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Les phares 3/5: Plougonvelin

Un vieux feu pieux

Planté au milieu des ruines d’une abbaye, Saint-Mathieu est le premier feu attesté de la côte d’Iroise.

Le phare blanc et rouge est érigé dès 1835 pour remplacer le feu initial qui menaçait de s’effondrer. Jean Guichard

Plougonvelin

Rachel Richterich

Le ciel est encore clair, l’air plutôt doux, malgré une légère brise. Aux dernières lueurs du jour, on se risque à déambuler entre les travées de pierre. Au milieu de l’ancienne nef, le phare de Saint-Mathieu jaillit. Comme un mât blanc dressé dans un océan d’ogives. Autour de lui s’enroulent des entrelacs et des contreforts.

Ce sont les vestiges de l’ancienne abbaye érigée aux 11e et 12e siècles, successivement restaurée et modifiée au rythme des guerres et de l’érosion. Il semblerait même qu’au 6e siècle déjà, un certain Tanguy serait venu s’installer là, au bout du monde, avec une petite communauté de pieux hommes, pour expier le meurtre de sa sœur.

Mais les sources peinent à en attester avec certitude. Les ruines témoignent en revanche de la forte activité que les moines bénédictins du 12e siècle ont développée en ce lieu, devenu un centre, et même l’un des points de départ en France du célèbre pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle.

Il faut dire qu’ils avaient un puissant attrait: l’abbaye aurait été fondée pour abriter des reliques de l’apôtre Matthieu l’évangéliste, ramenées d’Ethiopie quelques siècles plus tôt par des navigateurs bretons. Sa tête aurait été conservée.

D’abord un fanal
Une histoire étroitement liée, dès ses fondements, aux gens de la mer. Des hommes à qui ils procureront logis et premiers soins lors de naufrages. Et pour qui ils allumeront dès 1250 un fanal, une grande lanterne, au sommet d’une tour carrée aménagée pour cela.

«C’est le début de l’histoire du phare de Saint-Mathieu», sourit Vanessa Le Bris, historienne de formation, chargée avec deux collègues de la promotion du site. Ils y veilleront pendant près de cinq siècles. Une lanterne vitrée close sera même installée au sommet de la tour carrée, en 1689. Un système dont l’essai sera si concluant qu’il sera généralisé à l’ensemble des foyers existants. Cent ans plus tard, la Révolution française éclate et avec elle les destructions de lieux saints. L’abbaye n’y échappera pas, «les moines sont chassés et les murs sont vendus pour être utilisés comme carrière à pierres», explique Vanessa Le Bris. À l’exception de la tour carrée, car le contrat de vente exige du nouveau propriétaire sa préservation.

Rotation fatale
L’activité de signalisation maritime gagne même en importance sous Napoléon. Face à l’essor du trafic maritime lié au développement du navire à vapeur, le premier empereur de France, crée en 1806 le Service des phares et balises, rattaché à la direction des ponts et chaussés du Ministère de l’intérieur – service aujourd’hui chapeauté par le Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer de Ségolène Royal.

Dans la foulée, le feu est même amélioré, on y installe un système tournant. «C’est très lourd et la tour, trop ancienne, se fissure», explique la guide. Décision est prise de construire un nouveau phare, dès 1835. Deux chapelles sont rasées et l’ancienne tour carrée réduite de moitié pour dégager le faisceau du nouvel édifice de 37 mètres de haut – 58 mètres au-dessus du niveau de la mer.

On le dote d’une superbe lentille, celle qui tourne toujours aujourd’hui sur son bain de cuivre. Faite de cristal de roche, elle est l’œuvre d’Augustin Fresnel, qui a inventé un ingénieux système de verre à échelons, pour optimiser la réfraction de la lumière et augmenter la puissance. Le dispositif de balisage sera complété en 1906 d’un sémaphore haut de 39 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Pas abandonné
La modernisation se poursuit, le phare est électrifié en 1932, puis automatisé en 1996. La lanterne s’allume aujourd’hui grâce à une cellule photoélectrique et est télé contrôlée depuis le phare du Créac’h, à Ouessant. Ses anciens gardiens qui, depuis l’automatisation, assuraient la surveillance et la maintenance des lieux, ont fait leurs valises en février 2006.

Depuis, c’est Vanessa Le Bris et ses deux collègues, employées par la commune de Plougonvelin, qui en prennent soin. «Il a eu 181 ans le 15 juin. On fait chaque année un goûter avec les gens du coin et les visiteurs du jour», sourit Vanessa Le Bris. Une vie moins ascétique, mais tout aussi dévouée.

La nuit est complètement tombée, les lancettes des voûtes s’agitent sous l’effet du faisceau, en un mouvement lent et régulier. Le visiteur en perd son nord, les sens mis sens dessus dessous. En déambulant entre les travées de l’édifice à ciel ouvert, la nef de l’ancienne église devient celle renversée d’un bateau fantasmé, percé de milliers d’étoiles.

Cette série a été réalisée avec le soutien d’Atout France et de ses partenaires locaux

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