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La vie loin de de tout (7)

Schutz et Tschäppeler dans la légende

Dans un passé pas si lointain, ceux qui vivaient loin de tout étaient bien plus nombreux que maintenant. Souvent mal considérés, ils étaient également entourés de mystère

Ah qu'ils sont inquiétants les gens qui vont vivre loin de tout! Blaise Droz
  • Dossier

Blaise Droz

Le Jdj à l'aventure
Comment vit-on quand on habite loin de tout? Qui plus est quand l’hiver s’installe et que la neige s’en mêle? Le Journal du Jura est parti à la rencontre d’habitants du Jura bernois qui résident à distance des commerces, des écoles, des cabinets de médecin, des transports en commun… Au fil de la semaine, découvrez des aventuriers, des férus de liberté ou des reclus volontaires à la recherche d’une forme de tranquillité ou d’isolement. Des débrouillards, assurément.

 

Poursuivant notre série, nous allons aborder la question de l’image que peuvent véhiculer les «marginaux» qui ont fait le choix de vivre à l’écart. Si pour beaucoup d’entre nous la solitude est intolérable, d’autres l’ont apprivoisée et ne voudraient y renoncer pour rien au monde. Quoi qu’il en soit, les gens ont de tout temps eu un regard étonné voire inquiet ou franchement hostile envers ceux qui vivent loin de tout, à la montagne ou dans de profondes forêts.

Petit Poucet
Les légendes populaires en témoignent: Le Petit Poucet et ses frères, dans le conte de Charles Perrault ont trouvé refuge dans une maison au cœur de la forêt. Las, son habitant était un ogre cannibale. Hansel et Gretel des frères Grimm rencontrent pour leur part une vieille sorcière également désireuse de les manger. Dans la morale de l’histoire du Petit Chaperon Rouge, c’est un violeur en puissance que la naïve petite fille rencontre dans la maison isolée de Mère-Grand.

Depuis que nos ancêtres de la lignée humaine se sont séparés des grands singes, ils ont quitté la forêt pour la savane et notre mémoire collective s’en ressent. La forêt est devenue un lieu où l’on se sent oppressé parce que l’on n’y voit pas suffisamment loin autour de soi, l’ennemi peut s’y trouver partout. C’est peut-être pour cela que l’on perçoit avec méfiance ceux qui ont le courage d’y retourner vivre. 

Vivre à l’écart de la cité est donc un acte de rébellion, d’affirmation d’une personnalité propre, mais depuis le Moyen-Age au moins, il est aussi le fait de gens moins aisés qui ne peuvent pas s’offrir le même confort que la majorité de leurs concitoyens.

Il y a seulement quelques décennies encore, des marginaux n’avaient guère d’autre choix que de vivre en marge de la société. C’était sans doute le cas du nommé Tschäppeler, un vagabond des années 40-50, bien connu à Tavannes. On lui prêtait de se réfugier dans une petite grotte bien abritée de la pluie et de l’humidité excessive sur Montoz. On lui prêtait également le talent d’être un excellent voleur de poules qui ne se laissait prendre sur le fait qu’à l’approche de l’hiver. Des gendarmes, pas trop mal intentionnés, le mettaient alors à l’ombre jusqu’au retour du printemps. C’est du moins ce que l’on racontait au village.

La bicoque à Schutz
Plus près de nous, il y a eu Noldi Schutz qui vivait dans une vieille bicoque en ruine au bout du chemin de la Promenade, là où Charles Erb a installé son atelier. C’était un brave bougre qui n’aurait pas fait de mal à une mouche mais dont les chiens, beaucoup trop libres et souvent affamés, chassaient en meute dans les forêts des environs. Il n’y a guère de doute que quelques chevreuils sont tombés sous leurs crocs. Le Père Schutz comme on l’appelait dans les années 60 semblait ne vivre que de l’air du temps. Ce n’était qu’illusion!  Ses besoins étaient on ne peut plus frugaux, certes,  et sa demeure s’effondrait lentement lorsqu’elle a été rachetée par le boucher Gilgen. Comme Schutz refusait de s’en aller, Gilgen, excédé, lui mit un jour le feu.

L’histoire du Père Schutz serait peut-être  tombée dans l’oubli, si à fin 1971, le nouveau garde forestier de la bourgeoisie de Tavannes, Raymond Chopard, n’avait consciencieusement inspecté son nouveau terrain professionnel. Constatant qu’une borne de limite communale penchait et était mal scellée, il s’appliquait à la remettre en place lorsqu’il constata qu’elle reposait sur une boîte en fer blancs. La boîte contenait une impressionnante quantité de billets de banque qui se sont avérés être propriété du brave Père Schutz. Beaucoup de ces billets étaient irrémédiablement détruits par l’humidité, et de plus ils étaient déjà retirés de la circulation par la banque nationale. «Il en restait quand même pour environs 30 000 fr. de l’époque qui ont pu être restitués à leur propriétaire», se souvient Raymond Chopard.

Le Père Schutz était alors devenu célèbre dans tous les médias «dont l’Illustré qui lui avait consacré un long reportage», se souvient le secrétaire communal et caissier de bourgeoisie Olivier Guerne. Le Père Schutz n’était du coup plus un pauvre miséreux, mais un marginal un peu avare.

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