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Hockey sur glace

Un après-midi de boulot

Championnats du monde: très appliquée, l’équipe de Suisse prend sans soucis trois points à la Biélorussie.

Laurent Kleisl


Mike Babcock soupire. Il s’étire avant de s’arracher la mâchoire. Péniblement, la rencontre entre la Suisse et la Biélorussie atteint la moitié de son existence. Entraîneur des Toronto Maple Leafs et technicien le mieux rémunéré de la planète hockey avec ses 6,25 millions de dollars saisonniers, le Canadien de 54 ans se frotte les yeux, accablé par l’ennui d’un après-midi printanier passé à Paris-Bercy.

Comme le maigre public perdu dans l’immensité de l’arène francilienne, le Carlo Ancelotti des rondelles s’est fait une raison: si la Suisse ne vend pas du rêve, elle trouve ses marques. Pour sa quatrième rencontre aux Mondiaux2017, la sélection de Patrick Fischer a sans jamais être mise en doute pris les trois points tendus par la Biélorussie, un adversaire en déliquescence. «Non, ce n’est pas les Biélorusses qui étaient faibles, mais nous qui avons été solides et agressifs», rétorque Cody Almond. «Nous les avons empêchés de développer leur hockey, nous devenons une équipe difficile à jouer.»

Evacuer la frustration
Ce succès 3-0 résulte d’un hockey besogneux, strict et privé de fioritures. Un après-midi de boulot, à l’usine ou au bureau. Moins de 24 heures après la défaite aux tirs au but concédée face à la France (3-4), l’essentiel est acquis. «Il y avait beaucoup de frustration dans l’équipe», admet le défenseur luganais Philippe Furrer. «Pour l’évacuer, c’était une bonne chose d’enchaîner rapidement. Contre la Biélorussie, nous sommes restés calmes et, contrairement à notre première sortie face aux Slovènes, nous avons joué pendant 60minutes.» Auteur du troisième but helvétique hier(47’55), Almond évoque une rapide séquence de remobilisation menée à bien, d’un groupe soudé face aux vents contraires. «Nous avons ressenti une énorme déception après la défaite contre la France. Nous avons perdu deux points bêtement», admet l’attaquant de Genève-Servette.

Paradoxe intéressant, c’est le jeu de puissance qui, hier, a lancé le mouvement. Pourtant si approximatif, l’avantage numérique helvétique a produit l’ouverture de la marque du colosse zurichois Reto Schäppi (17’54), le Davosien Andres Ambühl assurant le coup en deuxième période (35’29). «Nous devons être plus malins avec le puck», coupe Fischer. «Mais j’apprécie notre façon de jouer, car nous avons chaque fois été supérieurs à notre adversaire.» Initialement prévu pour défendre les filets confédéraux, Jonas Hiller s’est encore fait brûler la politesse par Leonardo Genoni. Peu convaincant en ouverture face à la Slovénie, le portier du HC Bienne a depuis observé son confrère du CPBerne réaliser deux blanchissages en trois sorties. Par chance, au privé, les deux hommes et leur famille alimentent une forte relation d’amitié.

Une journée sans hockey
Les 14 timides tentatives biélorusses d’hier ont autant servi les desseins de Genoni que ceux de son équipe. Avec neuf points sur 12 possibles récoltés contre les quatre «petits» du groupe, la Suisse reste en course pour les quarts de finale. «Nous avons beaucoup de regrets par rapport à ces trois points égarés. Cela s’annonce délicat, mais nous croyons en nos chances de qualification», admet Almond. Contrairement à la France, son principal concurrent, le groupe de Fischer ne se coltine désormais que de gros clients, le Canada samedi, la Finlande dimanche et les Tchèques mardi. «Il est temps de prendre des points aux grands», assène Furrer. «Nous ne devrons pas faire l’erreur de trop respecter les Canadiens, comme nous l’avons fait à Genève en fin de préparation. Les deux journées de repos tombent à pic.»

Après avoir aligné quatre matches en cinq jours, les internationaux helvétiques vont jouir aujourd’hui d’une plage vierge de toutes activités liées au hockey. «Je ne veux voir personne à la patinoire», lance Fischer. «Mes joueurs doivent se changer les idées, penser à autre chose, passer du temps en famille. De mon côté, j’ai prévu un truc marrant avec le staff...» Sans Mike Babcock, condamné au côté obscur du hockey spectacle helvétique. Rude.
 

Des Biélorusses plus faibles que jamais

Au hasard de son classement mondial, No 7 selon la hiérarchie établie par l’IIHF, l’équipe de Suisse amorce traditionnellement ses championnats du monde face aux quatre parents pauvres de son groupe. Pour la Biélorussie, le traitement est rigoureusement inverse. C’est complètement ravagée qu’elle est ressortie de ses trois premières confrontations face à la Finlande (défaite 2-3), le Canada (0-6) et la République tchèque (1-6). «Nous sommes en totale manque de confiance», souffle le Montréalais Charles Linglet, heureux propriétaire d’un passeport biélorusse depuis 2015.

Heureux, vraiment? L’attaquant de 34ans, qui avait timidement bouclé la saison 2012/13 au HC Lugano, souffre atrocement à l’intérieur. Son visage est profondément marqué par la défaite concédée face à la Suisse, un adversaire contre lequel il était prévu de reprendre des couleurs. «J’ai rarement vu une équipe de Biélorussie aussi faible», soupire Linglet, dont c’est les deuxièmes Mondiaux avec l’ex-république soviétique. «On n’a aucune excuse, on a très mal joué. C’est très décevant, notre moral est très bas.»

Cette flagrante désunion interpelle. Dans son cadre, le sélectionneur canadien Dave Lewis s’appuie sur 15 joueurs en provenance du Dinamo Minsk, 8e sur 29 équipes de la dernière saison régulière de KHL, dont l’entraîneur Craig Woodcroft est l’assistant. «Et la KHL, c’est un gros niveau», susurre Linglet, qui a quitté le Dinamo en cours d’exercice pour les Eisbären Berlin (KHL). «Ce qui est fou, c’est qu’en arrivant aux Mondiaux, nous sommes incapables de nous approcher du niveau que nous avons ensemble en championnat.» Exemples symptomatiques du mal dont souffre le hockey biélorusse, les locomotives que sont les frères Andrei et Sergei Kostitsyn, deux anciennes étoiles de NHL au passé sulfureux, ne sont aujourd’hui guère plus que des noms sur un maillot.

Si les Helvètes croient toujours en leur chance d’accéder aux quarts de finale, la Biélorussie, elle, cherche le moyen de remporter un match, contre la France demain, la Slovénie samedi ou la Norvège mardi. «En jouant ainsi, on ne va pas gagner grand-chose», souffle le Québécois. «Il nous reste trois autres rencontres pour essayer de retrouver un peu de magie. Pour l’instant, nous n’en avons pas. Ces prochains jours, nous aurons pas mal de réunions d’équipe...» Sous le prisme biélorusse, le parcours de la sélection de Patrick Fischer en ferait presque rêver.

 

Suisse - Biélorussie 3-0 (1-0 1-0 1-0)
AccorHotels Arena, Paris: 3212 spectateurs.
Arbitres: Gofman (RUS)/Salonen (FIN); Sormunen (FIN)/Suchanek (CZE).
Buts: 17’54 Schäppi (Untersander, Genazzi, à 5 contre 4) 1-0. 35’29 Ambühl (Hollenstein, Loeffel)2-0. 47’55 Almond (Schäppi) 3-0.
Pénalités: 3 x 2’ contre la Suisse; 5 x 2’contre la Biélorussie.
Suisse: Genoni; Diaz, Furrer; Untersander, Kukan; Loeffel, Genazzi; Marti; Rüfenacht, Almond, Schäppi; Praplan, Haas, Hollenstein; Brunner, Ambühl, Bodenmann; Herzog, Malgin, Suter; Richard.
Biélorussie: Lalande; Korobov, Lisovets; Khenkel, Shinkevich; Graborenko, Yevenko; Vorobei; Andrei Kostitsyn, Sergei Kostitsyn, Stefanovich; Pavlovich, Kovyrschin, Kulakov; Demkov, Stas, Linglet; Kogalev, Sharangovich, Drozd; Karaban.
Notes: la Suisse sans Schlumpf ni Suri (surnuméraires).

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