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Pesticides

«Un grand défi, mais un beau défi!»

Une quarantaine d’agriculteurs du Jura et du Jura bernois se sont regroupés pour soutenir l’initiative «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse». Soulignant que ces produits sont dangereux pour la santé et les sols, ils estiment que le monde agricole et les consommateurs ont tout à gagner en y renonçant.

Ils étaient une quarantaine, hier, à se mobiliser pour l’initiative «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse». Olivier Noaillon-Bist

Par Philippe Oudot

Les deux initiatives agricoles sur lesquelles les Suisses voteront le 13juin constituent un vrai débat de société, qui divise le monde agricole. Si les grandes associations, comme l’Union suisse des paysans, les combattent fermement, des institutions censées être apolitiques se sont également lancées dans la bataille du «non». C’est notamment le cas de la Fondation rurale interjurassienne (FRI).

Une prise de position qui a poussé plusieurs dizaines d’agriculteurs du Jura bernois et du Jura à s’organiser pour apporter leur soutien à l’initiative «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse». Hier, face aux médias, une quarantaine d’entre eux se sont retrouvés dans la ferme de Gilles Willemin, à Fornet-Dessus, pour exposer leurs arguments.

Mélange des genres
Agriculteur bio aux Pommerats, Hanno Schmid n’avait pas vraiment l’intention de s’impliquer dans ce scrutin, «mais la prise de position de la FRI a été le déclencheur. Que les opposants fassent l’amalgame entre les deux initiatives, mélangent les arguments pour faire croire qu’on vote sur un seul sujet, c’est de bonne guerre. Mais qu’une institution de formation et de vulgarisation en fasse de même est tout autre chose!», a-t-il dénoncé. Or, a-t-il rappelé, l’une veut bannir les pesticides de synthèse alors que l’autre veut réorienter les paiements directs vers une production durable sans pesticides et sans utilisation d’antibiotiques à titre prophylactique.

Comme l’a souligné Valérie Piccand, des Reussilles, l’initiative qu’ils soutiennent veut interdire les pesticides de synthèse (herbicides, insecticides, fongicides) dans la production agricole, dans la transformation de produits agricoles et dans l’entretien du territoire. Elle veut aussi bannir l’importation de denrées alimentaires qui en contiennent. Et pour permettre à l’agriculture de s’adapter, l’initiative prévoit une mise en œuvre progressive, dans un délai de dix ans.

Le problème avec ces produits de synthèse, c’est qu’ils sont souvent très toxiques, persistants, qu’ils sont une cause majeure du déclin de la biodiversité et qu’ils ont des répercussions graves sur la santé humaine, a rappelé Valérie Piccand: «Tout comme l’industrie du tabac, celle des pesticides tente de nous faire croire que ses produits de synthèse ne sont pas nocifs. Or, leurs effets sont pourtant visibles partout, à court et à long terme.»

Certes, a admis Myriam Schmid, des Pommerats, «une recherche agronomique ciblée doit se développer pour faire face à certains défis de production, comme l’élaboration de variétés résistantes ou la mise en place de nouveaux procédés culturaux». Mais même pour des productions exigeantes comme le colza ou la betterave, de nouvelles méthodes de production, avec des plantons plutôt que des semis, sont prometteuses.» Et d’affirmer qu’en dix ans, les investissements dans la recherche agricole permettront de trouver des solutions dans les secteurs où des problèmes pourraient subsister.

Des produits sains
Les opposants à cette initiative brandissent notamment la menace sur la sécurité alimentaire. Un argument balayé par Gilles Willemin, «car avec ou sans pesticides, la production de denrées alimentaires en suffisance n’est pas possible en Suisse». La question est plutôt d’offrir à la population la plus grande part possible de produits suisses et sains.

C’est justement ce que vise l’initiative, car «elle garantirait non seulement que tout ce qui est produit en Suisse n’a pas été cultivé à l’aide de produits de synthèse, mais également ce qui est importé».

Contrairement à ce que prétendent les opposants, ce ne serait pas un saut dans l’inconnu, puisque des milliers de paysans bio cultivent déjà de cette manière. Accepter l’initiative permettrait donc d’accélérer la transition écologique, car la recherche serait orientée vers une agriculture sans chimie de synthèse, vers de nouvelles variétés, vers de nouvelles associations de cultures. «Cela représente bien sûr un grand défi, mais c’est un beau défi!»

De son côté, Josette Fernex, de Bressaucourt, a elle aussi relativisé la baisse de production brandie par les adversaires de l’initiative en cas de renoncement aux pesticides de synthèse. D’abord, parce que les producteurs ne se mettront pas tous au bio. Une partie continuera en effet d’utiliser les engrais chimiques qui, eux, restent autorisés, sauf dans la production bio.

Comme aujourd’hui, l’importation de denrées restera nécessaire, mais uniquement pour des produits exempts de pesticides de synthèse. «Il n’y aura donc aucune distorsion de concurrence pour les agriculteurs suisses.»

 

«On peut voter oui et faire des économies»

Aceux qui prédisent une baisse du revenu agricole, Vincent Schmitt, des Enfers, a rétorqué qu’il n’en était rien, bien au contraire. En témoignent les quelque 7000 exploitations agricoles qui, aujourd’hui, n’utilisent pas de pesticides de synthèse:«Malgré des dépenses en main-d’œuvre parfois supérieures, le revenu agricole des exploitations bio est plus élevé que celui des domaines agricoles qui utilisent des pesticides de synthèse. Entre 5000 et 9000fr. par an pour des exploitations de taille comparable dans une même région», a-t-il affirmé.

Quant à une augmentation massive du prix des denrées alimentaires brandies par les opposants, Vincent Schmitt a balayé l’argument. En témoigne une récente étude d’Agroscope (Centre de compétence de la Confédération dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire), selon laquelle «les rendements d’une production agricole sans pesticides de synthèse ne baissent pas de manière significative. D’autant que l’initiative ne propose pas le tout bio, l’utilisation d’engrais chimiques restant permise.» Et d’ajouter qu’en privilégiant des aliments d’origine végétale et en réduisant leur consommation de viande, «les consommateurs peuvent faire des économies tout en votant oui à cette initiative!»

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