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Mühleberg (5)

«Notre engagement a payé»

Greenpeace a toujours lutté pour la fermeture de la centrale, estimant que la sécurité n’était pas assurée. Si son expert Florian Kasser s’en réjouit, le combat antinucléaire continue.

Le site de la centrale a été le théâtre de plusieurs manifestations d’antinucléaires. a-Keystone

Par Philippe Oudot

Le 20 décembre, la centrale nucléaire de Mühleberg sera définitivement mise à l’arrêt. Une première en Suisse. Le Journal du Jura consacre une série d’articles à cet événement.

Mise en service en novembre 1972, la centrale nucléaire de Mühleberg (CNM) a toujours été dans le collimateur de Greenpeace. Pas étonnant, quand on sait qu’un des premiers combats de l’organisation écologiste, fondée aux Etats-Unis un an plus tôt, a été la lutte contre les essais nucléaires américains sur le site d’Amchitka, en Alaska.

En Suisse, Greenpeace a régulièrement dénoncé des problèmes au niveau de la sécurité des installations de Mühleberg. Notamment les fameuses fissures découvertes sur le manteau du cœur du réacteur de la CNM, les risques en cas de fort tremblement de terre ou d’inondation majeure.

Un beau succès
Autant dire qu’à l’heure où BKWs’apprête à mettre sa centrale définitivement à l’arrêt, l’organisation écologiste se félicite de sa ténacité. «Pour nous, cette fermeture est un vrai beau succès, qui couronne notre engagement. Nous n’avons cessé d’alerter l’opinion publique et de pointer du doigt les faiblesses de cette centrale. Après Fukushima, nous aurions certes voulu une fermeture définitive plus rapide, mais notre pression a payé, le résultat est là», commente Florian Kasser, expert de Greenpeace dans le domaine du nucléaire.

Mais contrairement à ce qu’avance l’organisation écologiste, c’est pour des raisons économiques, et non sécuritaires, que le conseil d’administration annoncé la fermeture de sa centrale. BKWa d’ailleurs investi des dizaines de millions de francs pour y renforcer la sécurité au cours des six dernières années. «C’est effectivement le discours de l’entreprise. En réalité, ces investis-sements étaient une condition sine qua non exigée par l’IFSN (Inspection fédérale pour la sécurité nucléaire) pour permettre à l’installation de fonctionner jusqu’à la fin de cette année! Cette somme n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel, en regard des coûts d’exploitation. Si l’entreprise avait voulu continuer d’exploiter sa centrale à long terme, c’est plus d’un milliard qu’elle aurait dû injecter pour améliorer la sécurité! Du coup, l’investissement n’était plus rentable.»

Une pression efficace
Mais Greenpeace n’a-t-elle pas été surprise de voir BKWannoncer l’arrêt de son installation quelques mois seulement après avoir reçu une autorisation d’exploitation illimitée de sa centrale? Non, assure Florian Kasser. «Cela montre justement que la pression que nous et d’autres mouvements ont exercée toutes ces années a payé.»

Il rappelle aussi que cette décision est intervenue après le retrait de l’ancien CEO de BKW, Kurt Rohrbach, «un cacique du nucléaire», et après la décision des autorités fédérales de sortir progressivement du nucléaire. Plus question, donc, d’envisager la construction de Mühleberg II pour remplacer la centrale vieillissante. «C’est aussi un véritable changement culturel qui s’est opéré chez BKW,avec la nomination de Suzanne Thoma à la direction générale, qui est beaucoup moins accro à cette technologie», observe Florian Kasser.

Qu’une première étape
Si la date du 20 décembre restera marquée d’une pierre blanche dans l’histoire de la sortie du nucléaire, en Suisse, notre interlocuteur rappelle que ce n’est qu’une première étape. Contrairement à BKW, Axpo n’a pas défini de stratégie entrepreneuriale ni d’échéance en vue de la fermeture de ses deux réacteurs de Beznau, qui est la plus vieille centrale nucléaire encore en activité au monde. «C’est d’autant plus scandaleux que les standards de sécurité ont considérablement évolué par rapport à ceux qui étaient appliqués à l’époque.» Il appelle donc le pouvoir politique à se saisir de la question et à exiger une planification de l’arrêt de ces centrales.

Il rappelle également que malgré le discours lénifiant de l’OFEN (Office fédéral de l’énergie) et de la Nagra (Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs), la question des déchets n’est toujours pas résolue et constitue un défi à la fois sociétal et de sécurité «qui risque de nous occuper encore pendant des générations». En attendant de trouver une solution véritablement sûre et techniquement réalisable, il estime que le dépôt intermédiaire du Zwilag (là où sont entreposés provisoirement les déchets nucléaires en attendant leur enfouissement, ndlr.) est «la moins mauvaise des mauvaises solutions».

Suivre de près
En ce qui concerne la désaffectation de la CNM, il indique que Greenpeace va évidemment suivre très attentivement les travaux, en particulier durant les premières années pendant lesquelles les barres d’uranium usagées resteront sur le site.Ensuite, une fois ces matériaux hautement radioactifs évacués au Zwilag, il n’y aura plus aucun danger de réactions en chaîne.

Le risque résiduel va alors fortement diminuer et concernera en premier lieu les collaborateurs chargés des travaux de démantèlement, qui seront directement exposés. Il rappelle toutefois que la décontamination des matériaux n’en diminue pas la radioactivité. «En fait, le ‹nettoyage›, par exemple avec de l’eau ou du sable sous haute pression, ne fait que déplacer le problème. Il s’agit d’un simple transfert de la radioactivité», souligne-t-il.

La chèvre et le chou
En choisissant de sortir progressivement du nucléaire, la Suisse a certes fait un pas dans la bonne direction, mais elle ferait bien de s’inspirer de l’Allemagne. Elle va sortir du nucléaire d’ici à 2025, et du charbon avant 2035. «Cela pousse les acteurs politiques et les milieux économiques à agir en conséquence. En Suisse, on a trop tendance à ménager la chèvre et le chou.» Il espère qu’avec la pression populaire liée au réchauffement climatique et le nouveau parlement, plus vert, issu des urnes cet automne, «une nouvelle dynamique verra le jour et permettra d’apporter les réponses».

Al’heure où le réchauffement climatique et les émissions de CO² focalisent l’attention, d’aucuns estiment que la Suisse a fait le mauvais choix en décidant la sortie à terme du nucléaire, cette technologie ne dégageant que peu de CO². Un argument que balaie d’un revers de main Florian Kasser pour qui il est problématique de défendre cette technologie avec cet argument. «Pas de doute, le bilan environnemental global du charbon est mauvais, mais le nucléaire pose d’autres problèmes, comme celui de la radioactivité! Ceux qui défendent un tel point de vue le font par conviction idéologique, pas par souci écologique.»

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