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La vie loin de tout (6)

«Ici, on est un peu comme sur la Lune»

Culminant à 1006 mètres d’altitude, à cheval entre les terres soleuroises de Gänsbrunnen et Court, le restaurant de la Binz s’est paré d’un épais manteau d’hiver en décembre. De quoi garantir un havre de calme, mais parfois aussi dissuader la clientèle.

  • 1/4 A cheval entre Gänsbrunnen et Court, la Binz et ses étendues d’or blanc en hiver font le bonheur de la famille Tschirren. Photo:Stéphane Gerber
  • 2/4 Dans son restaurant comme sur une motoneige, la famille Tschirren (ici Michel, Françoise et leur fille Nikita) a su s’habituer aux particularités d’une vie un brin éloignée de tout. Photo:Stéphane Gerber
  • 3/4 Dans son restaurant comme sur une motoneige, la famille Tschirren (ici Michel, Françoise et leur fille Nikita) a su s’habituer aux particularités d’une vie un brin éloignée de tout. Photo:Stéphane Gerber
  • 4/4 Dans son restaurant comme sur une motoneige, la famille Tschirren a su s’habituer aux particularités d’une vie un brin éloignée de tout. Photo:Stéphane Gerber
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  • Dossier

Catherine Bürki

Le jdj à l’aventure
Comment vit-on quand on habite loin de tout? Qui plus est, quand l’hiver s’installe et que la neige s’en mêle? Le Journal du Jura est parti à la rencontre d’habitants du Jura bernois qui résident à distance des commerces, des écoles, des cabinets de médecin, des transports en commun… Au fil de la semaine, découvrez des aventuriers, des férus de liberté ou des reclus volontaires à la recherche d’une forme de tranquillité ou d’isolement. Des débrouillards, assurément.

Une clairière envahie d’un épais manteau neigeux, un ciel voilé parsemé de rayons de soleil, des arbres laissant la brise emporter quelques-uns des flocons qui les recouvrent et, surtout, pas l’ombre d’un bruit. Sur les hauteurs de la montagne de la Binz, au-dessus de Court, le calme règne en maître en cette période de fêtes de fin d’année. De quoi donner aux promeneurs, quelques instants durant, l’impression d’être seuls au monde...

Au milieu de cette étendue d’or blanc se dresse toutefois, par-ci par-là, l’une ou l’autre bâtisse. Bien connu notamment des motards et cyclistes qui, en été, viennent se mesurer à la route sinueuse menant au sommet, le restaurant de la Binz semble alors comme endormi au cœur de l’hiver. Sitôt la porte d’entrée franchie, le froid laisse néanmoins place à la chaleur humaine. «Ici, on est un peu comme sur la Lune, au milieu de tout et de rien», rigole Michel Tschirren. Tenancier de l’établissement, avec sa femme Françoise, il explique avoir l’habitude qu’on s’étonne de les trouver là-haut, un brin isolés du monde, tout au long de l’année. «Il faut presque être né à la montagne pour s’y plaire. Ce n’est pas toujours évident, mais je n’en descendrais pour rien au monde!»

50% de clients en moins
Il faut dire qu’il ne connaît que ça, Michel Tschirren. Agé de 53 ans, le restaurateur a toujours vécu un peu loin de tout. D’abord sur les hauteurs de Develier, où ses parents tenaient déjà un restaurant de montagne. Puis à la Binz, dès ses sept ans, lorsque la famille a repris l’établissement où il vit désormais avec sa femme et ses trois enfants. «Le calme, la sensation de liberté, la nature environnante: c’est ça que j’aime», confie notre interlocuteur. «Nous apprécions cette solitude tout autant que de voir du monde venir manger au restaurant. C’est un juste équilibre.»

Si, en été, les visiteurs sont alors plutôt nombreux à venir goûter aux mets campagnards concoctés par la famille Tschirren, le patron ne cache pas que la donne est tout autre en hiver. Une fois enneigée et glissante, la route menant à l’enseigne décourage plus d’un gourmand. «Pour moi, ce n’est pas un problème de rouler ici, j’ai pris l’habitude et le chemin est bien entretenu. Il est rare que nous ne puissions vraiment pas descendre», note-t-il. «Mais je peux comprendre qu’on ne veuille pas prendre de risques, surtout lorsque la glace s’invite sur la route», poursuit le tenancier, qui voit ainsi la fréquentation de son restaurant chuter de près de 50% sitôt la neige arrivée. Un manque à gagner, évidemment, que le couple a toutefois appris à gérer. Afin de compenser les plus faibles rentrées des mois d’hiver, Michel Tschirren jongle entre son tablier de restaurateur et celui d’agriculteur. «Notre maison abrite non seulement un restaurant, mais aussi une ferme», sourit-il, indiquant pouvoir ainsi compter sur les revenus provenant de la vente de ses veaux et de petit bétail.

Soleure et Jura bernois
Un peu coupée du monde, mais pas trop quand même, la famille Tschirren vit ainsi paisiblement au sommet de la Binz.«Il suffit de regarder par la fenêtre pour voir un chevreuil ou un chamois, c’est fantastique!» Néanmoins terre à terre, Michel Tschirren ne cache pas que vivre aux confins de la montagne engendre aussi son lot de complications au quotidien. Surtout que son petit coin de paradis, loin d’être banal, se situe un peu au milieu de tout et de rien. «Nous sommes officiellement sur la commune de Gänsbrunnen mais pour les écoles ou encore le service postal, nous sommes rattachés au village de Court, qui se situe à tout juste 7 km», note-t-il. «Quant à la maison que nous louons, elle appartient à la commune de Crémines.»

Aller se ravitailler au village, poster une lettre, sortir en famille: tout prend alors assurément plus de temps, lorsque l’on dort à 1006 mètres d’altitude, à l’écart de toute commune. Surtout lorsque la neige débarque, évidemment. «Il n’y a pas de transports publics. Lorsque les enfants allaient encore à l’école, à Court, nous devions donc les y conduire et aller les rechercher chaque jour», relève Michel Tschirren, avouant ainsi que les permis de conduire obtenus par deux de ses enfants lui ont déjà passablement allégé ses journées.

Le regard posé sur une photo trônant au mur du restaurant, notre interlocuteur oublie toutefois vite les inconvénients de ce mode de vie un peu particulier. Sur le cliché, toute la famille est alors réunie autour d’un véhicule relativement peu courant. «Nous nous sommes tous mis à la motoneige», glisse-t-il, dans un sourire. «Tout le monde n’a pas l’occasion de se servir d’un tel engin. C’est l’un des avantages de vivre ici», poursuit le restaurateur. Et d’évoquer encore les prouesses de son fils Stive, jeune sportif de 21 ans adepte de courses de motoneige. «Il court en élite. Nous le suivons et participons d’ailleurs, depuis trois ans maintenant, à l’organisation d’une manche du championnat suisse de snowcross ici à la Binz.»

Une neige plus rare
Ayant ainsi fait de la montagne son petit havre de paix, Michel Tschirren ne redoute donc jamais l’arrivée de l’or blanc. Contribuant, selon lui, au charme du lieu, ce dernier se fait néanmoins davantage désirer que par le passé: «Quand j’étais enfant, il tombait des paquets de neige chaque hiver, c’était impressionnant.» A l’heure de se plonger dans ses souvenirs, il se remémore alors les allures de parcours du combattant que prenait parfois le chemin de l’école. «Une fois ou l’autre, il est arrivé que nous devions partir de la maison à cheval, puis continuer un bout à pied avant de rejoindre une route praticable et de pouvoir effectuer la fin du trajet en voiture», rigole-t-il.

Des épisodes cocasses qui en auraient découragé plus d’un, mais qui n’ont visiblement en rien entaché l’amour de la montagne du tenancier de la Binz. «Pour moi, le calme et les paysages que nous avons ici n’ont vraiment pas de prix!»

 

Les aléas d’une vie non connectée
Etre hyperconnecté et vivre à la montagne? Voilà deux choses qui, selon Michel Tschirren, ne vont pas vraiment de pair. «Je suis peut-être un peu vieux jeu, mais je pense que ne pas être trop connecté fait partie de cette vie à la montagne, que cela contribue à son charme», clame d’entrée le tenancier du restaurant de la Binz. Ne possédant ainsi ni téléphone portable, ni ordinateur, ce dernier indique ne jamais s’être vraiment intéressé à ce type d’engins. Ceci d’autant plus que sur les hauteurs, les problèmes de réseaux vont souvent bon train. «Il arrive que nous n’ayons plus de signal pour la télévision lorsqu’il neige. Pour capter à nouveau, nous devons aller nettoyer la parabole avec un balai depuis la fenêtre!»
Néanmoins terre à terre, le restaurateur ne cache pas que se passer de technologie, et notamment d’ordinateur, devient de plus en plus difficile aujourd’hui. Et de glisser avoir alors recours aux appareils électroniques de ses enfants lorsque le besoin s’en fait réellement ressentir: «Quand il le faut vraiment, on parvient toujours à s’arranger!»

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