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Les phares 4/5: Île Vierge

Le purgatoire qui chatouille les anges

Il y a les phares d’enfer en pleine mer, ceux du paradis, sur terre. Entre les deux, le phare de l’île Vierge.

Le phare de l’île Vierge est le plus haut d’Europe, culminant à 82,5 mètres. Mais son état se détériore depuis le départ des gardiens. Jean Guichard

Île Vierge

Rachel Richterich

Et de 375… 376, 377… ouf… 378. «Vous n’avez qu’à dire qu’il y a 400 marches, à la louche!» Jean-Pierre Hirrien, guide bénévole, montre le petit escalier en fer qui monte jusqu’à la lanterne. Elle est fermée au public, c’est toujours ça de moins à grimper. Ses 82,5 mètres font du phare de l’île Vierge le plus haut d’Europe. «Le plus haut du monde même», souligne le guide. Enfin, de ceux qui sont construits en pierre de taille.

Cette pierre, c’est le granit de Kersanton. Une roche extraite de la rade de Brest, réputée pour sa résistance aux intempéries. C’est elle qui donne cette couleur sombre au phare, dont la silhouette se dresse majestueusement, visible depuis le continent. Et contraste avec le petit phare blanc planté juste à côté. Son prédécesseur, jusqu’à la construction du colosse, démarrée en 1897 et achevée en 1902. Il sert ensuite à loger les trois gardiens jusqu’à fin 2010.

«Aujourd’hui tout est automatisé et opéré depuis le phare du Créac’h, à Ouessant», explique Jean-Pierre Hirrien.

Préserver la mémoire
Son collègue Henry Girou frotte son pouce contre son index, pour évoquer les raisons financières qui ont mené à cette décision: «Pas sûr que ce soit un bon calcul.»

Les gardiens ne faisaient pas qu’allumer la puissante lanterne, qui éclaire à plus de 50 kilomètres à la ronde. Ils entretenaient leur lieu de vie. En témoigne le vestige de potager, où nichent à présent les goélands.

Un peu de matériel, de la débrouille et beaucoup d’huile de coude. Des nerfs solides aussi, quand les éléments se déchaînent. Quand la brume se lève, le pire danger pour les marins. Quand les rochers se parent du «voile de la mariée», l’écume formée par le vent fraîchissant. Ils étaient aussi les gardiens de ce savoir, cette connaissance de l’océan.

Le regret est palpable, teinté d’une pointe d’amertume, chez les deux guides de l’association Karreg hir – long rocher en breton, de ceux qui dessinent les contours de l’Aber Wrac’h, d’où partent les vedettes pour le phare.

Une quarantaine de bénévoles au total. «Nous faisons un travail de mémoire», explique Jean-Pierre Hirrien, qui est aussi l’un des présidents de Karreg hir. Conserver les gestes et le patrimoine de la culture bretonne. Mais les forces prennent de l’âge, «on a tous passé la cinquantaine et la relève se fait attendre».

Pas béni
Le petit phare est aujourd’hui vétuste et délabré. «Il existe quelques projets pour le réhabiliter, un gîte rural peut-être», indique Jean-Pierre Hirrien. Mais rien de bien concret. Rien à voir avec le faste du grand phare, classé monument historique en mai 2011.

C’est que derrière le mur extérieur sombre et austère se cache un trésor: 12 500 carreaux d’opaline, qui tapissent tout l’intérieur du cylindre, fabriqués par un fleuron de l’industrie française, Saint-Gobain. Un revêtement estimé à plus d’un million d’euros.

Son éclat offre une luminosité naturelle, soulignée par l’escalier en spirale, qui s’enroule comme de la dentelle le long du tube. Autre particularité de ce phare, il n’a pas été béni lors de son inauguration. Celle-ci tombait en plein conflit politique qui a mené à la loi de séparation entre Eglise et Etat en 1905.

Tout en haut, tout près de la belle coupole verte fraîchement rénovée, une petite porte dérobée. On y risque le bout de son nez et c’est le corps tout entier qui est happé sur le chemin de ronde par un horizon grandiose. Dos à la baie des Anges, l’âme exaltée par l’océan d’acier, les rochers menaçants mouchetés du ressac que le vent puissant peint sous nos yeux, de toute son amplitude et de toute sa force. Suspendu au-dessus du vide, où les éléments se déchaînent, si près du ciel et ses nuages cotonneux, le purgatoire.

Cette série a été réalisée avec le soutien d’Atout France et de ses partenaires locaux.

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