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Terrorisme à Bruxelles

«Je suis très triste pour ma ville»

Un Tramelot et un Biennois établis dans la capitale belge tentent de comprendre. Ils témoignent.

Après le premier attentat, à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem, des passagers doivent être évacués. Il est environ 8 heures. Une demi-heure plus tard, une seconde déflagration secoue la station de métro Maelbeek. Keystone

Le contexte: Au moins 34 personnes ont péri hier matin à Bruxelles dans des attentats revendiqués par les djihadistes de l’Etat islamique contre l’aéroport et une station de métro de la ville. Ces attentats surviennent quatre jours après l’arrestation dans l’agglomération bruxelloise de Salah Abdeslam, soupçonné d’avoir joué un rôle-clé dans les attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis.

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Marjorie Spart

Pierre-Alain Brenzikofer

L’un est dessinateur, l’autre comédien et metteur en scène. Ces deux ressortissants de la région vivent à Bruxelles. Nous sommes parvenus à les contacter dans une capitale en état de siège. Ils témoignent de ce qu’ils ont vécu hier.

DENYS MATHEY On l’avait déjà appelé l’an dernier quand Bruxelles était en état de siège et de choc pour cause d’alerte jihadiste maximale, le dessinateur tramelot.

Toujours établi dans la capitale belge, l’auteur des célèbres «Bandes gribouillées» avoue toutefois aujourd’hui sentir nettement un cran de plus dans la tension: «Nous sommes touchés directement, cette fois, explique-t-il. Mais c’est de l’indignation, pas de l’angoisse. Le moral n’est pas atteint. On savait que ce ne serait pas fini avec l’arrestation du gugusse. Ces attaques avaient sûrement été planifiées avant, mais peut-être précipités vu l’arrestation du précité.»

«Hier matin, poursuit Denys Mathey, la police a lancé un appel au calme. Mais on demande aux gens de ne pas circuler, de rester où ils sont. L’alerte est générale. On est d’ailleurs repassé au niveau 4, le plus haut. Et dans tout le pays cette fois.»

Bien évidemment, des mesures d’urgence ont été prises. Tout le réseau bus, le tram et le métro sont à l’arrêt. Les trains en provenance du reste du pays ont été bloqués avant Bruxelles. L’aéroport était fermé, cela va de soi. «J’ai bien sûr observé un renforcement de la présence policière et militaire pour tous les lieux sensibles, gares, centrales nucléaires, etc.» poursuit le gribouilleur tramelot.

Inéluctablement, on lui a demandé dans quel état d’esprit il se trouvait personnellement. «Eh bien, c’est un peu comme un direct à l’estomac. C’est peut-être bête à dire, mais ça m'a touché davantage que les attentats de Paris. Une question de proximité, forcément.»

Cela dit, Denys Mathey n’a toujours pas l’intention de modifier quoi que ce soit à ses habitudes. Surtout que dans son entourage immédiat, on commence déjà à en faire des blagues, de cette tragédie. Ah! l’humour belge. «On a davantage envie de rigoler qu’autre chose. Doit-on y déceler un remède à une tension quand même bien présente?»

Lui, il essaie même d’en rire avec son fils, «évidemment ma première préoccupation». Dans un premier temps, tous les élèves de son collège ont été confinés dans leur école. Mais les parents d’un de ses potes étaient sur le point de le ramener à son domicile quand Le JdJ a joint son père.

«Il était déjà à l’école à l’heure H, poursuit ce dernier. Et c’est pas dans la même région de Bruxelles, même si la planque du connard ne se trouvait qu’à une vingtaine de minutes à pied de chez nous.»

Hier, il était certes encore bien tôt de lui demander comment il envisageait la suite. «Difficile à prédire, conclut Denys Mathey. Nous n’irons sûrement pas tout de suite vers un mieux. Il va falloir vivre avec, j’espère avec l’humour bruxellois. Pourvu que la réaction xénophobe ne s’emballe pas. Mais bon, le problème est mondial...»

Ultime précision, on a pu joindre notre homme uniquement par e-mail, les téléphones étant hors d’état de nuire durant une bonne partie de la journée.

CHRISTOPHE, Établi à Bruxelles depuis plus de 20 ans, Christophe a grandi à Bienne. Il est metteur en scène et comédien et devait justement revenir en Suisse pour un tournage de deux jours. Son vol était prévu dans l’après-midi. À quelques heures près, il aurait pu faire partie des victimes de l’attentat qui a semé la mort à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem.

«Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir frôlé la mort et je refuse de me laisser aller à des sentiments d’angoisse. Je suis profondément choqué par le nombre élevé de victimes et de blessés ainsi que par la barbarie aveugle de ces actes, mais je ne parviens pas réellement à les relier directement à moi. Je suis très triste pour ma ville», commente-t-il par courriel.

Lorsque les bombes ont explosé, Christophe était en train d’acheter des croissants... Sa fille de dix ans se trouvait en classe. «A l’école les mines sont graves, mais tout le monde est calme. Il va falloir bien expliquer aux enfants le déferlement médiatique qui va suivre, la violence des images», souligne-t-il.

Pour évoquer l’ambiance qui règne dans sa ville, il la décrit comme étant calme, du moins dans son quartier. «La vie semble  ralentie, on entend juste quelques bruits de sirènes très lointains. Il y a un beau soleil de printemps...»

Les autorités ont demandé aux habitants de ne se déplacer que si c’est indispensable. Il est donc resté chez lui, avec sa compagne et sa fille: «Nous avons éteint la télé.»

Christophe (qui ne souhaite pas que son nom de famille soit dévoilé) dit ne pas se sentir trop en danger. «En novembre, les grands rassemblements pouvaient êtres inquiétants. Nous allions quand même aux concerts ou au théâtre. J’imagine que ce sera pareil maintenant. Et les transports publics, évidemment, sont un peu stressants.»

Le jeune homme décrit l’absurdité de la situation: «Des amis en sont à rassurer des proches à Tel-Aviv, un autre au Liban...» Pour sa part, il a aussi rassuré ses parents établis à Bienne qu’il devait voir hier soir à son arrivée en Suisse.

Depuis l’arrestation de Salah Abdelslam, le metteur en scène n’a pas ressenti de tensions particulières ni d’angoisses dans les rues bruxelloises. «C’est comme si la ville s’était habituée rapidement à cette menace latente mais incertaine», commente-t-il en soulignant qu’il faut bien continuer à vivre normalement, «même si on sait que cela peut arriver».

Concernant les informations que distillent les autorités, Christophe est perplexe: «Nous ne recevons pas beaucoup d’informations. Mais c’est encore tôt, le gouvernement lui-même semble sidéré.»

Et d’enchaîner: «Toute cette histoire Abdeslam est en soi étrange et confuse. On ne sait pas vraiment si on a affaire à des fous dangereux incompétents ou à un réseau hyperorganisé. On apprenait hier (ndlr lundi) qu’il serait venu régulièrement à la friterie non loin de chez nous, depuis sa planque. Ça ne s’invente pas! Il y a la fameuse dérision et l’humour belges, bruxellois. Il faut espérer que ça aide à digérer toute cette monstruosité et à vivre ensemble, toutes les communautés. Bruxelles est une ville magnifiquement métissée, c’est sa beauté.»

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