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Un cargo pour New York (4/5)

Il y a avant et après le pont

Avec cette série estivale, Le JdJ suit les pérégrinationsdu collaborateur de La Liberté Kessava Packiry, parti de Liverpool en cargo pour rejoindre New York.

L’«Atlantic Sky» a atteint New York en dix jours, comme prévu. Il n’aura que la nuit pour se reposer: le lendemain, il mettra le cap sur Baltimore, dernière étape de sa tournée américaine.

Par Kessava Packiry (textes et photos)

Il est 4 heures du matin. Je ne veux pas me lever. Mais après dix jours passés en mer, ce serait bête de manquer le spectacle de l’arrivée à New York. Péniblement, je rejoins la passerelle de commande, une habitude depuis que je suis à bord de ce cargo. Je m’y rends en mode «pilote automatique». Toujours un peu endormi, je ne remarque pas l’essentiel: l’«Atlantic Sky» est à l’arrêt, quelque part au large de Long Island. «Le port de New York est fermé: il y a trop de brouillard», explique le capitaine. «Il va falloir attendre!» Bonne nouvelle! Je retourne me coucher.

A mon réveil, il est 8 heures. Rien n’a changé. Si ce n’est qu’il fait jour. Et qu’on ne voit absolument rien: il y a un brouillard comme je n’en ai jamais vécu! C’est tout blanc. On n’aperçoit pas l’avant du bateau, à peine la surface de l’eau. La mer est calme. C’est trop calme. Cette brume… John Carpenter aurait aimé.

«Comme à la maison»
Je file au mess retrouver Anja, Eliane et Patrice. A nous quatre, nous formons ce qu’il reste des passagers. Il y a deux jours, à l’occasion d’une courte escale, nous avons fait nos adieux à Anne, Patrick, Christa et Ernst. Les deux couples ont débarqué à Halifax, au Canada. Nous sommes sortis avec eux, contents de retrouver la terre que nous n’avions plus foulée depuis Liverpool, ou Hambourg pour certains. Mais, de retour sur le bateau, il y a eu comme un vide.

Des gens qui nous étaient inconnus il y a quelques jours nous manquent. C’est peut-être la magie de ce voyage. Il tient à peu de chose. A l’authenticité de ces compagnons de la mer. A un équipage attachant. A son capitaine, une crème d’homme. L’accès à la passerelle de commande, en tout temps, même durant les phases d’accostage, c’est grâce à lui. Sur les autres cargos, il n’en est pas toujours ainsi. Jacek Furmanek, qui vit sa première expérience avec des passagers, fait tout pour qu’ils soient «comme à la maison». Pour sa part, il apprécie: «C’est bon de voir de nouveaux visages, de pouvoir échanger.»

Le moteur, qui ronronnait, gronde à nouveau: le bateau bouge. Autour, c’est toujours la fumée de mer, mais New York a donné son feu vert. Il doit faire meilleur là-bas. En actionnant sa corne de brume, l’«Atlantic Sky» s’enfile dans un chenal, balisé par des bouées métalliques. Du moins, je l’imagine. J’entends seulement leur cloche teinter sous l’effet du léger bercement de la mer. Tang… Tang… Ces bouées me font penser à celle des «Dents de la mer», dont l’action se passe le long de Long Island, justement. S’il y a un requin ici, je ne le verrai pas. J’ai même manqué deux baleines par temps clair, aperçues au cours de la traversée.

Ça va être la course
Alors que l’on pénètre dans la Lower Bay, le capitaine explique la suite: une fois dans la baie de New York, l’«Atlantic Sky» longera Staten Island, pour le contourner et rejoindre Newark Bay. C’est là, au sud-ouest de Manhattan, que se trouve le port marchand, géré par l’autorité portuaire de New York et New Jersey. Le cargo devra faire escale dans deux terminaux, pour décharger. Ça va être la course. Et avec le retard pris, et les conséquences que le brouillard a eues sur l’ensemble de l’activité portuaire, il n’est pas sûr que je puisse débarquer aujourd’hui. Il va très certainement falloir que je passe la nuit à bord. Ce n’est pas pour me déplaire: je n’ai pas envie de quitter ce cargo!

Mais en attendant, il est près de 11 heures et c’est toujours la purée de pois. Je n’imaginais pas mon arrivée à New York ainsi. Le sourire du capitaine répond à mon désarroi. Ce sera meilleur de l’autre côté du pont de Verrazano, assure-t-il. Ce double pont suspendu, qui relie Brooklyn à Staten Island, marque l’entrée dans la baie de New York, l’Upper Bay. Selon les écrans de la salle de commande, on est tout près. Mais je ne vois absolument rien dehors. Ah… si! Il y a effectivement quelque chose. Une structure fantomatique qui se dessine.

Et c’est là que quelque chose m’échappe. Parce qu’il y a un avant-pont, et un après-pont. Le brouillard? Plus de brouillard! Je ne me l’explique pas. C’est comme si des ventilateurs géants avaient été posés le long des berges pour expulser toute cette brume. Trop forts, ces Américains. Je retrouve la vue. J’admire. Il fait gris, qu’importe. Au loin, les gratte-ciel de Manhattan: ils sont encore petits, mais grandissent vite. J’aperçois la statue de la Liberté! Toute verte, toute belle. Si menue devant ce mur de buildings. J’ai une pensée pour tous ces immigrés qui ont rejoint leur rêve, ou ce qu’ils croyaient l’être, en passant à ses pieds, il y a plus d’un siècle. New York...! C’est là où je descends, moi aussi.

 

Le secteur maritime entend réduireses émissions de gaz à effet de serre

Pour rallier New York, l’«Atlantic Sky» a consommé près de 3,2 tonnes de fioul à l’heure. En moyenne, c’est 1,5 à 2 fois moins environ que ce qu’engloutit un bateau plus ancien, de même type et taille. Construit en 2016, il fait aussi partie des quelques centaines de navires à l’heure actuelle (sur les 80 000 dans le monde) à être équipé de scrubbers, ou filtres lavant les fumées. «Près de 90% des marchandises sont transportées par la mer. Les transporteurs maritimes s’efforcent donc continuellement de réduire les émissions», assure Thorsten Schmittberger, directeur général des opérations navales chez ACL, propriétaire de l’«Atlantic Sky».

Depuis mi-avril, il y a désormais un but chiffré à atteindre. A la suite d’un accord historique, l’Organisation maritime internationale entend réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de moitié d’ici 2050. Le secteur maritime représente 3% des émissions mondiales de GES, 17% en 2050 si rien n’est fait.

Autre problème: le soufre. «Beaucoup de navires fonctionnent au fuel lourd, carburant peu coûteux mais très polluant, qui peut contenir jusqu’à 3,5% de soufre. Les émissions de soufre entraînent des retombées acides qui contribuent à la pollution de l’air, ce qui nuit à la santé humaine et à l’environnement», explique Olivier Mélennec, journaliste au «Marin», hebdomadaire de l’économie maritime. Selon une étude de l’Université allemande de Rostock datant de 2015, ce problème causerait le décès prématuré de 60 000 personnes par an dans l’Union européenne.

«Tous les navires devront réduire leurs émissions de soufre à 0,5% en 2020. Cela ne pourra se faire que par l’adoption d’autres combustibles que le fuel lourd: gas-oil désoufré ou gaz naturel liquéfié», indique Olivier Mélennec. Et les scrubbers? C’est une solution. «Mais qui peut entraîner une pollution du milieu maritime s’ils fonctionnent en circuit ouvert», prévient Olivier Mélennec.

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