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Cap sur le monde (15)

Et bon vent à Thomas Schulthess!

De Péry au Brésil, un long parcours sur les ailes du développement durable

Quatrième depuis la gauche, Thomas Schulthess fait face aux représentants d’investisseurs potentiels lors d’un important sommet en 2016. LDD

Blaise Droz

Du soleil, la mer, du sable fin, des cocotiers, de la caipirinha, de la capoeira et des filles à la peau dorée qui vous adressent mille et un clins d’œil? Pas de doute, vous vous trouvez à Salvador de Bahia, dans le Nordeste brésilien.

 Enfant de Péry-Reuchenette, Thomas Schulthess a le bonheur immense d’habiter là, dans ce pays de cartes postales. Seulement voilà, plus les clichés ont la vie dure, plus il est important de leur tordre le cou. Alors Thomas Schulthess le dit d’emblée: «Ici, il faut travailler le double pour obtenir le même résultat qu’en Europe, mais la compensation vient du climat et de la possibilité de se trouver en plein air n’importe quand.»

Il faut dire qu’il a déjà beaucoup bourlingué, le garçon qui a fait ses classes à Péry dans les folles années 60. Il a enchaîné sa scolarité à l’Ecole du Pasquart à Bienne, puis a entamé sa vie professionnelle par un apprentissage de dessinateur en machines chez Mikron. Ensuite, toujours à Bienne, il a entrepris des études d’ingénieur ETS en mécanique.

Un début de parcours qui n’a rien d’une voie toute tracée pour aboutir au Brésil, mais comme dans toute carrière professionnelle et toute vie humaine, le hasard a largement fait sa part des choses.

Le maître mot: innover!
En tant qu’ingénieur, Thomas Schulthess a vite compris que dans le domaine des machines, les PME de Suisse doivent constamment innover pour survivre. Voilà qui forge le caractère. Il s’ensuit pour lui une longue expérience dans une multinationale américaine par laquelle il découvre d’autres cultures de travail dans plusieurs pays émergents.

Très progressivement, il entre en contact avec l’énergie éolienne naissante par sa perception d’un savoir-faire en électrotechnique d’avant-garde de l’Ecole d’ingénieurs de Bienne, qui permet de développer de très innovants moteurs et générateurs à aimants permanents avec une électronique de puissance associée.

Thomas Schulthess a désormais les deux pieds dans la branche de l’énergie éolienne à laquelle il croit, d’autant plus que durant son adolescence, le choc pétrolier des années 70 et la panique qu’il avait générée en entraînant notamment les dimanches sans voitures, l’avaient interpellé. C’est à ce moment déjà qu’il avait pris conscience de la nécessité de se tourner vers le développement durable.

Cependant, le jeune ingénieur craignait que le développement de l’énergie éolienne en Suisse soit trop limité. C’était il y a 16 ans. Alors il a fait son baluchon et pris la route de l’exil, dans le sud de la France, pour y créer une entreprise de fabrication de petites éoliennes. Il est également devenu consultant pour des investisseurs étrangers. C’était dans la région de Toulon, où il a vécu durant quatre ans dans un environnement fort agréable, mais qu’il a jugé très peu propice au développement de PME.

Alors il a embrassé un autre projet, celui de développer une production de pales d’éoliennes au Brésil. Il avait bien compris quel potentiel aurait l’éolien dans ce marché naissant. Pourtant ce projet n’a pas vu le jour en raison du désistement de l’investisseur principal.

Un coup dans l´eau? Non, une nouvelle opportunité, car à ce stade, un de ses clients en consulting l’invite à prendre en main une activité de développement de projets éoliens et solaires dans le nord du Brésil. Il s’agit de son employeur actuel, l’Allemand SOWITEC, dont il est devenu directeur de la filiale brésilienne et membre du directoire en Allemagne. Cela fait 12 ans que cela dure et qu’il est installé à Salvador de Bahia. Il s’y sent parfaitement bien mais souvenons-nous de sa première remarque qu’il se plaît à répéter: «Ici, il faut travailler deux fois plus pour le même résultat! C’est vraiment beaucoup de travail de maintenir une entreprise de plus de 70 personnes dans un secteur et un pays en crise.»


Population accueillante
Le Brésil ne se porte pas très bien mais pourtant il dispose de tout. Dans le Nordeste, la population représente une grande diversité raciale. «Les gens sont généralement gentils et accueillants», assure Thomas Schulthess qui relève pourtant de grandes disparités sociales en raison des oligarchies encore en place. Néanmoins, le Brésil s’est beaucoup développé ces dix dernières années.

Le Nordeste est caractérisé par son littoral tropical, son centre semi-aride et une région ouest couverte d’immenses fermes dédiées à l’agriculture. Thomas Schulthess y voit d’excellentes perspectives de développement des énergies renouvelables. Le vent qui y souffle est l’un des plus productifs qui puisse être dans le monde. «Trois fois meilleur qu’à Mont-Crosin et pouvant fournir certains jours jusqu’à 40% des besoins de la région Nordeste et ses 50 millions d’habitants!», assure-t-il.

Disposant également d´une ressource solaire de tout premier rang, la région peut compter sur le développement de très grandes centrales photovoltaïques pour compléter la manne éolienne.  «Cet eldorado d’énergies renouvelables allié à d’importantes capacités agricoles devrait assurer un futur prometteur à la région en créant de la valeur ajoutée aux produits locaux».  Mais pour l’heure, le Brésil construit des barrages hydroélectriques dans la forêt amazonienne.

Même sans entrer dans le débat sur le désastre écologique et l’expropriation des peuples premiers, Thomas Schulthess juge absurde à tout point de vue de construire 5000 kilomètres de lignes à haute tension pour relier des ouvrages de faible rendement aux centres de consommation. «Mais ces grands travaux desservent un certain type de pouvoir», constate-t-il avec un peu d’amertume.

 

Il y a trop peu d’espace en Suisse
Côté vie privée, Thomas Schulthess est remarié avec une Brésilienne. Il se sent bien au Brésil et quand on lui demande s’il souhaiterait revenir en Suisse, sa réponse est des plus laconique: «Je n’ai plus l’espace nécessaire en Suisse, même si j’aime revoir ma famille et mes amis, et si parfois les Alpes et le gruyère me manquent.»  Pourtant, il trouve l’évolution politique de son pays d’adoption «très inquiétante parce qu’il y manque cruellement un nouveau leadership.» Thomas Schulthess émet des doutes et des craintes pour le futur: «Evincée, Dilma Rousseff a été remplacée par un président intérimaire, Michel Temer, sans pouvoir d´action. Le pays court le risque d’un retour de Lula aux prochaines élections de 2018, ce qui n’inspire pas une confiance inébranlable aux investisseurs étrangers.»
En revanche, la douceur du climat lui convient à merveille. «Ici, mes loisirs sont calqués sur ceux des locaux. Ils se déroulent à la plage et par quelques belles randonnées.»

Quand on le questionne sur la gastronomie, Thomas Schulthess évoque en premier lieu les délicieux fruits tropicaux. Et puis, il y a la moqueca, un pot-au-feu de poissons, poulpes et crevettes assaisonné avec de l’huile de dendé, une variété de palmier local et du lait de coco. Petit bémol à l’en croire, les succès de la musique locale dans le sillage de Nazaré Pereira qui chantait si bien son Nordeste n’ont plus trop le vent en poupe: «Et les nouvelles vagues sont assez choquantes par leur vulgarité», précise notre interlocuteur.

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