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Une rocambolesque histoire militaire

Un documentaire volé il y a près de 50 ans et jamais diffusé a mystérieusement refait surface. On y voit l’officier biennois Marcel Aubry appliquer des méthodes d’un autre temps

Emotion et étonnement: Marcel Aubry avoue qu’il a eu de la peine à se reconnaître en visionnant ces images vieilles de près de 50 ans. LDD

Christian Kobi

La scène a surpris le principal protagoniste du film. On est en 1967. Jeune et fringant lieutenant de 24 ans, Marcel Aubry instruit avec beaucoup d’autorité la discipline militaire à ses troupes. Le ton est sec, les gestes sont réglés au millimètre, aucun écart n’est toléré dans les rangs. «Je ne me voyais pas comme ça», avoue-t-il en visionnant pour la première fois ces images. «Il faut dire que la séquence date de bientôt 50 ans. Par rapport à maintenant, la voix me paraît un peu exagérée. Je me trouve assez sec.»

Si Marcel Aubry n’avait jamais vu ces images, c’est pour une bonne raison: le film, un documentaire sur la vie militaire tourné dans une caserne de Colombier quelques mois avant les événements de Mai 68, à une époque où l’autoritarisme des officiers était déjà controversé, avait disparu à la fin du montage. Il avait été volé probablement par un collaborateur de la TSR, pro ou anti-militariste, et n’a donc jamais été diffusé.
Cette disparition avait fait grand bruit: plainte pénale, enquête de police, articles de presse. Mais aucune piste n’avait jamais abouti.

Et puis, une fois l’affaire oubliée, le film avait été discrètement réintroduit dans le circuit des archives. Par qui? Pour quelles raisons? Tout le monde l’ignore encore aujourd’hui. Comme il n’avait pas été diffusé, il est resté dans une armoire sans être répertorié jusqu’à ce quelqu’un inscrive son titre («Devenir un homme») dans une banque de données. C’est alors qu’il est repéré par le producteur de l’émission de la RTS «C’était mieux avant?», Eric Burnand, qui avait gardé l’histoire dans un coin de sa tête.

Révélateur d’une époque
Selon les protagonistes, cette incroyable affaire est révélatrice d’une époque. «Il est probable qu’un pro ou un anti-militariste ait voulu faire disparaître ce film parce qu’il représentait un enjeu politique», indique Eric Burnand. De son côté,Marcel Aubry se souvient d’une époque axée sur une discipline stricte où l’école de recrue était sacrée. «Dans ces années-là, il n’y avait aucune possibilité pour les réfractaires de ne pas faire l’armée comme c’est le cas aujourd’hui. Tout le monde n’était donc pas volontaire, il y avait pas mal de gens difficiles dans les rangs», affirme le septuagénaire biennois.

Les méthodes étaient donc adaptées en conséquence. «Nous avions les consignes claires d’être très stricts dès le début pour montrer aux soldats qui était le chef. Il ne devait y avoir aucun doute possible», se remémore l’ancien lieutenant, qui tire le parallèle avec un arbitre de football ou de hockey sur glace: «Lui aussi doit appliquer une ligne de conduite claire dès le début du match, sinon il risque de voir son autorité et ses décisions remises en question par les joueurs.»

Différent aujourd’hui
Obéissance, discipline, hiérarchie: trois mots clés que les soldats de l’époque n’avaient aucun intérêt à oublier. «L’objectif était qu’ils sachent qu’il y a des moments où ils doivent obéir au millimètre et à la seconde pour que cela fonctionne. Tout est quand même prévu pour qu’ils soient habitués à cela en cas d’intervention et non qu’ils cherchent ce qu’ils doivent faire dans des moments cruciaux», déclare-t-il dans le documentaire. Mais qui dit autorité dit aussi respect. «Il y a en avait beaucoup. Après la prise de contact qui se devait d’être rigoureuse, les rapports étaient normaux voire même amicaux», précise-t-il.

Aujourd’hui, appliquer de telles méthodes ne serait évidemment plus possible. «Je ne pense effectivement pas qu’on puisse commander aujourd’hui comme on le faisait à l’époque. L’éducation est différente, il faut prendre les gens autrement», indique Marcel Aubry, bien connu à Bienne pour avoir été le directeur du Collège de la Suze durant 32 ans avant son départ à la retraite il y a huit ans.

Y appliquait-il les mêmes méthodes qu’à l’armée? «Ce n’était bien sûr pas le même style, rigole-t-il. Mais l’armée m’a beaucoup aidé dans mon métier, notamment car elle m’a appris le sens des priorités. En tant que directeur d’école, j’étais sévère mais j’ai toujours veillé à être respectueux des élèves et à tous les traiter sur un pied d’égalité.»

Avec des pincettes
En plus de trois décennies, Marcel Aubry a pu constater l’évolution des mentalités. «Les parents ont pris de plus en plus d’importance dans la vie de l’école. Au début, j’avais affaire à des parents du même âge que moi et avec qui nous partagions la même vision de l’éducation.» Mais la situation a depuis évolué. Corollaire, l’application de l’autorité se fait plus en douceur aujourd’hui: «Il faut davantage prendre de pincettes», observe-t-il. Et sans les gants en cuir, qui plus est. «Mais ceux-là, je ne les aimais de toute façon pas.»

A voir à la télévision

La diffusion de l’émission «C’était mieux avant?» consacrée à l’autorité aura lieu mercredi à 20h10 sur RTS Un.

Le film «Devenir un homme» sera lui diffusé le lundi 7 novembre à 23h40 sur RTS Deux.

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