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Produits du terroir

Sus aux imitateurs et aux usurpateurs!

A l’occasion de sa journée des médias, qui s’est tenue dans le Jura bernois et le Jura, l’Association suisse des AOP-IGP a fait le point sur la lutte contre les fraudes.

Menno Amstutz a expliqué aux participants comment se fabrique la tête-de-moine.

Philippe Oudot

C’est à Bellelay, au cœur du pays de la tête-de-moine, que l’Association suisse des AOP-IGP (voir «Les AOP-IGP en bref») a présenté hier ses activités de promotion et de défense des produits du terroir protégés par le fameux label. Comme l’a souligné sa présidente Géraldine Savary, par ailleurs conseillère aux Etats du canton de Vaud, les AOP-IGPsont destinées à protéger les produits authentiques et de qualité, «mais les spécialités de qualité suscitent des convoitises et doivent être protégées contre les imitations et les usurpations».

L’objectif des AOP-IGPest justement de garantir l’authenticité et la qualité des produits dûment estampillés. Et pour y parvenir, les filières ont défini un cahier des charges que tous les membres doivent respecter, et qui fait l’objet de contrôles stricts et réguliers. Une démarche de qualité saluée tant par la profession que par le public, a souligné la présidente.

L’importance des AOP-IGPest tout sauf marginale, a quant à lui relevé Alain Farine, directeur de l’Association. Aujourd’hui, 20 produits bénéficient du label AOP (11 fromages, 4 eaux-de-vie et 5 produits divers), et 9 produits carnés de l’appellation IGP. Cela représente quelque 10000 exploitations agricoles, soit une sur six, et environ 1300 entreprises de transformation (fromageries, boucheries, distilleries, etc.) La production de biens labellisés s’élève à quelque 75000 tonnes par an, principalement des fromages. Autre chiffre intéressant révélé par Alain Farine:ces 29 produits génèrent un chiffre d’affaires global de 700mios de francs. Une somme d’autant plus appréciable qu’elle bénéficie principalement à des régions périphériques.

Différence culturelle

Le directeur a également évoqué la différence qui existe de part et d’autre de la Sarine en matière d’AOP. Largement connue en Suisse romande, avec un taux de notoriété de 84%, elle l’est nettement moins dans la partie alémanique, le taux étant de 53%. D’ailleurs, sur les 29 produits labellisés, 20 viennent de Suisse romande.

La situation est toutefois en train d’évoluer, avec la reconnaissance récente de nouveaux produits, comme le Zuger Kirsch ou le Glarner Alpkäse. Pour Alain Farine, cette différence est d’ordre culturel, les AOC/AOPs’étant d’abord développées dans les pays latins. «La première AOCa été française, et a été attribuée au Roquefort, dans la période de l’entre-deux-guerres. Aujourd’hui, la moitié des 1200 AOP-IGPreconnues dans l’Union européenne le sont en France, en Italie et en Espagne.»

Dresser un état des lieux

Afin d’améliorer la protection des consommateurs et des producteurs, Géraldine Savary a déposé un postulat demandant au Conseil fédéral de dresser un état des lieux sur les dénonciations et les sanctions prises en cas de fraude et de non-respect des labels, aussi bien en Suisse qu’à l’étranger. L’objectif est de connaître la situation et de prendre les mesures qui s’imposent, le cas échéant. «Aujourd’hui, ce sont les chimistes cantonaux qui veillent au grain sur le terrain, mais avec l’ouverture des marchés, il faudra voir s’ils ont vraiment les moyens d’agir», a-t-elle observé. Président de l’Interprofession tête-de-moine, Jacques Gygax a salué ce postulat, soulignant qu’il serait temps d’agir sur le plan fédéral, car en laissant la surveillance aux seuls chimistes cantonaux, on atteint les limites du fédéralisme.


La tête-de-moine certifiée…ADN

Unique au monde  S’il est un fromage qui peut se prévaloir d’une longue tradition, c’est bien la tête-de-moine. «Unique au monde de par son mode de consommation sous forme de rosettes, ce fromage au lait cru est né à l’Abbaye de Bellelay il y a plus de 800 ans», a rappelé Jacques Gygax, président de l’Interprofession. La production a explosé à partir de 1982, année où fut inventée la girolle. De 200 tonnes par an en 1980, elle avoisine les 2200 tonnes aujourd’hui, dont 62%part à l’exportation, principalement à destination de l’Allemagne, de la France et du Benelux (80%). Mais on en trouve dans 35 pays, des Etats-Unis à l’Australie en passant par la Russie.

Ce produit 100%interjurassien est le 2e fromage à avoir eu droit, en 2001, au label AOC, devenu AOP. Si elle bénéficie d’une solide renommée de par sa spécificité, la tête-de-moine reste un produit de niche, qui ne représente que 1,1%de la production de fromage en Suisse.

Lutte contre la fraude  Gérant de l’Interprofession de la tête-de-moine, Olivier Isler a souligné les gros efforts entrepris de longue date pour défendre ce fromage. Le nom tête-de-moine est protégé, tout comme la marque figurative, avec ses trois moines sur l’emballage, ainsi que sa forme tridimensionnelle sous forme de rosettes.

En Suisse, a-t-il poursuivi, l’Interprofession a recensé quatre imitations ces dernières années. Deux ont déjà été abandonnés, des procédures étant en cours pour les deux autres. Al’étranger, l’Interprofession en a découvert six, dont le girollin français qui a disparu des étals. Un fromage fait l’objet d’une procédure, et trois autres, dont la production est confidentielle, apparaissent puis disparaissent régulièrement. Quant au dernier, le «monschkopf» (traduction de tête-de-moine) apparu en 2008, il a été rebaptisé fratello et trompe ostensiblement le client. S’appuyant sur la reconnaissance mutuelle des AOPentre la Suisse et l’UE depuis fin 2011, l’Interprofession est intervenue auprès de l’UE avec l’appui de l’Office fédéral de l’agriculture pour faire cesser cette usurpation. «Nous attendons avec beaucoup d’intérêt l’issue de ce conflit», a indiqué Olivier Isler.

Test ADN  Mais pour traquer les fraudeurs, l’Interprofession a franchi une étape supplémentaire. Asa demande, la station fédérale de recherche Agroscope a réussi à isoler une bactérie lactique particulière, présente dans le lait de la région de la tête-de-moine AOC. «Après six ans de recherches et de tests pour s’assurer qu’elle ne modifie en rien la qualité gustative et la texture du fromage, nous sommes parvenus à la cultiver et à la lyophiliser. Désormais, les producteurs ajoutent cette poudre lors de la fabrication, pour augmenter la concentration de cette bactérie afin de la déceler plus facilement», a expliqué John Haldemann, collaborateur d’Agroscope. Il suffit alors d’analyser un petit morceau de rosette et de rechercher la présence de cette bactérie au moyen d’une analyse ADN. «Si le test est positif, c’est de la tête-de-moine. Sinon, c’est une imitation!»


Les AOP-IGP en bref

AOPet IGPsont les deux abréviations pour appellation d’origine protégée et indication géographique protégée. Le sigle a changé d’AOC en AOP ce printemps, afin de s’adapter à la pratique de l’UE. Les AOP-IGPsont par nature des produits à forte identité, qu’ils puisent dans leur origine géographique. C’est le terroir au sens large, avec ses composantes géographiques, pédologiques, climatiques, techniques et humaines qui confèrent au produit sa personnalité.
 

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