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Gaël Droz, un roc au mental d’acier

Militaire de carrière, Gaël Droz a fait de l’ultra-trail sa passion. L’année 2016 restera gravée sur ses tabelles personnelles puisqu’il a maîtrisé avec brio, en 96h39, l’une des courses les plus dures au monde: le Tor des Géants.

«Par des sentiers ardus jusqu’aux étoiles», la devise des éclaireurs parachutistes que Gaël Droz a fait sienne. LDD

Michael Bassin

Gaël Droz a tout connu: la fatigue extrême, les douleurs, les hallucinations, la neige, l’envie d’abandonner… Mais ce n’est rien par rapport à l’indescriptible plaisir qu’il a éprouvé en allant au bout de lui-même, au cœur de cette nature brute. «Quand je fais ça, j’ai des étoiles dans les yeux», confie celui qui a donc dompté l’indomptable en septembre dernier: le Tor des Géants, mythique course d’ultra-trail de 330 kilomètres pour 24 000 mètres de dénivelé dans la Vallée d’Aoste.

Mieux, cet enfant de Courtelary aujourd’hui établi au Tessin a terminé à la 11e place (10e homme) en 96 heures 39 minutes. Ce qui en fait le meilleur Suisse 2016!

Le plaisir avant tout
Avant de s’attaquer à ce monstre, Gaël Droz avait accumulé, progressivement, au travers de nombreuses courses et entraînements, une solide expérience. «Lorsqu’on fait du trail et de l’ultra-trail, on a tous des rêves. L’erreur serait de vouloir brûler les étapes.»

Son premier grand rêve justement, Gaël Droz l’a accompli en 2013 lorsqu’il s’est lancé à l’assaut d’un must de quatre lettres, UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc). En terminant 29e en 25heures47, il fut ni plus ni moins le meilleur Helvète. Pourtant, il n’en conserve pas un excellent souvenir. Car le plaisir, véritable carburant de ce sportif de l’extrême, ne fut pas au rendez-vous.

«Le chrono était bon. Mais je n’ai pas eu de bonnes sensations. Sans mes nombreux amis venus m’encourager, j’aurais abandonné, se souvient celui qui remettra l’ouvrage sur le métier en 2014. J’ai quasiment fait le même temps, mais je l’ai bien vécu», rayonne-t-il.
En 2015, Gaël Droz a continué de glaner de l’expérience. Puis, voyant que sa saison s’était bien déroulée, il s’est fixé trois objectifs pour 2016, l’année de ses 30 ans, dont le Tor des Géants.

Bien qu’habitué aux défis de taille, le trentenaire avoue avoir senti une pointe de stress sur la ligne de départ à Courmayeur. «Ce n’est pas une épreuve comme les autres. On est presque livré à soi-même. Il faut vraiment faire sa course pour soi et, surtout, rester calme.»

Au Tor des Géants, chaque coureur gère ses efforts et ses temps de repos. Seule exigence: terminer en maximum 150 heures. Cette année, sur 770 concurrents au départ, 446 sont arrivés dans les délais. Si les athlètes disposent de subsistance dans leur sac, ils peuvent aussi compter sur des postes de ravitaillement et, tous les 50 kilomètres, sur des bases de vie.

«On peut y dormir, changer d’habits ou se faire masser», explique Gaël Droz, qui a bénéficié du précieux soutien d’un ami dans son aventure.

Une chapelle, vraiment?
A ces bases de vie, Gaël Droz y aura dormi trois fois 1h15. Oui, il se sera accordé moins de quatre heures de sommeil en quatre jours de course. «Je me suis aussi endormi deux fois en marchant», rigole-t-il. «Je ne suis pas tombé, mais j’étais à côté du chemin. Ça arrive dans ce genre d’épreuve. Alors on s’arrête 3-4 minutes, et puis le froid nous reprend et on repart.»

Pour réussir à avaler la totalité des kilomètres, Gaël Droz se fixait des objectifs intermédiaires. «Ceux-ci variaient en fonction de mon état de forme. Ça pouvait être le prochain village, le prochain col ou tout simplement le prochain virage. Plus j’étais mal et plus l’objectif était proche. En course, j’essaie toujours de m’accrocher à un élément positif, aussi petit soit-il. Sinon, gare au cercle vicieux pour le moral!»

L’homme a aussi connu les hallucinations. «C’est assez fréquent dans ce genre d’efforts. C’est dû au manque de sommeil», explique-t-il. Ainsi, il a souvent cru distinguer des individus alors qu’il s’agissait de pierres uniquement.

«Une autre fois, j’ai vu une chapelle un peu plus haut et j’ai pensé pouvoir m’adosser quelques minutes contre sa porte. Et bien il s’est avéré qu’il n’y avait aucune chapelle…» Le champion a aussi connu des douleurs, vu ses articulations gonfler. «Voir son corps se modifier de la sorte est spécial», concède-t-il.

N’atteint-on pas ici la limite du dépassement de soi-même? «Je peux comprendre que certains ne conçoivent pas ce genre d’efforts. Mais j’ai besoin de me surpasser. Ça donne du sens à ma vie. Je ne demande pas aux gens de comprendre. Moi par exemple, je ne saisis pas pourquoi certaines personnes de 40 ans ont encore besoin de se prendre des cuites».

Adepte des exploits physiques, Gaël Droz assure que son expérience lui permet de reconnaître la ligne rouge à ne pas franchir. «Oui, je suis prêt à m’arrêter si je sens que je mets ma santé en danger de manière irrémédiable.»

Pour en revenir au Tor des Géants, l’expérience fut visiblement magique. Gaël Droz cite la sensation de liberté en pleine nature, les levers de soleil et les rencontres inoubliables. «Plusieurs fois je me suis dit ‹oui, c’est exactement l’endroit où j’ai envie d’être, voilà pourquoi je fais ça›».

Vivre chaque projet à fond
Comme chaque année à pareille époque, le sportif s’apprête à troquer ses baskets pour la peau de phoque. Quelques solides compétitions sont déjà agendées.

Pour 2017, le coureur n’a pas encore arrêté ses objectifs. «Probablement l’UTMB, sous les 25heures», imagine-t-il. «Je mettrai encore les gaz la saison prochaine, après on verra. Car il viendra un jour où je laisserai un peu la compétition de côté pour me tourner vers des sorties plus techniques.»

Ce jour représentera un tournant. «Ce que je fais me plaît, et je le fais à fond. Mais lorsque je souhaiterai fonder une famille, je changerai mes habitudes. Car ce sont ces moments que je voudrai alors vivre intensément.»

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