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Vote communaliste

Où l’ingérence devient ingérable...

Demander à Moutier de rester dans ce canton, ça peut vous mener tout droit chez le préfet

Jean-Philippe Marti et Virginie Heyer: dans ce dossier, ils se retrouvent dans des camps opposés. Archives
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Pierre-Alain Brenzikofer

L’affaire serait-elle plus complexe qu’elle en a l’air? On se souvient que lors d’une récente assemblée, la Conférence des maires s’était fendue d’une résolution en faveur du maintien de Moutier dans le canton de Berne, en l’absence du maire de Moutier d’alors, Maxime Zuber, et de celui de Saint-Imier, Patrick Tanner, lequel s’était montré solidaire du premier cité dans sa désapprobation. Moutier avait même saisi la préfecture pour ce que la ville qualifiait d’incroyable ingérence. Là-dessus, le préfet Jean-Philippe Marti avait interdit, à titre superprovisionnel, à ladite Conférence de continuer à clamer son soutien indéfectible à un Moutier éternellement bernois.

Dire ou ne pas dire

Pour faire simple, la préfecture attend désormais des communes incriminées qu’elles prennent position sur ce qu’elles osent dire... mais qu’elles ont, en fait, déjà dit! Pour le préfet Marti, un cas littéralement cornélien.

«Toutes les communes ont reçu ce document de la préfecture, même celles qui n’étaient pas représentées lors de notre assemblée, nous a confié Virginie Heyer, présidente de la Conférence des maires. Elles avaient jusqu’au 17 août pour répondre au préfet. Nous leur avons fourni un exemplaire sur lequel elles pouvaient s’appuyer pour leur réponse.»

Certaines ont suivi les recommandations, d’autres pas. En gros, on leur proposait gentiment de renvoyer le préfet à ses chères études. Forcément juridiques, ces dernières.

«A la Conférence des maires, nous avons demandé deux avis de droit. Selon ces derniers, le préfet n’est pas compétent pour trancher cette affaire», assène Virginie Heyer.

De toute façon, l’intéressée se demande à quoi rime cette suspension de toute communication sur le sujet avec effet immédiat et à quoi rimerait une suspension ultérieure, dans la mesure où le communiqué a déjà été rendu public et que la CMJB n’a jamais eu l’intention d’en faire ou d’en propager davantage.

Affaire, quelle affaire?

«Nous demandons dès lors au préfet de lever cette interdiction pour clore cette affaire qui n’en est vraiment pas une, conclut la présidente. Nous n’avons jamais eu l’intention de diffuser ce communiqué par la voie d’une distribution tous ménages. Le Groupe Sanglier l’a fait? Mais ce n’est vraiment pas notre problème! La CMJB, elle, voulait simplement faire part de son attachement à Moutier. Pourquoi n’aurait-elle pas le droit de le faire?»

Ces maires qu’on voit danser

Du côté des maires qui ont accepté de répondre au JdJ, l’analyse va en tout cas dans le même sens.

«Nous nous rallions toujours au communiqué et à la décision prise par la Conférence des maires, qui plus est un 23 juin, ça ne s’invente pas, nous a confié le maire de Tramelan Philippe Augsburger. Cela dit, nous ne voulons surtout pas jeter l’anathème sur le préfet Marti et pas davantage jeter de l’huile sur le feu.»

Tramelan, toutefois, fera front commun avec les autres «accusés». «A nos yeux, ce communiqué était totalement légitime. A Tramelan, d’ailleurs, nous avons aussi le souci de préserver l’intégrité du Jura bernois. Quoi de plus logique, quoi de plus naturel dans un esprit de cohésion régionale? Quand bien même la ville de Moutier est excentrée, elle n’en constitue pas moins le pôle d’attraction majeur de notre région, notamment par une forte concentration de l’administration cantonale...»

Pas question, en tout cas, de s’énerver pour si peu: «Tramelan est une commune heureuse. Les seuls problèmes que nous connaissons actuellement, c’est l’interdiction de la musique à la piscine. Une authentique tempête dans un verre d’eau, c’est sûr!»
Un peu comme le cas qui nous intéresse, non?

On cherche des poux

A Corgémont, le député-maire Etienne Klopfenstein estime qu’il n’y avait vraiment pas de quoi entreprendre une action juridique par rapport à cette affaire.

«Même le préfet est allé bien vite en besogne pour faire savoir à ces communes qu’elles avaient mal agi. Personnellement, je suis d’avis qu’il faut montrer à Moutier que la ville ne doit pas faire la loi dans le Jura bernois. On nous accuse de nous immiscer dans ses affaires? Que dire alors de toutes ces communes jurassiennes qui arborent déjà et crânement le drapeau de Moutier? Moi, j’affirme que de temps en temps, il faut dire les choses comme il se doit. Hélas, notre préfet a toujours peur de faire un faux pas...»

Une chose est sûre, le politicien qualifie cette affaire de non-événement absolu: «Mais voilà, certains voulaient une fois de plus faire parler d’eux. Bon, on peut toujours trouver des poux si on cherche bien...»

Pas compétente

Sous couvert d’anonymat, quelques maires ont encore tenu à remettre en cause le moyen de droit choisi par Moutier, inapplicable à leurs yeux. Ces gens-là estiment que toute collectivité a le droit de donner son avis sur le vote d’une autre si le résultat est susceptible de toucher ses intérêts particuliers. Ils soutiennent en tout cas que la préfecture n’est pas compétente dans cette intrigue.

Décidément, un cas authentiquement kafkaïen...

Un casse-tête pour le préfet Marti

Un cas exceptionnel  «Je vais devoir prendre une décision après que les 41 communes concernées ont dû répondre à Moutier. Le délai sera un peu long, eu égard à la période de vacances. J’ai encore reçu aujourd’hui – hier, ndlr – une prise de position. Reste que je devrai bel et bien trancher...»
Il ne s’agit pas ici d’un recours, mais d’une action de droit administratif dirigé contre les communes qui ont signé la convention instituant la Conférence de maires (CMJB). Cette dernière n’a donc pas de personnalité juridique, ce qui oblige chaque collectivité à s’exprimer à titre individuel.
«La ville de Moutier invoque une violation de cette convention que la Conférence des maires serait tenue de respecter, précise notre interlocuteur. C’est une forme de procédure plutôt rare. Il s’agira de définir si la CMJBa violé ses statuts, donc le droit. C’est ce que j’aurai à déterminer.»
Pour mémoire, Moutier lui demandait d’interdire à la CMJB la diffusion de sa prise de position. Ce que le préfet a fait par une mesure dite superprovisoire, donc prise avant que les parties puissent s’exprimer. Quand tel sera le cas, il lui faudra décider si cette mesure est reconduite de façon purement provisoire.

Quelles conséquences?  Si Jean-Philippe Marti devait parvenir à la conclusion que l’action de la CMJB n’était pas conforme au droit, il lui faudrait alors définir quelles sont les conséquences pratiques de cette action. Cela pourrait consister en une interdiction d’utiliser cette résolution, «par hypothèse illégale»
Moralité? «Il s’agit effectivement d’une voie juridique peu habituelle, soupire le préfet, qui, décidément, n’avait pas besoin de cela. Il y a authentiquement de quoi s’y perdre...»
Ne reste dès lors plus qu’à attendre le jugement...

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