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La presse régionale romande fait barrage à une alliance publicitaire

Le projet de régie commune à la SSR, Swisscom et Ringier inspire des craintes aux éditeurs privés. La décision de Berne est attendue pour fin mars

Les éditeurs privés craignent de perdre des plumes sur le marché, vital, de la publicité. Keystone

La Liberté

Kessava Packiry

Et si, en tant que client de Swisscom, nous voyions nos données transmises à Ringier et à la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR), pour que ces derniers puissent faire de la publicité ciblée? Ce scénario, les éditeurs privés le redoutent. Hier, dans un communiqué, ces représentants de la presse régionale suisse romande ont vivement critiqué le projet de régie publicitaire commune à la SSR, Swisscom et Ringier.

Un projet qui a reçu le feu vert de la Commission de la concurrence, mais qui a aussitôt été bloqué par l’Office fédéral de la communication. La décision finale des services de la conseillère fédérale Doris Leuthard est attendue d’ici fin mars.

Si les éditeurs privés montent au front, c’est qu’ils craignent sérieusement de perdre des plumes sur le marché, vital, de la publicité. Entre 2004 et 2014, les rentrées publicitaires de la presse écrite suisse ont diminué de 757 millions de francs, passant de 2,3 à 1,5 milliard, rappellent-ils.

Et si Swisscom commence à transmettre les données de ses clients à ses partenaires, cela ne va pas s’arranger. L’opérateur compte 1,9 million de clients haut-débit (large-bande), dont 1,3 million de clients TV. Par ailleurs, 6,6 millions de raccordements mobile sont enregistrés chez Swisscom.

«Avec Coop et Migros, Swisscom dispose ainsi de l’une des banques de données clients les plus importantes en Suisse», souligne Daniel Hammer, secrétaire de Médias suisses, l’association des médias privés romands.

La technologie en cause

«Ces données profilent une partie de la population suisse au niveau des adresses, des habitudes de consommation ou de comportement. Elles peuvent par exemple indiquer les sites que nous fréquentons, nos habitudes de consommation ou nos tendances à voyager, lorsque le portable utilise le roaming», ajoute-t-il. «La technologie est telle aujourd’hui qu’elle permet de savoir précisément ce qu’on aime», résume Thierry Mauron, président de Médias suisses.

Porte-parole de Swisscom, Christian Neuhaus confirme la volonté de partager les données au sein de la future alliance: «C’est effectivement prévu. C’est d’ailleurs la seule nouveauté qu’apporterait cette plateforme publicitaire. La publicité ciblée sur les intérêts existe depuis très longtemps déjà. Il suffit de le voir sur internet, où des pubs apparaissent en fonction des pages visitées préalablement. Ce qui est nouveau, c’est de pouvoir le faire sur la télévision. Cela n’existe pas encore à l’heure actuelle.»

Christian Neuhaus tient toutefois à préciser: «Les données transmises seront anonymisées et agrégées. On ne pourra jamais remonter à un individu. Ce ne sera donc pas de la publicité personnalisée, mais de la publicité adressée à un groupe cible. Un garage de Fribourg pourra ainsi faire de la pub auprès d’hommes âgés de 40 à 50 ans, par exemple. Les données mettent en relief un groupe-cible de clients potentiels.»

En Suisse, aucune entreprise de médias privés ne dispose de données d’une telle précision sur leurs clients, soulève Daniel Hammer. «La presse écrite n’est pas en mesure de proposer une telle offre à ses annonceurs. C’est très dangereux pour elle car avec Swisscom, la SSR et Ringier vont pouvoir cibler leurs publicités par régions, par villes. Et attaqueront d’autant plus le marché publicitaire de proximité des petits et moyens éditeurs.»

La publicité ciblée est une réalité, poursuit Thierry Mauron. «Mais là, elle se fera indirectement avec des fonds publics, au détriment des petits journaux.» Le président dénonce ainsi le fait que la coentreprise projetée réunirait deux sociétés proches de l’Etat: la SSR est financée par la redevance et Swisscom est détenue à 51% par la Confédération.

Contourner les restrictions?

«Le problème vient moins de Swisscom, mais bien plus de la SSR», insiste Daniel Hammer. «Cette coentreprise va lui permettre de s’associer à une structure commercialisant de la publicité numérique, alors que la loi le lui interdit. En utilisant les données de Swisscom, la SSR pourrait en outre contourner les restrictions que lui impose notamment la Loi fédérale sur la radio et la télévision, en vendant ses blocs publicitaires à plusieurs annonceurs en même temps.»

Porte-parole de la SSR, Daniel Steiner rétorque que toutes les offres de la coentreprise s’en tiendront à la législation existante. Et confirme: «La publicité ciblée sur les chaînes de la SSR fait effectivement partie de ces offres que nous souhaitons proposer à l’avenir à travers la coentreprise. Il faut toutefois apporter des clarifications techniques, ce qui va engendrer des investissements, et du temps. Les premiers tests sont prévus à la fin de cette année.»

Daniel Steiner tient toutefois à rassurer: il n’est pas prévu que la SSR fasse de la concurrence aux médias locaux. «Nous l’avons dit à plusieurs reprises: nous ne diffuserons pas une publicité spécifique à une région.»

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