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Nucléaire

Barrière bio pour éviter les fuites radioactives

Sur mandat de Swisstopo, une étude de l’EPFL a découvert dans les argiles à Opalinus du Mont-Terri des bactéries capables de consommer l’hydrogène produit par la corrosion des fûts d’acier prévus pour contenir les déchets.

Quelque 140 expériences pour caractériser les argiles à Opalinus ont déjà été menées au laboratoire du Mont-Terri, dont 45 encore en cours. A-keystone

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RAPPEL DES FAITS

Pour stocker ses déchets provenant des centrales nucléaires, mais aussi de l’industrie et de la recherche, la Suisse devra construire un site d’entreposage final en profondeur. Les argiles à Opalinus sont les roches géologiques les plus favorables. Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses expériences sont menées dans le laboratoire du Mont-Terri, à 300m sous terre, au nord de Saint-Ursanne.

 

Philippe Oudot

Des scientifiques de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont peut-être trouvé un allié inattendu qui pourrait assurer le stockage final des déchets nucléaires en toute sécurité.

Sur mandat de Swisstopo, qui exploite le laboratoire du Mont-Terri, ils y ont en effet mené une étude sur la microbiologie des argiles à Opalinus et fait une découverte surprenante: la présence d’une communauté microbienne constituée de sept espèces de bactéries, qui vivent naturellement dans cette roche à des centaines de mètres de profondeur. Loin d’être une menace pour le stockage final des déchets radioactifs, ces bactéries pourraient au contraire accroître la sécurité des sites d’entreposage.

Pour rappel, ces déchets seront scellés dans d’épais conteneurs d’acier logés dans des niches creusées dans la roche et entourés d’une couche de bentonite (argile auto-obturante). Ces différentes barrières de protection doivent assurer l’isolement des déchets pendant au moins 200 000 ans, le temps pour que la radioactivité de ces derniers revienne au niveau de l’uranium naturel.

Le problème, c’est qu’avec le temps, les conteneurs d’acier vont s’oxyder et ce phénomène de corrosion va conduire à la production d’hydrogène. Or, son accumulation pourrait se révéler problématique, car ce gaz, très peu soluble dans l’eau, risque de provoquer des fissures dans la roche qui sert justement de barrière, explique Paul Bossart, directeur du laboratoire du Mont-Terri.

Bonne nouvelle
La présence de ces bactéries est donc une bonne nouvelle, car ces dernières sont capables de consommer l’hydrogène qui sera produit par la corrosion des conteneurs d’acier.

Dans le cadre de l’étude conduite par Rizlan Bernier-Latmani sur plusieurs années, ces bactéries ont été découvertes dans des échantillons d’eau présente dans la roche. Dans un communiqué de l’EPFL, elle indique avoir «déniché une communauté de bactéries formant une chaîne alimentaire fermée. Les espèces qui sont à la base de cette chaîne alimentaire bactérienne tirent leur énergie de l’hydrogène et des sulfates présents dans la roche. Elles alimentent les espèces restantes.»

Les chercheurs ont en particulier examiné la composition de cette population de bactéries et les changements individuels de ces dernières. Durant ces expériences, ils ont ainsi constaté qu’après avoir consommé tout l’oxygène et le fer disponibles, aussi bien les effectifs que le métabolisme des bactéries avaient changé, et que cela dépendait de la disponibilité croissante de l’hydrogène.

«Deux des espèces capables d’utiliser l’hydrogène pour actionner leur métabolisme ont proliféré, alors que les autres ont pu profiter de leur croissance», souligne Rizlan Bernier-Latmani. Ainsi donc, la prolifération de cette communauté bactérienne pourrait contribuer à empêcher l’accumulation d’hydrogène.

Faible quantité
Tout en soulignant l’importance de cette découverte, Paul Bossart observe néanmoins que dans la roche à l’état naturel, ces fameuses bactéries ne sont présentes qu’en très faible quantité: En effet, 99% de celles qui s’y trouvent proviennent de l’extérieur et ont été introduites par contamination lors des travaux d’installation du laboratoire et de ses équipements.

Les «bonnes» bactéries trouvent certes les sulfates et l’humidité dont elles ont besoin, mais la taille généralement trop réduite des pores de la roche, de l’ordre de 40 nanomètres, limite la croissance de ces communautés microbiennes.

Dans ce contexte, pour pouvoir mieux «profiter» de cette barrière biologique, l’idée est d’ajouter une couche de matériaux poreux entre la bentonite et la roche, ce qui permettrait à ces bactéries de proliférer en se nourrissant des sulfates présents dans la roche et de l’hydrogène provenant des conteneurs corrodés.

Les chercheurs ne sont toutefois pas au bout de leur peine, car ces micro-organismes pourraient également transformer l’hydrogène en méthane, au moment où les sulfates sont consommés. Une situation moins idéale, mais pas forcément critique, «car le méthane est deux fois plus soluble que l’hydrogène dans l’eau contenue dans les pores des argiles à Opalinus. Par conséquent, le risque de fissures dans la roche serait moins problématique», explique Paul Bossart.

Et de préciser que l’EPFL mène actuellement une nouvelle étude au laboratoire du Mont-Terri afin d’évaluer les conséquences de cette méthanogenèse.

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