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Littérature et psychologie

La souffrance psychique à travers le filtre de la culture

André Bandelier sort un petit roman sur le thème de la bipolarité

André Bandelier signe un précis d’histoire familiale frappée par la maladie psychique. Yves-andré Donzé

Yves-André Donzé

Prenez un intellectuel raffiné, né à Moutier, devenu prof d’université, qui a commencé d’enseigner à l’école de Souboz, puis à l’école secondaire de Tramelan et de Neuchâtel, puis le français langue étrangère à l’Uni du même lieu, et lecteur au Centre de linguistique appliquée de la même institution. Prenez le même personnage, fondateur de la section française du Centre de formation du Bureau des services de Pékin pour les missions diplomatiques, ayant mené de front son enseignement et sa licence en français, histoire, géo, et ethnologie, et sa thèse de doctorat en histoire intitulée «Porrentruy, sous-préfecture du Haut-Rhin».  

Précis d’histoire familiale

Prenez-le, cet érudit jurassien qui a dirigé l’édition critique du «Journal de ma vie», de Théophile Rémy Frêne (1727-1804), ainsi que celle de «Lettres de Genève (1741-1793)  à Jean-Henri Samuel Formey», en collaboration avec Frédéric S. Eigeldinger. Il s’appelle André Bandelier. Et il a décortiqué et dépecé l’œuvre complète de Baudelaire.

Justesse et clairvoyance

Après moult publications scientifiques, ce dernier vient de commettre «Nuits arc-en-ciel», un étonnant petit roman à découvrir aux Editions des Malvoisins, un précis d’histoire familiale frappée par la maladie psychique. Son sujet principal est la souffrance d’une épouse qui s’est révélée très tôt bipolaire, maniaco-dépressive avec ses pics d’euphorie et de véritable descente aux enfers.  Comme le dit l’auteur, en toute simplicité, «c’est une pérégrination dans la mémoire avec la culture qui aide à cimenter le tout». Ou une histoire racontée à travers un filtre kaléidoscopique. Ce roman, proche de l’autofiction, possède surtout un pouvoir réparateur, qui fait du bien d’abord au lecteur, qui se voit entraîné dans un délicat exercice de justesse et de clairvoyance. Mais pour l’auteur, il s’agit d’une formidable déclaration d’amour.
Les Bandelier sont de Sornetan. Le grand-père, issu d’une famille de petits paysans miséreux, fut radical, franc-maçon et instituteur à Moutier. Il y organisait les joutes électorales. Il est mort de la grippe espagnole le 11 juillet 1918. Le fils fut chef décolleteur. «A l’époque, quand vous vouliez aller à l’Ecole normale, il fallait passer par un orienteur. Il m’a demandé si je ne voulais pas être décolleteur. Je lui ai répondu que mon père me l’interdirait», se souvient André Bandelier. Il est devenu instituteur.

Double narration

Et il a enseigné le français langue étrangère jusqu’à sa retraite, prise à 63 ans, voici 12 ans. A l’étrangeté de la souffrance qui frappe par hasard et non par malédiction, il fallait apposer l’étrangeté des mots et leur impossibilité de dire les maladies psychiques. D’où les euphémismes utilisés dès qu’on parle d’une de ces pathologies. Ainsi, la patiente épouse Emma «s’agace de la confusion communément entretenue entre le vague à l’âme intermittent des gens à spleen, voire la démoralisation induite par une détresse spirituelle, à laquelle elle se réserve aussi le terme familier de déprime, et la dramatique descente aux sombres bords», écrit André Bandelier. Qui fustige l’utilisation abusive du mot «schizophrène»: «Le prétendu dédoublement de la personnalité n’existe pas», pose l’écrivain au double insomniaque. Si son personnage bipolaire écrit pour s’accrocher à la réalité, l’auteur mène une double narration, celle d’un anodin séjour balnéaire et celui des crises et des hospitalisations. D’une vie, en somme. Pas même sublimée. André Bandelier ne cherche pas à expliquer non plus, il apaise. Et c’est tout l’art de l’écrivain. Or, «Qui a bien pu dire que la maladie avait un sens?» dira-t-il. Dans ce roman, l’interrogation reste entière. 
 

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