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Vote du 18 juin 2017

Annulation confirmée

Le Tribunal administratif confirme en gros les arguments de la Préfecture du Jura bernois justifiant l’annulation du scrutin. Il rejette en partie les recours de la commune de Moutier et des autonomistes qui avaient attaqué cette décision et confirme l’annulation du vote.

S’ils contestent le jugement du Tribunal administratif, les recourants ont 30 jours pour saisir le Tribunal fédéral. DR

Par Philippe Oudot


Jusqu’à nouvel avis, Moutier reste dans le canton de Berne. Le Tribunal administratif l’a confirmé hier, rejetant quatre des six recours dé- posés par la commune et les milieux autonomistes contre la décision de Stéphanie Niederhauser. Le 2novembre 2018, la préfète du Jura bernois avait en effet accepté les recours contre le résultat du scrutin du 18juin 2017 sur l’appartenance cantonale de Moutier et annulé le vote. Pour rappel, les autonomistes l’avaient emporté d’une courte majorité de 137voix. Les recourants antiséparatistes avaient alors contesté la préparation du scrutin (les actes préparatoires), ainsi que le résultat du vote, estimant qu’il était entaché d’irrégularités.

Une décision préfectorale aussitôt attaquée par la commune de Moutier, ainsi que de nombreux recourants autonomistes auprès de l’instance supérieure, à savoir le Tribunal administratif (TA). Dans un jugement de plus de 100pages, il admet la recevabilité desdits recours, mais confirme le bien-fondé des décisions de la préfète, sauf sur deux points: le contrôle systématique des électeurs lors du vote aux urnes, et le recours contre le courrier que le maire et prof Marcel Winistoerfer avait adressé à ses collègues, les assurant qu’ils n’auraient pas à contribuer à l’assainissement de la Caisse de pension jurassienne en cas de oui.

DROIT D’ÊTRE ENTENDU
La commune de Moutier se plaignait de plusieurs violations du droit d’être entendu. Notamment de ne pas avoir été informée par la Préfecture de l’ouverture des cartons contenant les bulletins de vote, si bien qu’elle n’a pas pu prendre part à l’administration de cette preuve. Elle demandait que «le matériel de vote ouvert et le résultat des constatations soient éliminés du dossier». En l’occurrence, la préfète, en tant qu’autorité de surveillance en matière de votations communales, «était en droit d’ouvrir les cartons contenant les bulletins de vote», constate le TA. Elle aurait certes dû en informer la commune, mais il rejette la demande des autorités prévôtoises d’éliminer du dossier le contenu des cartons contenant le matériel de vote.

ÉCOLE À JOURNÉE CONTINUE
Un mois avant le 18juin, la commune avait adressé une lettre aux parents d’élèves fréquentant l’école à journée continue (EJC), les assurant que toutes les prestations fournies continueraient de l’être en cas de changement de canton. Saisie d’un recours en raison du caractère partial et trompeur de ce message – il n’y a pas d’EJCdans le Jura –, la préfète avait donné raison aux recourants, estimant que près de 200 personnes avaient pu être influencées par ce message. Or, il aurait suffi que 69votent différemment pour inverser le résultat du scrutin…

Une décision attaquée auprès du TA, au motif que la commune n’avait fait que répéter les affirmations du Gouvernement jurassien. S’il admet qu’au vu des informations contradictoires, la commune était en droit d’intervenir pour informer ses concitoyens, elle devait le faire de façon objective. Or, dans son message, elle allait bien plus loin que le Gouvernement jurassien «en s’engageant sans réserve sur l’existence et l’étendue des prestations», sans aucune garantie de ce dernier. Elle a ainsi violé son devoir d’objectivité», note le TA, ajoutant que «la Préfecture n’a donc aucunement violé le droit en considérant le vice comme grave».

ÉDITO DE MOUTIER.CH
Quatre jours avant le scrutin, le maire de Moutier Marcel Winistoerfer avait rédigé un éditorial dans le magazine d’information de la commune Moutier.ch, appelant expressément à voter oui. Il affirmait notamment que «l’Hôpital de Moutier se portera tout aussi bien dans le canton du Jura que dans celui de Berne» et répétait que «l’EJC va pouvoir poursuivre sa mission sans aucune retouche et avec les mêmes moyens». Appelée à statuer, la préfète avait donné raison aux citoyens qui avaient fait recours contre ce qu’ils considéraient comme un acte de propagande à même de fausser le processus de formation de l’opinion des citoyens.

Une décision attaquée par la commune et des citoyens pour qui Marcel Winistoerfer s’était exprimé à titre personnel et n’avait pas donné de fausses informations. Si le TAadmet qu’un élu dispose de la liberté d’expression comme tout citoyen, il constate que «certains passages du texte ont une connotation manifestement officielle». Notamment quand le maire dit qu’avec le Conseil municipal, il invitera tous les Prévôtois à oublier leurs divergences. Le TArelève aussi le caractère partisan de ses propos, notamment ses garanties sur l’avenir de l’Hôpital de Moutier. Tant par sa forme que son contenu, «cet éditorial présente un caractère officiel et doit être assimilé à un message des autorités communales», note le TA. Sachant qu’une partie non négligeable des votants (28%) se sont rendus aux urnes pour voter, ilestime que ce message, diffusé quatre jours avant le scrutin, et donc sans possibilité de publier un rectificatif, a pu influencer les citoyens indécis, et donc influencer le résultat du vote.

REGISTRE DES ÉLECTEURS
Plusieurs recourants avaient remis en cause la bonne tenue du registre des électeurs après y avoir constaté la présence de personnes décédées ou non domiciliées dans la commune et sollicitaient un contrôle avant le vote. La Préfecture avait considéré qu’en refusant de transmettre ce document à la Chancellerie d’Etat sous prétexte d’un manque de confiance, la commune avait gravement violé ses obligations et rendu quasi impossible la surveillance de ce registre. Elle évaluait à une vingtaine le nombre de personnes ayant un domicile fictif.

Une interprétation attaquée par un groupe d’autonomistes pour qui cela ne constitue en rien une irrégularité. Si la liberté d’établissement est bel et bien un droit fondamental, «la simple résidence dans une localité, sans réelle volonté de s’y établir, ne suffit pas à acquérir l’exercice des droits politiques», rappelle le TA. «En s’opposant à la remise de la liste électorale, la commune a violé une disposition de l’arrêté du 25 janvier 2017 (réd:qui fixait les modalités du vote), dont le but était d’empêcher les domiciles fictifs afin d’assurer le déroulement régulier du scrutin», assène le TA. En tout cas, relève-t-il, «la volonté de la commune d’éviter une surveillance étroite du registre des électeurs ne contribue pas à renforcer la confiance dans la bonne tenue du registre». Et si les 20 cas ne suffisent pas pour faire basculer le résultat du scrutin (il en aurait fallu au moins 69), le TA note qu’on ne peut exclure d’autres cas de domiciliation fictive, la non-remise de ce document ayant empêché tout contrôle en amont. «Dans ces conditions, on ne saurait en tous les cas exclure qu’associées à d’autres irrégularités déjà relevées, celles en lien avec la tenue du registre électoral aient influencé le scrutin litigieux.»

VOTE PAR CORRESPONDANCE
Un recourant avait contesté le résultat du scrutin en invoquant des problèmes liés au vote par correspondance, notamment des risques d’usurpation d’identité. La Préfecture avait effectivement relevé plusieurs irrégularités, notamment en raison des heures d’ouverture élargies pour l’accès à l’urne de l’Hôtel de ville et de l’installation d’une autre urne dans la Sociét’halle, qui n’étaient pas autorisées dans l’arrêté du 25 janvier. Des griefs contestés auprès du Tribunal administratif par les recourants, qui dénonçaient une limitation de la liberté du droit de vote par correspondance.

Pour le TA, les modalités de vote choisies par la commune ne sont pas conformes à ce fameux arrêté, qui ne prévoyait ni l’extension des heures d’ouverture, et encore moins l’installation d’un container à la Sociét’halle, «qui a ouvert une 3e possibilité de vote par correspondance non prévue. (…) Il est patent que la commune a non seulement violé gravement une disposition formelle réglant le déroulement de la votation, mais a également facilité la tâche des éventuelles personnes désireuses de glisser des votes illicites.»

Tout en s’étonnant que ni la Chancellerie d’Etat, ni le chef des observateurs fédéraux n’aient trouvé à redire à ces nouvelles possibilités de vote, il affirme que «cela ne corrige pas les vices relevés ci-dessus et ne change rien à la gravité de la violation des règles posées».

Ainsi donc, «compte tenu de la gravité des irrégularités, de leur portée sur l’ensemble du vote et de la jurisprudence du TF en matière d’annulation des votations, le TA ne peut que confirmer l’annulation du scrutin du 18juin 2017».

 

La Confédération prête à s’impliquer en cas de nouveau vote

Contacté par Le JdJ, Jean-Christophe Geiser, responsable du dossier prévôtois à l’Office fédéral de la justice et chef des observateurs fédéraux chargés de superviser la bonne tenue du scrutin du 18 juin 2017, ne commente pas la décision du Tribunal administratif. Il confirme en revanche que la commune de Moutier a bel et bien refusé de lui remettre le registre électoral au 9 juin 2017, comme il le lui avait demandé et qu’il ne l’a reçu que le 17juin au matin, soit au lendemain de l’ouverture des bureaux de vote.

Quant à savoir si cela a empêché de contrôler d’éventuelles domiciliations fictives, Jean-Christophe Geiser observe qu’il aurait de toute façon été impossible de contrôler si toutes les personnes inscrites étaient effectivement des ayants droit. Cela dit, il constate que «le refus des autorités de transmettre le registre électoral jette le trouble sur la bonne tenue de ce registre. Qui plus est, ce refus était tout simplement illégal.» S’agissant de la 2e urne installée à la Sociét’halle dans laquelle les gens pouvaient glisser leur bulletin jusqu’à la clôture du scrutin, il n’y voit pas de problème particulier, d’autant plus que cela s’est fait avec l’assentiment de la Chancellerie d’Etat. Il note d’ailleurs que «cela se pratique dans certaines communes comme Lausanne». De surcroît, rappelle-t-il, «nous n’avions pas la compétence d’interférer dans le déroulement du scrutin, mais de vérifier sa bonne tenue et de signaler les éventuels problèmes».

Par ailleurs, Jean-Christophe Geiser indique que la Confédération a «pris acte» du jugement du Tribunal administratif et a réaffirmé sa position, à savoir qu’elle s’impliquerait si un nouveau vote devait finalement se tenir, soit parce qu’aucun recours n’est déposé dans les délais, soit en cas de confirmation de cette décision par le Tribunal fédéral. «Le cas échéant, la Conférence tripartite a clairement dit qu’un autre scrutin serait organisé», indique-t-il.

Il est toutefois encore trop tôt pour se prononcer sur les modalités d’un nouveau vote, car l’arrêté du Conseil exécutif qui l’a rendu possible n’était prévu que pour le 18juin. «L’organisation de ce nouveau vote devrait donc être discutée dans le cadre de la Tripartite.» Et d’ajouter qu’il faudra alors tirer les leçons du vote du 18juin, prendre en compte les griefs des tribunaux afin de s’assurer de la tenue irréprochable de l’éventuel scrutin.

 

Vote et conditions d’annulation

Dans son jugement, le TA rappelle que la Constitution fédérale garantit aux citoyens qu’aucun résultat de vote ne peut être reconnu s’il ne traduit pas de manière fidèle et sûre l’expression de leur libre volonté. Les électeurs doivent donc pouvoir exprimer leur volonté à l’abri de toute contrainte ou influence inadmissible. Lorsque des irrégularités sont constatées, la votation n’est annulée qu’à la double condition que la violation constatée soit grave et qu’elle ait pu avoir une influence sur le résultat du vote, notamment si celui-ci est serré. Dans le cas présent, l’autorité qui organise le vote – la commune de Moutier en l’occurrence – n’est certes pas tenue à un strict devoir de neutralité et peut émettre des recommandations de vote, «mais ses informations doivent être correctes, objectives, transparentes et conformes à la vérité». Cela exclut les interventions erronées, excessives et disproportionnées s’apparentant à de la propagande et propres à empêcher la libre formation de l’opinion.

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