Vous êtes ici

Abo

Cap sur le monde (7)

Plutôt que roi du barreau, il a choisi de devenir prince des nuits new-yorkaises!

Enfant de Malleray, Jean-Marc Houmard avait d’abord rallié l’Amérique pour effectuer un stage juridique. Afin de le financer, il s’était fait plongeur. Avant d’acquérir une flopée de restaurants prestigieux. Dans la Grande Pomme et au Nicaragua

Jean-Marc Houmard, ou un parcours de vie exceptionnel pour l’enfant de Malleray qui se destinait à faire du droit. Depuis 30 ans à New York, il y accumule les succès dans la restauration et l’hôtellerie. Et déborde encore de projets. LDD

Pierre-Alain Brenzikofer

Pour mieux vous plonger dans cette authentique saga, juste un petit conseil: composez dans Google Jean-Marc Houmard! A coup sûr, vous aurez un spasme. Au rayon textes comme à celui des photos, l’homme est omniprésent. En compagnie de vedettes de la mode et du show-biz, sur la page de couverture de prestigieux magazines. A sa façon, l’intéressé est une star, aussi. Que les people qui fréquentent ses prestigieux établissements – Indochine, Acme, Tijuana Picnic, Tribal Hotel – se font un plaisir et un devoir de côtoyer. Bref, le genre d’histoire qui ne s’écrit qu’en Amérique.

Dites! si on l’empoignait par le début, cette histoire?
Retour aux sources de la Birse, ou presque. Jean-Marc Houmard, aujourd’hui dans la cinquantaine, a suivi ses écoles à Malleray, le gymnase à Bienne (maturité en 1979), puis le droit à Genève (licence en 1984). A l’époque, le fils de feu le conseiller national Marc-André Houmard était très attiré par le droit international. A tel point qu’il avait pour objectif de joindre une des organisations des Nations Unies – il avait aussi été engagé par le CICR après avoir terminé ses études. Mais, avant de plonger dans cet univers juridique, il avait en tête de passer quelques mois à New-York. Une ville qu’il ne connaissait pas, mais qui l’avait toujours attiré.

Des abattoirs à la plonge
Suite à un sacré concours de circonstances, l’étudiant décrochait un stage dans une étude d’avocats à New York, au printemps 1985: «Après avoir effectué quelques jobs avant mon départ pour payer mon voyage, comme prof remplaçant et aussi dans un abattoir en périphérie de Genève – le pire travail que j’aie jamais fait –, j’ai largué les amarres pour la Big Apple. Une amie, rencontrée lors d’un séjour en Floride quelques années auparavant, m’a laissé dormir sur son sofa durant les premières semaines suivant mon arrivée. L’appartement était complètement pourri et mal chauffé, mais il y avait la magie des rues new-yorkaises à découvrir. Ce qui compensait le manque de confort.»

Hélas, le stage dans l’étude d’avocats n’était pas rémunéré. Corollaire, il avait fallu trouver un job le soir pour pouvoir survivre Nettoyeur de tables dans un restaurant espagnol près de chez lui? Affaire conclue!
Surtout, la saga des restaurants pouvait commencer. Comme sa copine travaillait dans un night-club à la mode, Jean-Marc Houmard fut introduit dans le monde de la nuit dès son arrivée. De quoi rencontrer les gens qui l’ont aidé au départ: «Quelqu’un m’a dit que le restaurant le plus branché de l’époque cherchait un serveur. C’est ainsi que j’ai décroché mon job à Indochine... également en mentant sur mon expérience dans la restauration!»

Like a Rolling Stone(s)
Forcément, il se souvient encore avec émotion de sa première soirée. A une table trônaient Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat. A une autre, Mick Jagger, entre Jerry Hall, avec qui il était marié à l’époque, et Bianca, son ex-femme, qui fêtaient l’anniversaire de leur fille Jade. «Roy Halston Frowick, le créateur de mode, présidait une longue tablée avec Margaux Hemingway, Grace Jones et Liza Minnelli. Juste quelques semaines après être arrivé de Malleray, je dois bien avouer que j’étais pour le moins impressionné! C’était le New York de l’après-Studio 54 qui gravitait dans quelques restaurants de downtown, et dont Indochine était l’épicentre.»
Corollaire, après l’échéance des six mois de stage, le néo-New-Yorkais a bien vite réalisé qu’il s’amusait davantage comme serveur à Indochine que comme avocat. Et, surtout, qu’il avait davantage d’affinités avec les gens qu’il côtoyait dans ce resto qu’avec les avocats. Vous devinez la suite:il décida de prolonger son séjour «un peu plus longtemps». Cela qui nous fait maintenant un peu plus de trente ans...  

Légendes du cinéma
Surtout, après deux ans de travail, Jean-Marc Houmard était promu au poste de manager. Fonction principale? S’occuper de la clientèle VIP, tout simplement. Oui, de quoi faire la connaissance de gens qu’il n’aurait jamais imaginé côtoyer: des légendes comme Lauren Bacall et Paul Newman, des acteurs fétiches de New-York – de Niro, Pacino –, sans oublier les stars françaises de passage à New-York. Catherine Deneuve, entre autres, venait souvent dans les années 90...  quand on laissait encore les gens fumer à table.

Au début de ces années-là, justement, le propriétaire d’Indochine s’était endetté et avait décidé de se séparer du restaurant. Un (heureux) concours de circonstances, qui permit à notre petit Suisse de s’associer avec deux autres gars qui travaillaient avec lui pour reprendre l’affaire.

«Les premières années n’ont pas été faciles: d’autres restaurants étaient devenus à la mode et l’argent rentrait au compte-gouttes. Petit à petit, les gens ont néanmoins commencé à revenir. Calvin Klein a organisé un grand dîner pour l’anniversaire de sa femme Kelly, avec tout le gratin new-yorkais. Ce qui redonné un bon coup d’élan au resto. Naomi Campbell habitait dans un appartement au-dessus d’Indochine et elle amenait ses amies, les mannequins légendaires des années 90: Linda Evangelista, Cindy Crawford, Kate Moss, Claudia Schiffer, etc. Oui, des filles qui ne passent pas inaperçues, surtout quand elles sont assises autour de la même table», sourit l’intéressé.

Mais l’homme n’allait pas s’arrêter en si bon chemin: «Après Indochine, nous avons ouvert Republic en 1995, un grand restaurant à service rapide, où le menu est axé sur les nouilles asiatiques. A trois rues d’Indochine se trouvent Bond Street, un restaurant japonais haut de gamme – un de mes partenaires s’en occupe plus personnellement que moi –, et Acme, que j’ai ouvert il y a cinq ans. Le chef des quatre premières années avait été l’un des deux fondateurs du restaurant danois Noma. Le chef actuel est américain, mais le menu plutôt français.»

La nourriture, atout majeur
Le dernier né, Tijuana Picnic, est évidemment mexicain et se situe dans un quartier jeune, pas très loin des autres. Jean-Marc Houmard a d’ailleurs la chance de pouvoir d’effectuer la tournée de tous ses restos à bicyclette depuis son appartement. Un luxe qu’il apprécie.

Côté cuisine... et clientèle, il faut savoir qu’un des partenaires de notre interlocuteur à Indochine est un ancien réfugié vietnamien. Il s’occupe principalement de la nourriture, elle-même vietnamienne: «Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles nous avons une clientèle principalement axée sur la mode: nos plats sont légers et pas trop compliqués. Surtout, ils sont servis de manière à être partagés, ce qui rend ces rendez-vous détendus et conviviaux. Nous assurons régulièrement des événements privés pour diverses marques de mode – Dior, Marc Jacobs, Givenchy, entre autres – et magazines de mode. Tenez! Anna Wintour, la redoutable éditrice de Vogue, a ainsi loué le restaurant plusieurs fois. Enfin, les galeries d’art de Chelsea organisent régulièrement des repas après leurs vernissages. Les artistes, enfin, font également partie de notre clientèle régulière depuis toujours.»

Comme quoi, aujourd’hui partenaire-propriétaire de cinq restaurants, Jean-Marc Houmard s’occupe principalement d’Indochine, d’Acme et de Tijuana Picnic.
Bref, que de (bonnes) raisons pour que les stars fréquentent ces établissements. Entre le chanteur Prince et les princes et princesses européens, le défilé s’est révélé plutôt coloré pendant cette trentaine d’années. «Heureusement, pas encore de Kardashian à l’horizon, rigole l’heureux propriétaire. Et c’est maintenant la deuxième génération qui suit...»

Parmi les fidèles, on recense les gens du quartier. Iman est là toutes les deux semaines. Elle venait parfois avec son mari, David Bowie. Calvin Klein, Julianne Moore, Diane Von Furstenberg, qui loue Indochine chaque saison après son défilé, sont des hôtes réguliers. «Charlotte Gainsbourg vient assez souvent et, ce printemps, Gad Elmaleh nous a rendu visite plusieurs fois par semaine, car il assurait un spectacle dans un théâtre juste en face du resto.»

Même Hillary Clinton
Hep! pas question de s’arrêter en si bon chemin! Hillary Clinton est venue quelques fois à Acme, car elle connaît bien les parents d’un des partenaires de l’enfant de Malleray.
«Récemment j’ai même eu le grand honneur de recevoir Johnny Hallyday. L’an passé, j’ai rencontré Laeticia, son épouse, et elle a emmené Johnny et une quarantaine de personnes de son entourage proche, après son concert en 2015.»
Comme quoi, quand bien même il s’en défend, l’homme est également un people, une célébrité. Allez ! pas de fausse modestie, Jean-Marc.

«Non, de loin pas, se défend-il. Cela dit, je connais évidemment beaucoup de monde. Je ne suis pas forcément ami proche avec ma clientèle, car je préfère séparer les domaines boulot-privé. Souvent, si je sors dans des soirées people, c’est davantage pour le travail. Pour garder les contacts. Après tant d’années, le simple fait de me voir leur rappelle Indochine. Et peut-être qu’ils n’y sont pas venus depuis un mois ou deux... C’est plutôt drôle, je ne me plains pas – qui se plaindrait d’être pris en photo avec les plus belles filles du monde? –, mais c’est également épuisant. Mais quand je sors avec mes vrais amis, je me rends plutôt à Brooklyn, où il y a moins de chances que je tombe sur des connaissances.»

Sandinista?
Tout cela nous mène gentiment à l’aventure nicaraguayenne, où l’homme vient d’ouvrir un hôtel. Vu d’ici, cela ne semble pas évident. Le régime est-il toujours aussi sandiniste? Ce qui a quand même dû valoir quelques difficultés à cet entrepreneur impénitent...
«Effectivement, en 2014, avec un ami d’enfance de Malleray, Yvan Cussigh, j’ai ouvert un petit établissement de sept chambres, le Tribal Hotel, dans la ville coloniale de Granada. Mon pote y avait déménagé après avoir passé une quinzaine d’années à New York et avait déniché un bâtiment en ruine dans le centre colonial de la ville, où il souhaitait créer quelque chose. Pour moi, le seul souvenir du Nicaragua se résumait à la guerre civile des années 80, avec le scandale Iran-Contras, durant les années Reagan. Mais, après y être allé, je me suis rendu compte que c’était le passé. Que le pays était prêt à s’ouvrir au tourisme. Nous avons ainsi passé un an à concevoir les bâtiments, les meubles, lampes et accessoires, que nous avons fait réaliser par des artisans locaux. Nous avons eu la chance de décrocher un bel article dans Condé Nast Traveler trois mois après l’ouverture, ainsi que de figurer dans sa liste des meilleurs hôtels de charme du monde en 2015, ce qui nous a bien aidés à remplir les chambres...»

Il n’oublie pas sa région
Retour à la réalité? Après cette évocation sortant résolument de l’ordinaire, on a eu envie de redescendre sur terre. Nous, pas lui! En lui demandant s’il a encore des contacts avec la Suisse et s’il y revient souvent.
«Comme vous le savez, ma mère habite toujours Malleray. Et ma sœur Genève. Donc, je reviens assez régulièrement dans le Jura bernois, à moins que nous nous retrouvions ailleurs. Comme ce printemps, où elles sont venues au Nicaragua.»
Sachant que son père fut un des acteurs majeurs du Jura bernois, on était curieux de savoir s’il suit toujours l’évolution politique de cette région. Et quel regard il porte sur l’action politique de son père... «Forcément, j’ai été baigné dans la politique jurassienne durant toute ma vie, que ce soit de près ou de loin. D’abord avec mon grand-père, puis avec mon père, qui lui a succédé. Les deux étaient passionnés par cette question et ont donné beaucoup d’eux-mêmes pour faire en sorte que la volonté populaire soit respectée dans le Jura bernois. Personnellement, je pense que le respect de ce que la majorité de la population désire est la chose la plus importante. C’est ce qui définit la tradition de la démocratie suisse.»
Avant de prendre congé – par e-mail –, on lui a inéluctablement demandé s’il comptait finir sa vie en Suisse ou aux USA.

Investisseurs suisses wanted
Eh bien, Jean-Marc Houmard ne peut tout simplement pas envisager de prendre un jour sa retraite. Comme quoi, il aura toujours une attache avec New York. Et figurez-vous qu’il adorerait ouvrir d’autres hôtels – particulièrement dans des endroits chauds. «Imaginez que j’ai passé trente hivers à New York... après les hivers suisses. Alors, je dois avouer que la perspective d’avoir une excuse pour passer plus de temps à concevoir des hôtels sur une plage tropicale ne me déplaît pas. Je suis d’ailleurs en train de monter le financement d’un nouveau projet d’hôtel sur une plage de surf au Nicaragua. Avis aux investisseurs suisses!»
On fera passer le message...

Articles correspondant: Région »