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Jeux Olympiques

Les habitants de Sotchi voient l’envers du décor

En six ans de travaux, la station russe située sur les bords de la mer Noire a subi une mue à marche forcée. «Récalcitrants» s’abstenir...

Signe d’une situation chaotique, hier encore, à deux jours de l’ouverture des Jeux, tout n’était pas prêtdans certains hôtels... Keystone

Sotchi
Pierre Avril

Il y a cinq ans, la maison d’Olga Tcherenkova était coquette. Cent treize mètres carrés de surface, de multiples chambres. La façade était couverte de roses, la pièce principale donnait sur une rue tranquille et ensoleillée. Ce confort familial s’est brisé en septembre 2011, lorsque trois experts de l’administration de Sotchi se sont présentés chez elle pour contester un cadastre vieux de 23 ans. Les juristes ont reproché à sa propriété d’empiéter de sept mètres sur la rue, celle-là même qui devait être impérativement élargie en vertu des travaux olympiques.
«Notre salle de bains, notre cuisine, la chambre de notre fils, ils ont commencé par nous raboter 30 mètres carrés, sans compter la totalité de notre terrain», raconte Olga. Elle montre les fissures qui lézardent le mur, à cause des travaux d’excavation entamés dans la rue. Au passage, la maison s’est affaissée d’un mètre, donnant les allures d’une cave à l’agréable salle à manger d’autrefois. La rue paisible est devenue une artère bruyante, difficile à traverser.

«Des SDF olympiques»

Mais le pire est à venir: le jugement final prévoit un second programme de démolition, la condamnant à vivre dans 16 mètres carrés. Seule la diffusion récente d’un reportage télévisé a permis de suspendre la décision. Probablement pas pour longtemps. «Nous sommes devenus des SDF olympiques», résume Olga, qui a dû cesser son travail à la suite de problèmes cardiaques.
En six ans de travaux sur les bords de la mer Noire, des histoires semblables se sont accumulées, en particulier près des stades de glace construits à marche forcée. Les terrains y ont été libérés de force ou à la suite d’un simple mail. Plusieurs familles se sont vues relogées dans des maisons confortables, dans des quartiers devenus dortoirs. Déjà endémique en Russie, la corruption s’est nourrie des Jeux.
Derrière les installations olympiques qui ont poussé comme des champignons, le visiteur intermittent n’est plus capable de retrouver la trace de Sotchi, celui de l’époque où cette station balnéaire pouvait encore ressembler à un village. Il y a quatre ans, les riverains du futur stade de glace gagnaient la plage – déserte – à pied, à travers un chemin creusé d’ornières. Aujourd’hui, même les maisons des plus irréductibles ont disparu. La plage a été surmontée d’une vulgaire digue de béton qui descend en pente douce vers la mer. Conséquence des grosses marées, les premières fissures apparaissent dans la structure. Plus en retrait, dans cette zone restée marécageuse, on plante des sapins nains.
En altitude, à Rosa Khoutor, Vladimir Potanine, propriétaire de la station qui abritera les courses alpines, se dit fier du travail accompli. «Ce que nous avons construit est unique. C’est comme si on avait transposé ici un morceau des Alpes», résume l’oligarque en désignant la place centrale. Le grand bouleversement ne se résume pas à l’installation de téléphériques ou d’équipements sportifs. Il s’est aussi traduit par la construction d’un aéroport, de deux gares, d’une ligne de chemin de fer, de tunnels, de routes, de centrales thermiques, d’écoles, de jardins d’enfants.

«En dehorsde tout appel d’offres»

D’autres projets, comme la construction d’un complexe de rééducation sportive, avec piste d’atterrissage d’hélicoptères, restera sur le papier. «Presque partout, l’incompétence a prévalu. On a privilégié cette approche primitive qui consiste à céder les marchés aux amis en dehors de tout appel d’offres», dénonce un écologiste local, Vladimir Kimaev.
En dépit de la propagande d’Etat qui entoure l’organisation des Jeux, l’opinion des Russes est ambivalente. La majorité d’entre eux approuve la tenue de cet événement, l’estimant «positive» pour le pays. En revanche, selon un sondage de l’institut Levada, 47% estiment qu’une «grande partie du budget a été volée ou gaspillée».
Résident de Sotchi, Alexandre Valov décrit la «fierté» qui l’a envahi lorsque sa ville a été désignée en 2007. Ce qui ne l’empêche pas, depuis, appareil-photo en bandoulière, de chroniquer au jour le jour les tares du chantier, les mensonges des dirigeants locaux ou le sort des immigrés exploités. Son blog (BlogSotchi.ru), qui compte jusqu’à 45000 visiteurs quotidiens, est devenu une référence pour tous ceux qu’intéresse l’envers du décor. Depuis, son téléphone est sur écoute. Il a reçu huit convocations téléphoniques de la part des autorités. Qu’il a toutes, pour l’instant, ignorées.

Mots clés: Sotchi, SDF, Travaux, Habitation

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