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Charlie Hebdo: réactions

«Le danger est partout»

Expertise et réactions: L’universitaire Alexandre Vautravers analyse à chaud l’attentat de Paris

Les alentours de l’immeuble abritant les locaux de Charlie Hebdo ont très vite été verrouillés par les forces de l’ordre. Keystone

Propos recueillis par David Vaquin

Directeur du département de relations internationales à l’Université Webster de Genève, Alexandre Vautravers a fondé le Centre de recherche sur la sécurité et le développement au Moyen-Orient. Egalement rédacteur en chef de la «Revue militaire suisse», il livre ici ses impressions sur le drame qui s’est joué hier à Paris et les conséquences de cet attentat.
Selon vous, qui se cache derrière cette attaque?
Il est trop tôt pour le dire et il peut y avoir de nombreuses pistes. Il faudra suivre les événements pour en savoir davantage, tout peut changer très vite. Une chose est sûre: l’attaque a été minutieusement préparée.
Cela implique une organisation minutieuse, des filatures, des reconnaissances, un entraînement, des observateurs, une filière complexe. On se rend également compte que la fuite a été bien préparée.
On est très loin du kamikaze qui se fait exploser…
Il ne faut pas mettre tous les terroristes ou tous les islamistes dans le même panier. Il y a des cultures très différentes même dans le djihad, des méthodes de leadership ou des objectifs qui diffèrent d’un pays à l’autre. Les autorités françaises surveillent leurs ressortissants qui rentrent de Syrie, mais il ne faut pas oublier qu’en France, il y a un historique de telles attaques particulièrement violentes, par exemple à Marseille. Et l’on parle là de personnes qui sont nées en France, qui souvent y ont passé toute leur vie.
Il y a un lien entre terrorisme et grand banditisme?
Une organisation terroriste doit trouver des sources de financement, des armes. Il y a donc des liens naturels entre les mouvances alternatives et la criminalité organisée, la drogue ou le trafic d’êtres humains. On ne peut pas séparer les deux choses. Ce mélange sévit notamment dans certaines zones de non-droit en France.
Faut-il donc s’attendre à une multiplication de ce type d’attaques?
Il est impossible de dire si un deuxième cas surviendra le même jour, ou une vingtaine d’ici à la fin de la semaine. Il faut cependant bien garder à l’esprit que le terrorisme a évolué. Le système Ben Laden pouvait être comparé à une armée avec un chef à sa tête, qui donnait les ordres et nommait des sous-chefs locaux qui les exécutaient. Ce modèle n’existe plus, car une telle structure est bien trop identifiable pour les services de renseignements aujourd’hui.
Rien qu’en Syrie, 277 groupes armés différents sont recensés. Avec les moyens modernes de communication, beaucoup d’individus isolés peuvent se greffer à une mouvance et ainsi faire partie d’un tout.
Cette situation nouvelle risque de multiplier les menaces?
Oui, le danger est partout. La donne a changé depuis la mort de Ben Laden, et la situation est plus complexe qu’auparavant. Comme à l’époque de la bande à Baader, la mort des dirigeants s’accompagne souvent d’une radicalisation.
La Suisse pourrait-elle abriter des éléments de cette nouvelle génération de terroristes?
Durant la guerre froide, les terroristes étaient assez peu inquiétés dans notre pays. La situation a évolué et, désormais, nous appliquons les mêmes règles de sécurité que les pays voisins. Cependant, on ne peut pas exclure la présence de tels individus. On sait notamment qu’il y a des filières de recrutement en Suisse.
Pourrions-nous être la cible de menaces?
Oui, sans aucun doute. Nous ne sommes pas à l’abri que des gens prennent les armes pour de telles actions. Les votations contre les minarets ou, plus récemment, celles du 9 février ont présenté la Suisse comme un pays potentiellement hostile. Nous ne manquons pas de cibles à Genève, Zurich ou Bâle.
Comment se prémunir contre de tels événements?
La sonnette d’alarme a été tirée depuis un moment. Malheureusement, le discours politique ambiant est plutôt au politiquement correct, à l’apaisement et à l’attentisme. Il faut parler de manière honnête et transparente. On ne trouvera pas de réponses constructives en ignorant les risques, les dangers et les menaces. Il faudra renforcer les effectifs et l’efficacité de nos polices, de nos services de renseignement qui sont, dans ce domaine, notre première ligne de défense.
Il y aura donc un avant et un après 7 janvier 2015?
En France, on ne peut guère imaginer de grands changements. La gauche au pouvoir a choisi comme mot d’ordre la diversité et la tolérance il y a des décennies. Je vois mal un changement de cap sans un effondrement dans les urnes. Du reste, les discours entendus jusqu’à maintenant sont plus dans l’émotion et la tristesse que dans la réflexion. Le choc viendra sûrement lors des prochaines élections.
Ailleurs, le discours politique risque d’évoluer. Dans les années 1990, après une vague immonde d’attentats aux Pays-Bas et au Danemark, certains pays ont effectué des virages à 180° concernant leur politique d’immigration et d’intégration. Quand on voit déjà ce qui se passe actuellement en Allemagne et en Italie du Nord, les questions d’intégration et d’immigration vont revenir sur le devant de la scène. Ces débats d’opinion touchent aussi la Suisse.

Réactions en Suisse et dans le monde

Médias Suisses
Les éditeurs de journaux romands, regroupés au sein de Médias suisses, parlent d’une «journée noire» pour la liberté de la presse. «S’en prendre à un journal est particulièrement lâche», a réagi, peu après la fusillade, Daniel Hammer, secrétaire général de l’organisation.
Conseil suisse de la presse
Pour son président, Dominique von Burg, «un des biens les plus chers de la civilisation, la liberté d’expression, a été touché au cœur».
Conseil central islamique
Choqué, le Conseil central islamique suisse (CCIS) dit aussi «comprendre le mécontentement répandu avec les provocations répétées du magazine satirique. Toutefois, cela ne justifie pas l’usage de la violence.»
Hassen Chalghoumi
L’imam de Drancy, en banlieue parisienne, est apparu très ému et très en colère: «Cela n’a rien à voir avec l’islam. Ils ont perdu leur âme, vendu leur âme à l’enfer. Nous pleurons tous, toutes les familles françaises pleurent. On répond au dessin par le dessin, à la plume par la plume. Pas par la haine.»
Angela Merkel
Pour la chancelière allemande, il s’agit «d’une attaque que rien ne peut justifier contre la liberté de presse et d’opinion».
Vladimir Poutine
«La lutte contre le terrorisme est impossible sans coopération internationale», a estimé le président russe.
Barack Obama
«La France et la merveilleuse ville de Paris, où cette attaque scandaleuse a eu lieu, sont pour le monde une référence intemporelle qui demeurera bien au-delà de la vision haineuse de ces tueurs.» £ Avec ATS et Figaro

 

L'avis de Charles Pasqua, ancien ministre UMP de l'intérieur, en poste au moment des attentats de 1995

«La menace est permanente»
«On ne peut jamais dire que la menace terroriste n’existe pas. Elle provient de milieux islamistes les plus radicaux ayant indiqué, déjà à plusieurs reprises, qu’ils viendraient en France. Tout le monde sait qu’un certain nombre de filières liées au terrorisme ont été détectées et neutralisées par la police. Cela montre bien que les problèmes de sécurité sont extrêmement sérieux. Ce n’est pas le moment de baisser la garde.
La menace est permanente.
Personne ne peut savoir à l’avance où les attentats vont se produire. D’où la nécessité de disposer de services de renseignement efficaces et de services de police motivés disposant de moyens nécessaires et de relations sur le plan international. Nous ne sommes jamais à l’abri, quels que soient les moyens mis en place. C’est impossible. Le propre de ce genre d’actions est de pouvoir frapper n’importe où.
La menace islamiste extrémiste est beaucoup plus forte aujourd’hui qu’en 1995. C’est indiscutable. Elle existait déjà à l’époque et nous procédions à la surveillance des mosquées et notamment des imams arrivant de l’extérieur. Si certains éléments étrangers étaient particulièrement virulents, ils étaient immédiatement expulsés.
Il faut être vigilant et très ferme. La preuve est apportée aujourd’hui qu’aucun pays n’est à l’abri.» (Emmanuel Galiero, le Figaro)

Quand des rédactions sont attaquées

l’Humanité Le 7 novembre 1956, le siège de L’Humanité est attaqué par des manifestants anticommunistes suite à une Une parue trois jours plus tôt: «Budapest retrouve le sourire». La tentative d’incendie échoue.
L’Aurore, L’Arche, Minute et la Maison de la Radio Le 3 août 1974, le terroriste Carlos organise des attentats devant les sièges de L’Aurore, L’Arche, Minute et la Maison de la Radio à l’aide de voitures piégées placées devant les immeubles abritant les rédactions. Aucune victime.

Al Watan Al Arabi Le 22 avril 1982, vers 9h, une bombe explose à l’arrière d’une voiture garée devant le siège du journal satirique libanais, connu pour son opposition au régime syrien d’Hafez el-Assad. Un mort et 63 blessés. Le 19 décembre 1981, l’hebdomadaire avait déjà été victime d’un colis piégé. Il avait été détourné avant l’explosion.

Libération: Dans la matinée du dimanche 23 octobre 1977, 150 militants autonomes occupent les locaux. Après des heures de négociation avec les assaillants, Serge July, directeur du journal, leur accorde un droit de réponse à propos de la lutte contre la Fraction Armée Rouge.
Le 23 novembre 2013, le journal est attaqué par, Abdelhakim Dekhar, déjà condamné en 1998 dans un fait divers sanglant. Il ouvre le feu dans le hall du quotidien et blesse un assistant photographe. La brigade criminelle arrête le tireur fou trois jours après, grâce, notamment, aux caméras de surveillance de la capitale.

BFM TV Deux jours avant l’agression contre Libération, Abdelhakim Dekhar avait sévi dans le hall de BFM TV et RMC. Cette fois-ci, l’homme avait tiré dans le vide.

Charlie Hebdo Avant ce 7 janvier, dans la nuit du 1er au 2 novembre 2011, un incendie d’origine criminelle, au cocktail molotov, se produit dans les locaux de Charlie Hebdo, situé dans le 20e arrondissement de Paris. En cause, une Une du journal sur la charia. Le site internet a aussi été piraté.

L'attentat le plus meurtrier depuis 1961

Depuis 1961, de nombreux actes terroristes ont touché la France. Historique non exhaustif de ces attentats.

18 juin 1961 Explosion d’une bombe posée par l’OAS (Organisation armée secrète, bras armé des partisans de l’Algérie française) sous le train Strasboug-Paris à la hauteur de Vitry-le-François. 28 morts.
3 octobre 1980 Une bombe explose devant la synagogue de la rue Copernic: 4 morts et 22 blessés.
29 mars 1982 Attentat du Capitole revendiqué par Carlos: une bombe explose dans le train «le Capitole» reliant Paris à Toulouse: 5 personnes tuées et 27 blessés.
9 août 1982 Attentat de la rue des Rosiers, à Paris, qui fait 6 morts et 22 blessés. Les services de police et de renseignements chargés de l’enquête ont soupçonné le Fatah, Conseil révolutionnaire d’Abou Nidal - un groupe palestinien dissident de l’OLP.
15 juillet 1983 Attentat de l’aéroport d’Orly: le groupe arménien Asala (mouvement nationaliste de tendance marxiste-léniniste) fait exploser une bombe à l’aéroport Paris-Orly, faisant 8 morts et 56 blessés.
17 septembre 1986 Attentat de la rue de Rennes: une bombe explose devant le magasin Tati, rue de Rennes, à Paris, faisant 7 morts et 55 blessés.
1995-1996 Plusieurs attentats attribués au GIA, dont celui du RER B à la station Saint-Michel, l’attentat de Villeurbanne, et celui du RER B à la station Port-Royal en 1996. Ils feront seize morts et près de 300 blessés.
Mars 2012 Mohammed Merah tue sept personnes et en blesse six autres à Toulouse et à Montauban. Appartenant à la nébuleuse d’Al-Qaida, il est abattu le 22 mars 2012.

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