, sur la réserve, à la lueur de la lampe à gaz, attaché aux rituels et cérémonies de guérison tribales, il rappelle l’orientation matriarcale de la société navajo. La femme est à la tête du foyer. La femme transmet les traditions oralement, de génération en génération. Et Alray se bat désormais pour qu’une femme soit... présidente des Etats-Unis d’Amérique.

Chef de campagne pour Hillary
«Hillary est la seule candidate qui comprend les besoins des natifs américains. La seule qui sera digne de succéder à Obama», confie Alray qui, au printemps, par son activisme et son entregent, a été propulsé coordinateur de campagne pour Hillary auprès des tribus indiennes du Nouveau-Mexique.

Tout n’a pas toujours été si flamboyant dans sa vie. Il y a quelques années, Alray a dérapé. Comme nombre de ses pairs, il est tombé dans les pièges de l’alcool et de la drogue. Mal dans sa peau, il a inventé des menaces et des agressions à son encontre pour dénoncer la persécution envers les homosexuels. Après avoir plaidé coupable et obtenu son diplôme de l’Université d’Albuquerque, il s’est désormais racheté une réputation.

Brennen et Alray, ensemble depuis six ans, pourraient se marier en une heure. Un certificat à l’Office d’état civil de Gallup, juridiction hors de la réserve, suffirait. Mais ils ont fait de leur amour un combat pour leurs valeurs ancestrales et pour les autres. «Grâce à notre coming out et notre militantisme, les jeunes dans notre cas sauront qu’ils ne font pas fausse route. Vous verrez, bientôt, le mariage gay sera reconnu au sein de la nation navajo.»

Devant la maison du couple, une pancarte de soutien à Hillary Clinton, dont Alray coordonne la campagne auprès des Indiens du Nouveau-Mexique. Xavier Filliez

 

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