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CIP: conférence

De Tavannes au vaste pays des tsars

Pierre-Yves Moeschler évoque en parfait connaisseur la vie de Daniel Henri et Lydie Amie Farron, exilés Tavannois en Russie

Pierre-Yves Moeschler (à droite) avec Pierre-Michel Farron, ancien Tavannois aujourd’hui Tramelot et fier de l’histoire de son aïeul Daniel Henri Farron. Blaise Droz

Blaise Droz

Une bonne septantaine de personnes étaient réunies mercredi soir au CIP tramelot dans le cadre du cycle de conférences «arriver ou partir, histoire de migrations». Un franc succès à l’actif de Pierre-Yves Moeschler, historien et ancien conseiller municipal biennois, mais aussi et surtout ancien Tavannois d’une famille bourgeoise. Ce dernier détail a, sans doute, eu son importance dans le choix du thème de sa causerie, puisqu’il s’est penché sur l’exil très particulier de deux enfants d’une autre famille bourgeoise, les Farron.

Daniel Henri Farron et sa sœur Lydie Amie Farron. Le premier est né Français du Haut-Rhin en 1802. Mais lorsqu’il quitte Tavannes en 1823, soit après le rattachement à Berne, il ne manque pas de se dire Suisse du Jura bernois, une étiquette bien plus agréable à porter lorsqu’on se rend au pays des tsars. En effet, en ce temps-là, les Russes n’aiment pas leur propre langue qu’ils disent réservée aux paysans. Tout bon Russe de la noblesse se doit de parler le français, mais les guerres napoléoniennes ont laissé des traces et les ressortissants catholiques de l’Exagone ont très mauvaise réputation.

«Pour les Russes, ils ressemblent trop aux Polonais!», a constaté Pierre-Yves Moeschler au cours de ses recherches. Du coup, un Suisse romand protestant a de bonnes chances de trouver un poste de précepteur et d’avoir à sa charge l’éducation et la surveillance des enfants de personnalités très en vue.

Romands très demandés
C’est pour cette raison que de très nombreux Suisses francophones vont se mettre au service de la noblesse russe. A cette époque, la Suisse est pauvre et vit tant bien que mal de l’agriculture. Le père de Daniel Henri Farron a bien tenté de diversifier ses activités en construisant et exploitant l’Hôtel des Deux Clés, en face de l’actuelle Migros. Avec sept filles et deux garçons à nourrir sa vie n’est pas de tout repos. Le voyage en Russie de Lydie Amie Farron a déjà été relaté par la directrice de Mémoires d’Ici Sylviane Messerli, aussi Pierre-Yves Moeschler ne s’est-il pas attardé beaucoup sur la vie en Russie des deux frères et sœur, mais bien davantage sur les raisons qui poussaient les Helvètes de ce temps-là à émigrer pour fuir la pauvreté.

Qu’en était-il de Daniel Henri Farron? Sans doute doué d’une belle intelligence, il suit un cours de calligraphie à Bâle et passe deux ans dans un collège, à Bienne. L’enseignement en ce temps-là est de piètre qualité, alors il ouvre une école privée de 30 élèves à Tavannes. Mais c’est trop peu pour bien gagner sa vie, à plus forte raison qu’il va parfois s’encanailler à la foire de Tramelan.

Bonjour l’ambiance
Quand il revient, il se fait battre copieusement par son père et son frère. L’ambiance familiale et exécrable, ce qui le conforte dans son envie de partir. A l’époque, les voyages en calèche sont pénibles et longs. A la frontière ukrainienne, il n’a déjà plus un sou mais la chance lui sourit. Il apitoie un marchand de tableaux zurichois du nom de Rauch qui le prend sous son aile et l’emmène à Kiev, où il le recommande à un membre de la bourgeoisie polonaise de Kiev. Il a deux garçons à sa charge.

Puis il part pour Moscou, voyage beaucoup en Russie et est engagé par une famille Jerschov. Lorsqu’il revient en Suisse, il écrira le récit de sa vie non sans préciser qu’il a été heureux en Russie et malheureux en Suisse. Dans ses écrits, Pierre-Yves Moeschler ne décèle aucun régionalisme. «C’est du français très standard, alors qu’à l’époque les Tavannois parlaient encore en patois», relève Pierre-Yves Moeschler.

A l’occasion d’un bref retour en Suisse, Daniel Henri Farron avait emmené sa sœur Lydie Amie, de 14 ans sa cadette. Elle aussi a connu bien du succès au pays des tsars et a accompagné la famille du général Nicolas Mouraviev lors de la guerre de Crimée. Avant de revenir à Tavannes, elle aussi.

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