«Sélection pas achetée au marché»

Raffi Kouyoumdjian

20 ans, la Jurassienne Sarah Forster disputera ses premiers Jeux olympiques sous les couleurs de l’équipe de Suisse. Ce petit bout de femme au grand cœur peut compter sur le soutien de sa famille. Car, au sein de la «Mannschaft» de Vicques, on a le hockey dans le sang.
Dans le repaire familial de la rue des Mayettes, à Vicques, c’est un grand moment de franche rigolade qui éclaire le salon quand la photographe tente de croquer le clan des Forster au grand complet. «On pourrait constituer un bloc de hockey à nous cinq!», rigolent-ils. «La Mannschaft» – c’est leur nom de code – a du cœur et reste solidaire autour de Sarah (20 ans), seule hockeyeuse romande à être sélectionnée dans l’équipe de hockey sur glace pour les JO de Sotchi.
Il faut dire que les moments passés au grand complet sont rares pour le clan Forster. Pour réunir la famille, il a fallu jongler avec des emplois du temps rythmés par les rebonds de la rondelle. Chez les Forster, on accumule 12 entraînements par semaine. Et on ne parle pas des matches! «Et c’est souvent moi qui fais le taxi», ajoute Cathy, la maman, complice. «Elle le savait en épousant un hockeyeur», riposte le papa Marcel, l’entraîneur-assistant d’Ajoie et ancien pilier de l’équipe qui a obtenu la promotion en LNA, en 1988.

Un monde de hockeyeurs

«Ce mode de vie implique une grande organisation. On doit faire des plannings et les respecter. Sinon, cela ne fonctionne pas», continue la maman. Ils sont fiers et heureux, les Forster, d’avoir accompagné la fille aînée, Sarah, sur le chemin de ses premiers JO. Justine, Gaëtan Orlando, Cathy et Marcel suivront les joutes de leur No 3 préférée depuis le Jura. «Ce qu’elle a réalisé ne s’achète pas au marché. C’est beaucoup de travail. Elle a un grand mérite», insiste Marcel.
La fraîcheur et la franchise de la Jurassienne font partie du personnage, mais c’est bien son obstination et son dynamisme qui marquent la rencontre. Car le mérite évident de la jeune Jurassienne est d’avoir insisté et pris du galon dans un monde d’hommes, un milieu de hockeyeurs.
Sarah Forster fait un peu figure de pionnière, puisqu’il n’existe aucune structure pour les jeunes filles dans les clubs en Suisse. L’intégration se fait donc dans les équipes de garçons.
Dans le Jura, elles sont une dizaine à pratiquer le hockey dans les mouvements juniors. «Au début, il n’y a pas de souci. Les filles sont à égalité avec les garçons. Mais avec l’âge, on perd en gabarit, en force. On prend du retard», commente Cathy, qui sait de quoi elle parle, puisqu’elle fut l’un des premiers coaches de sa fille, avec les bambinis de Delémont.

«Reviens, gaille!»

La famille reste un point d’ancrage très important pour Sarah, une valeur essentielle pour cette employée de commerce d’un grand garage de la couronne delémontaine. «Je n’en serais pas là sans l’aide et la compréhension de ma famille. Elle m’a toujours soutenue. Et j’en ai besoin. Parfois, je suis du genre à baisser les bras, comme en décembre dernier. Après un entraînement, je n’avais qu’une envie: poser les patins.»
«Et on lui a dit: reviens, gaille!», réplique Marcel. «C’est une question de mental. Il y a beaucoup de pression pour ces filles. Il faut se battre. La course à la sélection a été terrible pour le groupe féminin. Il y a un an, elles étaient 36 en lice.» Samedi, elles n’étaient que 18 à décoller pour Sotchi.
Chez les Forster, on a aussi réussi à évacuer la frustration née de l’épisode de 2010, quand Sarah Forster n’avait pas obtenu, à 16 ans, son ticket pour les Jeux de Vancouver. «J’avais été la dernière à sortir du groupe. Ce fut dur à vivre, surtout que je n’avais pas eu d’explications à l’époque», avoue-t-elle. «Cette expérience a été un apprentissage important dans sa carrière. Elle lui a montré que le hockey ne fait pas de cadeau. Elle en est ressortie encore plus forte!», soutient Marcel.
Les faits leur donnent raison. En quatre ans, la Jurassienne s’est installée dans le groupe. En 2012, elle a obtenu à Burlington la médaille de bronze aux Mondiaux. «C’est ce qui nous fait croire qu’une autre médaille est possible à Sotchi», argumente Sarah Forster, juste avant son départ pour la Russie.
Chez les Forster, les autres retournent à leur quotidien, entre études, travail et hockey sur glace. «C’est mon plus beau cadeau, quand on est réuni les cinq à table. On est une famille de hockeyeurs! Et quand on se retrouve, on se raconte des histoires de hockey!» Sarah, au retour de Sotchi, leur promet une valise d’anecdotes.

La relève familiale se prépare

Le petit frère, Gaëtan Orlando (16 ans), novices top au HC Ajoie, a fait quelques apparitions avec les juniors-élites cette année, où il a même fait équipe avec sa sœur dans une ligne de défense 100% Forster. Lui est le dernier membre de la famille à avoir aimé et adopté le hockey! «Sarah est notre modèle. J’apprécie son envie», lance l’adolescent.
Justine, sa sœur de 12 ans, a pour sa part intégré les moskitos A du HCA et patine évidemment sur les traces de Sarah. La petite Forster fait partie de la sélection nationale M13. «Sarah nous parle tout le temps des Jeux. Cela fait des années qu’elle répète qu’elle veut y aller. C’est formidable qu’elle y soit aujourd’hui. C’est quelqu’un de très naturelle», confie Justine. Sarah lui a donné rendez-vous. En 2022. Aux Jeux. Au sein de la même ligne de défense.

Sotchi: «J’adore»

«J’adore! Nous avons bien pris possession de nos vestiaires et de nos chambres dans le village olympique. Tout y est nouveau et aux couleurs suisses. Mais nous n’avons pas de repos!» Sarah Forster est arrivée samedi à Sotchi. L’équipe de Suisse féminine a déjà eu trois séances d’entraînement dans la Shayba Arena. Elle jouera un match de préparation ce jeudi contre la Suède, avant d’affronter le Canada (samedi), les Etats-Unis (lundi) et la Finlande (mercredi) en compétition officielle. Son quart de finale est prévu le samedi 15 février.

Sarah Forster en bref

Domicile: Vicques
Naissance: 19 mai 1993
Mensurations: 169 cm, 55 kg.
Clubs: Joue avec les juniors élites B du HC Ajoie et les filles du HC Lugano (LNA).
Poste: Peut évoluer aussi bien en défense qu’en attaque.
Palmarès: Première sélection olympique. Médaillée de bronze avec l’équipe de Suisse aux Mondiaux de Burlington (2012).
Football: A 12 ans, elle remporte la Coupe jurassienne des juniors E! Elle évoluait alors comme gardienne de but avec ses coéquipiers garçons des SR Delémont.