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Société

Berne n’a pas l’intention de suivre l’exemple neuchâtelois

Pour lutter contre la pauvreté, deux députées demandaient l’introduction d’un salaire minimum cantonal. Le Conseil exécutif estime que ce n’est pas la bonne voie.

Pour le gouvernement, l’introduction d’un salaire minimum n’est pas forcément la meilleure solution. a-key

Par Philippe Oudot

Dans un arrêt de juillet 2017, le Tribunal fédéral a jugé que le principe d’un salaire minimum cantonal fixé dans la Constitution neuchâteloise était conforme au droit. Du coup, il admettait que les salaires minimaux cantonaux pouvaient être considérés comme un instrument de lutte contre la pauvreté. Depuis le 1er janvier 2018, les travailleurs neuchâtelois sont ainsi les premiers du pays à bénéficier d’un salaire minimum valable sur l’ensemble du canton. Il a été fixé à 19fr. 78 par heure.

L’automne dernier, s’appuyant sur l’exemple du canton voisin, les députées Natalie Imboden (Les Verts) et Beatrice Stucki (PS) avaient déposé une motion dans ce sens. Elles chargeaient le Conseil exécutif de «créer une base légale pour un salaire minimum cantonal» afin d’endiguer le phénomène des travailleurs pauvres. Elles proposaient de calculer le montant dudit salaire en se basant sur le système des prestations complémentaires et en tenant compte des frais professionnels. Elles réclamaient enfin la mise en place d’une commission de suivi tripartite composée des partenaires sociaux pour élaborer les bases légales et les mettre ensuite en application.

Lutte contre la pauvreté
Pour justifier leur requête, les deux motionnaires rappelaient que «les cantons ont explicitement la tâche de lutter contre la pauvreté». Ils peuvent certes le faire au moyen de l’aide sociale, mais aussi en introduisant un salaire minimum légal. S’agissant du montant à prendre en compte, les deux élues estimaient judicieux de se baser sur celui des prestations complémentaires de l’AVS, qui est supérieur à celui défini pour l’aide sociale. D’autant qu’il correspond mieux aux réalités spécifiques à chaque canton (niveau des primes d’assurance maladie, des loyers, etc.).

Toutefois, pour que les personnes au bénéfice du salaire minimum touchent finalement une somme équivalente aux PC, «le montant du salaire doit être plus élevé que ces dernières». D’une part, pour tenir compte de leurs dépenses professionnelles (frais de déplacement, repas hors du domicile), et d’autre part, parce que les retraités ne paient pas d’impôt sur les PC. En extrapolant le modèle neuchâtelois, elles estimaient le salaire minimum brut à 19fr.88 par heure, somme qui, compte tenu des impôts et frais professionnels, devrait être de 22fr.51 par heure.

Pas si simple
Tout comme les motionnaires, le Conseil exécutif estime que les cantons doivent lutter contre la pauvreté. Il observe que cette dernière «a de nombreuses causes et n’est pas uniquement due à des salaires trop bas». Ases yeux, il convient en premier lieu de renforcer la responsabilité individuelle pour lutter contre la pauvreté et de prendre des mesures visant l’insertion des personnes concernées sur le marché du travail. Et «si nécessaire, elles peuvent bénéficier d’un système d’aide sociale équitable et bien développé qui leur garantit des conditions de vie décentes».

S’il a bel et bien pris connaissance de l’arrêt du Tribunal fédéral concernant le cas neuchâtelois, le Conseil exécutif estime néanmoins qu’«il n’est pas judicieux de fixer un tel salaire dans la loi». Il souligne en effet que si la Suisse connaît un des taux de chômage les plus bas du monde, c’est en raison de son marché du travail libéral et du partenariat social qui a fait ses preuves.

Priorité aux CCT
Pour le gouvernement, les conventions collectives de travail négociées entre partenaires sociaux permettent de tenir compte des besoins spécifiques des divers secteurs et de trouver des solutions judicieuses et adaptées. Il estime en outre que l’introduction d’un salaire minimum cantonal pourrait avoir un effet contre-productif en entraînant la suppression d’emplois ne nécessitant aucune qualification.

Par ailleurs, le gouvernement constate que l’introduction d’un salaire minimum ne permettrait pas de résoudre le phénomène des working poor, «car il n’est en général pas suffisant pour couvrir à lui seul les besoins d’une famille». En clair, ce salaire minimum ne permettrait pas aux familles pauvres de sortir de l’aide sociale. D’autant que contrairement aux prestations complémentaires, le salaire minimum ne tient pas compte du nombre d’enfants.

Nivellement par le bas
Enfin, le Conseil exécutif met en garde contre un autre risque: à savoir celui d’un nivellement des salaires «normaux» par le bas, ce qui irait à l’encontre des efforts menés pour lutter contre la pauvreté.

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