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Nature

Des goélands à Bienne comme en Méditerranée

Entre 10 et 20 couples de «vautours des mers» tournoient en ce moment à Bienne et dans la région. Ils affectionnent particulièrement les toits plats, où ils s’assurent de ne pas être attaqués par des prédateurs.

Ailes déployées, le goéland leucophée a une envergure qui oscille entre 120 et 140 centimètres (photo LDD)

Sarah Zurbuchen (traduction Marcel Gasser)

Dans le ciel biennois, poussant à l’envi leurs cris stridents, tournoient depuis quelque temps des goélands leucophée (ndlr: du grec leukos: blanc, et cephalê: tête). Ailes déployées, ces grands oiseaux maritimes ont une envergure qui oscille entre 120 et 140 cm. Ils ont un manteau gris, un puissant bec crochu de couleur jaune avec une tache rouge caractéristique, et des pattes jaunes.

Maints observateurs attentifs les ont repérés en ville, comme Michael Lanz, président de la société de protection des oiseaux Milan Bienne. «Le premier coup de fil d’une personne à avoir observé un couple nicheur sur un toit plat de Bienne date de trois ans», explique-t-il.

Impitoyablement chassés
Il y a un peu plus d’une centaine d’années, le goéland leucophée a fait l’objet d’abord d’impitoyables chasses, puis d’opérations dites régulatrices. Mais depuis le début du 21esiècle, ces interventions ont cessé, et les effectifs de ces grands oiseaux sont repartis à la hausse. Omnivores opportunistes, ils n’hésitent pas à devenir charognards, profitant des décharges ouvertes, des déchets de la pêche commerciale et des opportunités que leur offre la culture agraire intensive, comme l’écrit dans la revue Ornis Manuel Schweizer, conservateur du département d’ornithologie au Musée d’histoire naturelle de Berne.

Dans les années 1950, le goéland leucophée s’est mis à coloniser les terres, remontant progressivement le Rhône jusqu’en Suisse. En 1968, une couvée était observée pour la première fois à la réserve naturelle du Fanel, sur les rives du lac de Neuchâtel, qui abrite la plus grande colonie de Suisse. De toute évidence, cet oiseau vorace trouve chez nous des conditions de vie qui lui conviennent. On l’a observé à Cerlier, dans le delta de Hagneck et en ville de Bienne, où il affectionne les toits plats. «Cela s’explique assez facilement: les activités de loisir sur les rives du lac et des cours d’eau perturbent en effet les oiseaux; sur les toits, ils ont la paix», poursuit Michael Lanz.

Oiseaux souvent mal-aimés
Actuellement, il y aurait à Bienne et dans les environs entre 10 et 20 couples de goélands qui nichent. Livio Rey, de la Station ornithologique de Sempach, précise que les toits plats offrent à ces oiseaux l’assurance de ne pas être attaqués par les prédateurs.

Parfois surnommés vautours des mers, ces oiseaux criards sont souvent mal-aimés par les humains épris de tranquillité. Mais d’autres les apprécient pour les mêmes raisons, estimant que les goélands installent sur nos contrées un petit air de vacances balnéaires. Depuis que plusieurs couples ont installé leur nid sur des toits de bâtiments industriels aux Champs-de-Boujean, Michael Lanz donne des conseils pour comprendre le comportement de ces volatiles, qui semblent parfois se montrer agressifs. «Ils ne font que défendre leur nid; je ne connais aucun cas où ils auraient attaqué quelqu’un», assure-t-il.

On ignore encore si l’arrivée chez nous du goéland leucophée est de nature à mettre en péril des espèces autochtones comme la mouette rieuse, plus petite, ou la sterne pierregarin. «En l’absence d’étude, je dirais qu’il s’établit un équilibre naturel entre les diverses espèces de mouette», poursuit-il. Mais d’autres voix s’élèvent pour réclamer des mesures de lutte draconiennes, même si l’efficacité de telles actions est controversée. Manuel Schweizer redoute en effet qu’elles créent un précédent et ouvrent la porte à des interventions sans base scientifique contre d’autres espèces d’oiseaux ou de mammifères.

Le droit de s’installer ici
A l’association Birdlife Suisse, Stefan Bachmann considère que le goéland leucophée «est devenu un oiseau indigène et qu’il a le droit de s’installer chez nous». Pour lui, la nature établit automatiquement un équilibre entre les prédateurs et les proies. «Ce qui met sérieusement en péril une espèce, c’est l’impact de l’homme sur son habitat», estime-t-il. «Il est vrai qu’un gros oiseau comme le goéland leucophée peut menacer d’autres oiseaux; mais si ces derniers forment des colonies suffisamment importantes, cela ne devrait pas poser de problème», conclut-il.

Livio Rey et Stefan Bachmann sont unanimes: dans la nature, il n’y a de déséquilibre qu’à partir du moment où la main de l’homme intervient. Qu’on accorde à nouveau plus d’espace aux oiseaux, et là on tiendra la bonne solution.
 

Le goéland leucophée
Souvent confondu avec le goéland argenté, dont il est proche génétiquement, le goéland leucophée est le seul de sa nombreuse famille à nicher en Suisse. C’est l’oiseau marin le plus représenté dans le bassin méditerranéen. Opportuniste, il s’adapte fort bien à la civilisation humaine. Il se nourrit de crustacés, de poissons, de vers, d’escargots, d’insectes, d’oiseaux et de petits mammifères, mais aussi de charognes et de déchets. Quand il quitte son littoral marin, il affectionne les lacs, les cours d’eau, les terres cultivées et les zones d’habitation. Plus de mille couples nicheraient en Suisse, dont 600 dans la réserve du Fanel.

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