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Conférence

Les fossiles racontent l’évolution, enfin!

Le conservateur de paléontologie et de géologie du Muséum d’histoire naturelle de Genève attendu au CIP

Lionel Cavin sur une dalle sise au-dessus des Marécottes où ont été découvertes des traces de proto-dinosaures.LDD

Contexte: Le Dr Lionel Cavin, conservateur de géologie et de paléontologie au Muséum d’histoire naturelle de Genève sera au CIP tramelot mercredi 7 septembre. Il y donnera une conférence publique à partir de 19h30, intitulée «Dinosaures et poissons fossiles dans les Alpes: qu’en aurait pensé Charles Darwin?» Grand scientifique et érudit, Lionel Cavin s’est abondamment penché sur les strates fossilifères autant que sur les écrits des naturalistes de toutes les époques, avec une prédilection pour ceux de Charles Darwin et de ses contradicteurs.

Blaise Droz

Vers la fin du 3e siècle de notre ère, Eusèbe de Césarée écrivit: «Que le déluge de Noé se soit élevé au-dessus des plus hautes montagnes est, pour moi, la vérité et je dis que le témoignage des yeux l’atteste: car j’ai vu des poissons qui ont été trouvés de mon vivant sur les pointes les plus élevées du Liban.» Alors que la tectonique des plaques n’a été définitivement admise par la communauté scientifique qu’à la fin des années 60, on comprend la stupeur des érudits de l’Antiquité à la découverte de fossiles de poissons au sommet de montagnes arides.

Le fossile de cœlacanthe découvert récemment dans les Alpes grisonnes. LDD

Controverse

Plus tard, au 19e siècle, Charles Darwin a publié sa théorie sur l’évolution des espèces par la sélection naturelle. Il est à la base d’une discorde qui n’a toujours pas tari entre scientifiques adeptes de l’évolution des espèces et le créationnisme activé par des courants religieux fondamentalistes ou radicaux. Le paléontologue genevois Lionel Cavin viendra faire le point sur l’état des connaissances actuelles le 7 septembre au CIP.

Il y racontera que des traces de pas d’ancêtres des dinosaures et d’étranges poissons fossiles ont été trouvés à plus de 2000mètres d’altitude dans les Alpes suisses. Comment sont-ils arrivés là? Les Alpes existaient-elles lorsque vivaient ces animaux? Comment a-t-on découvert ces fossiles et comment les étudie-t-on? Apportent-ils du nouveau à notre compréhension de l’évolution des êtres vivants depuis l’explication du phénomène par Charles Darwin au 19e siècle?

Il faut souligner que le naturaliste britannique se plaignait de ne pas trouver dans l’étude des fossiles tous les arguments nécessaires à sa théorie de l’évolution. Serait-il maintenant plus satisfait du message livré par les fossiles trouvés dans les Alpes et ailleurs dans le monde?

Parmi les récentes découvertes suisses se trouvent des fossiles de cœlacanthes vieux de 240millions d’années trouvés dans les Alpes grisonnes. Ces poissons qu’on qualifie parfois de «fossiles vivants», un terme inventé par Darwin en 1859, permettent d’étudier les rythmes de l’évolution. Une autre trouvaille récente faite dans les Alpes valaisannes est une série d’empreintes de pas fossilisées laissées par des reptiles encore plus anciens que les dinosaures.

Ces derniers, dont l’existence a été reconnue lorsque Darwin était jeune homme, ont pris une place capitale dans l’histoire de la vie lorsqu’on réalisa qu’ils furent à l’origine d’animaux qui nous sont aujourd’hui très familiers, les oiseaux!

Auteur fécond

Lionel Cavin est spécialiste des poissons osseux du Mésozoïque et du début du Tertiaire, la période qui a fait suite à l’extinction du Crétacé. Il est l’auteur de plus de 80 publications scientifiques et par ses travaux, l’un des scientifiques les mieux à même de rendre compte de tout ce qui a permis, postérieurement à la mort de Darwin, d’étayer sa théorie de l’évolution des espèces par la sélection naturelle.

La recherche des fossiles en dit également long sur le passé de la Terre. Le cœlacanthe découvert aux Grisons et dont l’appareil branchial est exceptionnellement bien conservé se trouvait à 2900 mètres d’altitude. Il a dû mourir dans un lagon de type tropical il y a plus de 200 millions d’années. Cet endroit de carte postale bien avant l’heure se trouvait plusieurs centaines de kilomètres plus au sud. C’était bien avant l’érection des Alpes, par la poussée de la plaque continentale africaine.

 

Aujourd’hui, Darwin serait parfaitement réconcilié avec les fossiles

Evolution Lionel Cavin est l’auteur d’un ouvrage extrêmement passionnant intitulé «Darwin et les fossiles: histoire d’une réconciliation». Il y rappelle que durant toute sa vie, le naturaliste Charles Darwin a progressivement échafaudé sa théorie de l’évolution non sans regretter que les fossiles connus à son époque étaient encore trop peu nombreux pour apporter des preuves tangibles de ce qu’il voulait démontrer.

Le père de la théorie de l’évolution s’en trouvait contrarié mais après sa mort et jusqu’à nos jours les découvertes paléontologiques se sont multipliées et contribuent au renforcement de la connaissance des mécanismes évolutifs. Le bouquin de Lionel Cavin fait un descriptif formidablement bien documenté de la question. Il décrit ces fameux chaînons manquants entre deux espèces d’une même lignée. Mais il ne se prive pas de rappeler que chaque découverte d’un chaînon manquant en fait apparaître deux nouveaux, placés avant et après la nouvelle espèce décrite. Les paléontologues ne sont donc pas prêts à manquer de chaînons manquants!

Tout le monde sait désormais que les baleines, les orques, les dauphins et marsouins ne sont pas des poissons mais des mammifères marins. Or, tous les mammifères descendent de ces très lointains ancêtres qui sont sortis de l’eau pendant le dévonien (400 millions d’années). Les cétacés descendent donc d’une lignée d’ancêtres qui a trouvé commode de retourner dans la mer.

C’était infiniment plus tard, durant l’Eocène, entre 59 et 34 millions d’années alors que les dinosaures avaient déjà fait place nette. Le mammifère vivant actuellement qui est le plus proche des baleines est l’hippopotame. C’est assez amusant parce que l’on imaginerait assez bien de gros hippopotames vivant dans les estuaires et prenant goût à s’aventurer toujours plus loin en mer jusqu’à finalement ne plus revenir sur la terre ferme. Or, cela ne s’est pas du tout passé comme ça! Les ancêtres fossiles des baleines ne sont pas plus gros que des ratons laveurs et à la différence de leurs cousins hippopotames, ils étaient carnivores.

Gorges chaudes  Et qu’en est-il des chauves-souris? Ceux qui contestent l’évolution des espèces font des gorges chaudes de ces micromammifères qui se seraient progressivement sentis pousser des ailes. Imaginez une sorte de musaraigne terrestre dont les doigts s’allongeraient inexorablement jusqu’à finalement lui permettre de s’envoler. De quoi aurait-elle l’air aux stades intermédiaires? D’un animal totalement maladroit et fatalement inadapté à son milieu! On sait maintenant, et Lionel Cavin s’en fait l’échos dans un chapitre spécifique.

Découvrons un pan du voile. La lignée ancêtre des chauves-souris est à rechercher chez des mammifères arboricoles de taille moyenne, un peu semblables aux écureuils volants et aux colugos que l’on rencontre actuellement dans les jungles asiatiques principalement. A défaut d’être parentes, ces espèces avaient un mode de vie similaire et avaient développé le moyen de planer d’un arbre à un autre. Les ancêtres des chauves-souris ont ajouté progressivement le vol battu à cette faculté de planer.

Un proto-dinosaure évolue sur une plage tropicale. On a retrouvé ses empreintes dans les Alpes valaisannes. LDD

Toujours adaptés  Dans toute l’évolution de chacune des espèces, il n’y a jamais eu d’ancêtre ridiculement inadapté à son environnement. L’évolution découle uniquement de mutations de hasard qui se révèlent utiles à ceux qui en sont porteurs, que ce soit pour conquérir de nouveaux milieux ou pour s’adapter à de lentes évolutions climatiques.

Et l’homme dans tout ça? Lionel Cavin y consacre le chapitre intitulé: «Une transition parmi d’autres: les humains». Il l’introduit en ces termes: «Darwin était conscient de la bombe qu’il allumait dans le monde scientifique, et plus généralement dans la société victorienne, en publiant sa théorie de l’évolution sur la base de la sélection naturelle. Aussi évita-t-il d’en déclencher une seconde en abordant l’origine «animale» de l’homme.»

Lionel Cavin remarque cependant que chaque lecteur et chaque commentateur de Darwin avaient à l’esprit cette question.

Plus loin dans ce chapitre sensible, Cavin énonce une vérité bien méconnue, à savoir qu’il y a 1,8 million d’années, six espèces de la lignée humaine cohabitaient sur terre dont quatre du genre Homo. Homo erectus est celui dont vraisemblablement nous descendons, mais plus ou moins à la même époque vivait également Homo ergaster, Homo rudolfensis et Homo erectus ainsi que deux cousins un peu plus éloignés Paranthropus robustus et Paranthropus boisei.

Nous sommes au final de sacrés veinards d’appartenir à la seule lignée qui a survécu et prospéré au point de dominer toutes les autres espèces.

 

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