Vous êtes ici

Abo

Politique

De Bienne à Berne

Le maire de la cité seelandaise Erich Fehr a annoncé hier se lancer dans la course pour le Conseil exécutif du canton. Son candidat du parti socialiste Hervé Gullotti se retire pour lui laisser toutes ses chances.

Erich Fehr (à gauche) souhaite voguer vers le Conseil exécutif du canton de Berne, tandis qu’Hervé Gullotti se retire de la course. JGA

Julie Gaudio

Deux natifs biennois se sont donné rendez-vous hier matin dans le bateau «Berna» de la Société de navigation du lac de Bienne (BSG), amarré au port de la cité seelandaise. Un lieu qui n’a pas été choisi au hasard, pour annoncer une nouvelle qui devrait faire des vagues tant au niveau local que cantonal. Le député socialiste au Grand conseil Hervé Gullotti a en effet annoncé retirer sa candidature au Conseil exécutif, en vue des élections du printemps 2022, au profit du maire de Bienne Erich Fehr. «La décision n’était pas facile à prendre, mais elle est guidée par le bon sens», a commenté celui qui est aussi le chancelier de la commune de Tramelan et le vice-président du Parti socialiste du canton de Berne (PSBE).

Après avoir déclaré fièrement, en novembre dernier, se lancer dans la course pour revendiquer le siège du Jura bernois au gouvernement bernois, Hervé Gullotti s’est résolu à se désister. Ceci afin de laisser des chances à son parti «de récupérer la majorité rose-verte au Conseil exécutif», comme l’a d’emblée expliqué Mirjam Veglio, co-présidente du PSBE. Et Erich Fehr d’enchaîner: «Le canton a besoin à nouveau d’une majorité gouvernementale de gauche et c’est cette conviction qui m’a conduit à me mettre à la disposition de mon parti comme candidat aux élections de l’année prochaine.»

Lorgner le siège vacant

Pour parvenir à ce renversement, le parti vise en priorité le poste de la directrice des Finances du canton de Berne, Beatrice Simon (Parti bourgeois-démocratique, PBD), qui ne se représente pas l’an prochain. La stratégie du PSBE relève ainsi «de la real politik», a estimé Hervé Gullotti. «Depuis 1990, aucun membre sortant du gouvernement n’a été évincé dans le canton de Berne et, même alors, cela avait plus à voir avec la constellation politique du parti qu’avec les personnes concernées», a rappelé à sa suite Erich Fehr.

En outre, «conquérir le siège de Beatrice Simon paraît plus réaliste que de réclamer celui du Jura bernois», a admis le Tramelot. Même si, à ce jour, le président du gouvernement bernois, Pierre Alain Schnegg (Union démocratique du centre, UDC), n’a pas annoncé qu’il se représentait, les socialistes ont estimé que la probabilité était suffisamment élevée pour qu’il le fasse, et les chances pour qu’il réussisse encore plus.

«Il est vrai que Pierre Alain Schnegg a fait du bon travail durant cette crise pandémique. Il est considéré comme un homme fort et certains journaux le voient même au Conseil fédéral», a souligné Hervé Gullotti. «Je pense qu’il est sage de donner le flambeau à Erich Fehr, qui aura certainement plus de chance de remporter cette majorité rose-verte au gouvernement.» Le maire de Bienne n’a d’ailleurs pas manqué de remercier Hervé Gullotti «d’avoir retiré sa candidature dans l’intérêt de cette mission et de [lui] avoir apporté, avec l’ensemble du PSJB, son soutien inconditionnel».

Confortablement réélu à la mairie de Bienne l’an dernier pour son troisième mandat, Erich Fehr a assuré «ne pas [se] sentir du tout fatigué de [sa] fonction». Cependant, maire depuis 10 ans, il considère que «les longs mandats n’ont plus de sens ou ne sont plus demandés aujourd’hui, étant donné le rythme rapide des changements de la société». Et 53 ans lui semble un âge idéal pour relever un nouveau défi. Le Biennois s’inscrit ainsi dans les pas de son père, Hermann Fehr, maire de Bienne entre 1977 et 1990, avant d’être élu au Conseil exécutif du canton de Berne jusqu’en 1997.

Défendre les Romands

Outre ses considérations personnelles, Erich Fehr a affirmé être convaincu «qu’après six ans de majorité bourgeoise, le canton de Berne a besoin d’une nouvelle impulsion, voire d’un véritable changement de cap vers un avenir plus social et écologique». Soutenir l’industrie du canton, le tourisme et les transports publics, encourager la mobilité piétonne et cycliste, et renforcer la formation font partie des objectifs que le candidat socialiste compte défendre durant son mandat, s’il est élu.

Bien qu’il vise le siège de Beatrice Simon, rien ne laisse supposer qu’Erich Fehr reprendrait la direction des Finances. Cela étant dit, «je suis convaincu que mes connaissances économiques et financières apporteraient une valeur ajoutée au gouvernement», a-t-il avancé. Et le maire de Bienne a bien l’intention de changer la politique des finances du canton, «souvent critiquée au Conseil municipal» de sa ville.

Parfaitement bilingue, Erich Fehr promet de représenter le Seeland, Bienne (qui n’a plus d’élu au gouvernement bernois depuis 24 ans) et les Romands du canton au Conseil exécutif. «En tant que Biennois, j’ai l’habitude de créer des ponts entre les francophones et les germanophones», a-t-il également mis en avant.

Conscient, semble-t-il, des défis qui attendent le Jura bernois et les Romands après le transfert de Moutier dans le Jura, Erich Fehr s’est voulu rassurant, en déclarant: «Le canton de Berne ne peut remplir son importante fonction de passerelle dans ce pays que s’il se dote d’un Jura bernois fort et d’une population francophone sûre d’elle. Je garantis que cela se produira réellement et ne restera pas seulement de beaux discours!» Rien ne dit toutefois que ces paroles suffiront à rassurer les habitants du Jura bernois. En témoigne le scepticisme affiché de la députée du Grand conseil Moussia de Watteville (Les Verts), qui a également annoncé sa candidature pour le siège du Jura bernois au Conseil exécutif (voir encadré ci-dessous).

Plans B sur la table

Avec leur conférence de presse, les trois socialistes rassemblés hier ont lancé les prémices de la campagne en vue des élections au Conseil exécutif du printemps 2022. Toutefois, la décision finale concernant la nomination des candidats aux élections sera prise lors du congrès du PS du canton de Berne le 29 mai 2021. «Des discussions sont également menées avec Les Verts», a glissé Mirjam Veglio, sans en dévoiler plus. Le PSBE pourrait partir dans la course avec un ticket rose-vert composé de trois socialistes et d’une Verte: Erich Fehr, ainsi que les sortants Evi Allemann et Christoph Ammann (PS)tous les deux) et l’écologiste Christine Häsler.

Hervé Gullotti a promis, de son côté, de continuer à s’engager pour sa région. Vice-président du Grand Conseil, il en reprendra la présidence en juin de cette année et promet «de s’y investir à fond». Il ne compte en revanche pas briguer la préfecture du Jura bernois.

Enfin, Erich Fehr a assuré que, s’il n’était pas élu au Conseil exécutif, il continuerait tout de même «à exercer [s]es fonctions à Bienne avec le même engagement et le même plaisir». Mais, «qui ne tente rien, n’a rien», a conclu le maire de Bienne, avec un sourire malicieux.

«Ce n’est pas un bon signal pour le Jura bernois»

Lorsque le député au Grand Conseil Hervé Gullotti (Parti socialiste) avait annoncé sa candidature pour le Conseil exécutif en novembre dernier, Les Verts avaient immédiatement rappliqué en communiquant que la députée Moussia de Watteville briguait également le siège du Jura bernois au gouvernement. Contactée hier à la suite de la conférence de presse, l’écologiste de Tramelan a estimé qu’aucune raison ne la poussait à retirer sa candidature. «Je prends acte de la décision du parti socialiste, je ne la juge pas, mais de multiples questions me viennent à l’esprit», confie Moussia de Watteville.

La première de ses interrogations concerne le choix du timing. «Le Jura bernois vient d’apprendre que Moutier, sa plus grosse commune, partait dans le Jura, et les socialistes retirent un candidat de la région. Ce n’est pas un bon signal pour la région», estime Moussia de Watteville.

Si l’élue écologiste comprend la candidature d’Erich Fehr pour gagner la majorité rose-verte au gouvernement et admet que la place de Pierre Alain Schnegg est difficilement contestable, elle estime toutefois qu’il en va de la responsabilité des élus de se lancer, quoi qu’il en soit. «Le Jura bernois doit montrer qu’il a de bons candidats, qui sont prêts à se battre pour leur région. Cela fait partie de notre devoir d’élu», appuie Moussia de Watteville. Celle-ci craint en outre que ce désistement renforce les revendications des Alémaniques pour que les sièges du Grand Conseil réservés aux Romands soient réduits après le départ de Moutier.

A l’avenir, les Jurassiens-bernois devront peut-être «se consoler, une fois de plus, avec les Biennois, comme au niveau fédéral (réd: avec Hans Stöckli au Conseil des Etats)», déplore Moussia de Watteville. «J’ai un pincement au cœur pour les survivants du Jura bernois», conclut l’élue.

Articles correspondant: Région »